Démiurges – Frédéric Sintes

Lorsque mes yeux se sont posés sur la couverture, la première idée qui m’est venue à l’esprit était directement Full Metal Alchemist, puis j’ai pensé au vieux Promethean (chez White Wolf) un jeu sur les homoncules cherchant à devenir humains qui n’a pas eu de version française à ma connaissance. En même temps, un jeu où l’on commence puissant et dont le thème est de perdre ses pouvoirs pour devenir humain ne doit pas être vendeur…

Qu’en est-il ?

Le jeu propose d’incarner des adolescents possédant des pouvoirs leur permettant de dépasser les limites communes et de modeler la réalité. Ils devront assumer les conséquences de leurs choix et c’est le cœur du récit.

Une rapide note d’intention de l’auteur permet de clarifier le but et les attentes qui ont été mis dans ce jeu afin d’aider le lecteur lors de son avancée dans l’ouvrage.

Le maître du jeu en devenir est accompagné par un interlocuteur virtuel qui se pose en mentor, employant un style direct à la première personne pour l’immerger dans le jeu et lui présenter le monde tel qu’il est.
Sont abordés les 3 familles de pouvoirs (ou médiums), Alchimie, Arithmancie et Psychométrie, les groupes politiques et la religion (à titre personnel, je trouve ce paragraphe trop court et j’aurais aimé un développement sur les autres religions et leurs rapports avec les Démiurges et la religion officielle).

La création de personnage se déroule en groupe pour décider de valeurs structurantes, et ce brainstorming permettra donc de souder les alter égos virtuels des joueurs autour d’un but, tout en donnant de la matière au MJ pour les impliquer plus finement dans le jeu : ce passé commun permettra donc de décrire des relations fortes et un drame qui a affecté tous les personnages (parfois de manière différente), soudant le groupe et lui permettant de ne pas se disloquer en intérêts personnels à la moindre occasion. Et c’est autour de ce but que le jeu se créera. Les joueurs ont déterminé la destination, le MJ s’occupera du voyage pour l’atteindre.

Les médiums, sous divisés en arcane, sont développés pour mieux appréhender les possibilités offertes par les trois pouvoirs (avec notamment certains sacrifices personnels à réaliser pour les déclencher).

Les caractéristiques sont au nombre de quatre, allant à la création de 1 à 3. Le personnage aura donc un score en Physique, Intellect, Sentiments et Perception qui lui permettront d’interagir avec le monde.

La construction se fait par l’ajout de traits qui sont des mots ou phrases déterminant ce qui est important pour nos jeunes héros.

Les « spécificités » sont à la fois ce qu’il sait faire (métier, études) et dans ce cas il s’agit de « l’activité » et des croyances et convictions (idéologie politique, engagements personnels), dénommés « cause ».

La seconde catégorie recouvre les « liens », qui sont les marqueurs d’interactions avec les autres personnages permettant d’affiner (et complexifier) les relations entre joueurs. Après une phase de création de contacts non joueurs, démiurges ou non, les joueurs déterminent si leur personnage les connait et quels sont leurs types de relation. Le tout agrémenté d’exemples. Le plus important étant le Mentor qui a éduqué nos Démiurges. L’utilisation d’un graphique permet de synthétiser cette toile de contacts et de gagner en lisibilité lors des parties. Les adeptes de la théorie des graphes ne seront pas dépaysés.

La partie « confrontation » introduit la mécanique de jeu. Le découpage se fait de manière synthétique (Enjeu/Narration/Adversité/Retombées/Sacrifice) et la manière de réaliser les jets de dés et la résolution des actions (en utilisant des combinaisons de dés, un peu à la Perudo pour les joueurs de jeux de société). La résolution étant laissée à la narration du joueur en fonction du résultat de la confrontation.

La thématique des choix lourds de conséquence est appuyée par la possibilité de réaliser un sacrifice de caractéristique ou de trait pour augmenter ses chances de réussite. Ce méta-jeu ne passe pas par une ressource secondaire et accessoire, là on tape directement dans le fondement même du personnage. Le tout est agrémenté d’exemples bienvenus pour vérifier si on a compris.

Les mécaniques d’expérience, de soins (physiques et psychologies), d’amélioration personnelle (puisque les médiums le permettent) et d’alliance (PNJ/Groupe) suivent pour clore cette partie.

Un développement technique des trois médiums permet de placer plus finement les pouvoirs des démiurges, ce qui est réalisable ou non et comment, lors d’une confrontation. Lors de la lecture, j’ai eu des scènes de Full Metal Alchemist qui me sont venues directement en tête.

Démiurges centre l’histoire sur les personnages, et utilise une méthode pour les immerger dans un monde cohérent. L’auteur propose des « Canevas », des marches à suivre pour créer du jeu et épaissir le monde. Plusieurs formats sont possibles depuis l’initiation jusqu’à la campagne au long cours, en passant par la partie unique ou des scénarios individualisés. Mais tous suivent un mode de construction qui rend l’histoire cohérente et plonge les personnages des joueurs au milieu d’un écheveau de relations qui rend leur présence et leurs actions crédibles.

Après avoir posé et décrit l’intrigue et les protagonistes, développé les PNJ en répondant à une série de question qui leur donne de l’épaisseur, il sera temps d’imaginer la situation de départ et de jouer sur les relations avec les personnages des joueurs pour les impliquer dans la partie.

Des fiches de Canevas sont d’ailleurs proposées autant pour comprendre la marche à suivre que pour proposer des situations de jeu prêtes à l’emploi.

Cette utilisation de cadres pour développer un scénario est, pour moi, LA bonne idée et justifie la lecture de l’ouvrage ; ce qui rend un scénario intéressant, c’est sa qualité à impliquer les joueurs par l’intrication des actions des personnages.

Étant parties prenantes du monde, il faut éviter une linéarité castratrice en termes de motivation pour les protagonistes ludiques. Un peu comme DD5 oblige les joueurs à créer un background pour leur personnage en choisissant des capacités, les Canevas obligent le meneur de jeu à poser une situation avec des enjeux, d’y propulser les personnages de manière cohérente et de densifier le monde en développant des PNJ définis par une série de question. Autant dire que cette approche un peu plus structurée ne fera de mal ni aux vieux routards qui vivent sur leurs acquis ou les débutants qui tâtonnent dans leurs premières parties.

Ces guides théoriques, en fonction du type de scénario voulu, permettent donc de créer à la fois un contenu structuré et dense pour mettre le jeu au service des joueurs. Ils sont mêlés à des conseils (à destination du meneur ou des joueurs) et des précisions pour rendre le jeu dynamique et accompagner la préparation des parties ou les inter-parties.

Différents canevas déjà préparés sont donnés en exemple pour illustrer les propositions de jeu et leur taille augmente selon une complexité croissante. Des lieux sont abordés comme autant de décors potentiels pour des scénarios personnels.

La fin de l’ouvrage est dédiée à des conseils aux meneurs, des fiches résumées des différents aspects du jeu (création de personnage, confrontation, canevas) et un glossaire qui vient renforcer la table des matières de début d’ouvrage.

Je ne pourrais pas juger l’objet livre en tant que tel puisque je n’ai eu accès qu’au PDF de l’ouvrage, mais il devrait être dans les critères habituels de lulu.com qui sont tout à fait correctes. Néanmoins, je trouve déjà que l’effort de la table des matières et du glossaire facilitent la prise en main, que les illustrations sont d’un niveau tout à fait correct (mais pas transcendant, petite joke pour un jeu sur l’alchimie) et d’un niveau constant. La qualité d’écriture et de relecture est au-dessus de la production habituelle de jeu de rôle (gros éditeurs compris) et je n’ai personnellement rien vu qui m’ait fait saigner des yeux. La qualité est dans ce genre de détails mais qui trahissent un travail bâclé lorsqu’ils sont absents.

Même si je ne pense pas jouer à Démiurges, j’achèterai probablement la version papier pour les nombreuses qualités de l’ouvrage et soutenir un auteur qui y a mis ses tripes.

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