Star Wars VIII : les derniers Jedi – Rian Johnson

Alors que la Résistance tente désespérément d’échapper à l’armada du Premier Ordre, Rey a retrouvé Luke Skywalker. Mais ce dernier n’est plus le héros qu’il a été : traumatisé, blessé, il s’est fermé à la Force. Est-il vraiment le dernier espoir de la galaxie ? La générale Leia Organa l’espère. Pour retarder l’inévitable destruction, Finn et la mécanicienne Rose se lancent dans une mission afin de desserrer l’emprise des hommes du Suprême Leader Snoke sur la flotte résistante. Leur temps est compté.

Le retour de Star Wars dans une postlogie ouverte avec le Réveil de la Force en 2015 avait suscité l’enthousiasme. La saga, passée sous pavillon Disney avec le rachat de Lucasfilm, reprenait une expansion qui n’allait pas sans faire parler. Qu’on que l’on pense de cet épisode VII, évoqué par ailleurs sur notre site (des gens ont aimé, d’autres non), il tentait de poser un jalon entre nouveautés et héritage.

Je suis obligé de préciser mon point de vue sur le Réveil de la Force, car il impacte ce que vous allez lire ensuite : si j’ai apprécié la première demi-heure, hommage touchant aux épisodes IV, V et VI et à leur esprit d’aventure, la suite s’enlisait dans un cahier des charges envahissant et une vacuité scénaristique de plus en plus importante. Comme souvent avec J.J. Abrams, son réalisateur et principal scénariste (avec Lawrence Kasdan), l’amorce est excellente, les idées sont là, mais la narration est défaillante avec des arcs menés en dépit du bon sens, et une scénarisation de mauvais jeu de rôle façon ta-gueule-c’est-magique. J’ai particulièrement aimé le personnage de Rey, sa naïveté, sa conviction, son ouverture à l’aventure, trouvant seulement dommage un fin qui triche avec sa caractérisation (à priori, seule la volonté du scénariste justifie son passage d’aventurière sensible à la Force à chevalier Jedi surentraîné).

L’intrigue nous laissait, à la fin du film, avec moult questions (Qui est Snoke ? Pourquoi Luke s’est-il retiré ? Pourquoi Ben/Kylo Ren a-t-il basculé du mauvais côté ? Qui sont les parents de Rey ?) pour lesquels on peut attendre des réponses dans ce nouvel opus.

Attention : ce texte peut dévoiler quelques éléments de l’intrigue

Les derniers Jedi commence par une bataille et par des blagues (ratées). Cette première séquence va résumer toutes les qualités et tous les défauts du film : à une gravité de bon aloi, filmée avec grand talent, va répondre un ton (trop) décontracté, volontiers cynique, le tout encadré par un cahier des charges toujours aussi pesant.

Rian Johnson est aux commandes de ce nouvel épisode. Contrairement à Abrams, ce n’est pas un producteur/réalisateur de blockbusters en chaîne. La rupture de ton est évidente, de style aussi. Après un film qui a cherché à imposer son rythme, parfois en dépit du bon sens, cet opus va démarrer vite avant de ralentir fortement l’allure. Ce choix va permettre à Johnson d’essayer de mener de front quatre récits. Un choix ambitieux, avec des réussites diverses.

La première branche est le développement de la Résistance (l’ensemble de personnages Poe, Leia, Holdo, etc.). Johnson part à ce moment-là d’une feuille blanche : le Réveil de la Force n’expliquait rien ou si mal qu’il fallait tout reprendre. Mission presque accomplie. Il s’avère bien que cette Resistance n’est qu’une petite armée privée montée par Leia afin de combattre le Premier Ordre. Cette fois, le scénario l’assume et en fait son argument. Cette petite milice est si limitée suite à son succès à la fin du film précédent qu’elle se retrouve à fuir, isolée, dans une situation qui n’est pas sans rappeler Battlestar Galactica. La course est vouée à l’échec, ce qui imprime une tension bienvenue. Les personnages ont tous un arc plus ou moins bien géré, pas subtil, mais suffisamment écrit pour qu’on s’y intéresse sur la longueur.

Si Poe connait une vraie progression (et Oscar Isaacs est très bon), les autres personnages sont plus ou moins bien traités. Leia (Carrie Fischer) est parfaitement iconisée, mais souffre de la scène la plus ridicule que je n’ai jamais vue. L’amiral Holdo (Laura Dern) est peu présente, par contre elle bénéficie de la plus belle scène visuelle de l’ensemble – incroyable vision destructrice. Le message d’espoir qu’ils portent tous, cette « étincelle » sensée ranimer la flamme de la Rébellion des épisodes IV, V, VI, va dans le sens de l’universalité de cette valeur, son côté précieux également. Une valeur transverse à toute la saga, bien mise en avant ici.

On pourra toutefois s’étonner de cette gestion d’urgence dans le scénario, qui réduit la trame temporelle à quelques heures de récit, ce qui nuit considérablement à son ampleur globale (cela veut dire que Rey rencontre Luke en même pas deux jours, par exemple) et à la cohérence interne. À côté, les ellipses de l’Empire contre-attaque passent pour géniales.

La deuxième partie du récit est une émanation de celle-ci : devant la situation désespérée, Finn (John Boyega) et Rose (Kelly Marie Tran) se lancent à la recherche d’un casseur de code capable de libérer le dernier vaisseau résistant de la poursuite impitoyable menée par le général Hux. Si l’on est content de découvrir grâce à eux une nouvelle planète, très réussie, le reste est un échec quasi complet. La raison de leur départ est tirée par les cheveux, le rythme de ces séquences nuit énormément au montage, l’humour ne fait pas rire, les effets spéciaux sont parfois ratés – la scène d’évasion et son aspect trop sombre n’aident pas. La relation du duo ne fonctionne jamais et Boyega en est le premier fautif. Je ne parle même pas de l’apparition de Benicio Del Toro, qui ne sert à rien.

Tout juste peut-on sauver la tentative de contextualisation (enfin) et le message sur la violence animale ou l’esclavage. Si ce sous-texte est mené aussi subtilement qu’un Wookie dans une cristallerie, il a le mérite d’exister et de donner un peu de fond à cette galaxie lointaine.

La troisième branche concerne le Premier Ordre. Là encore, la contextualisation zéro de l’épisode VII ne facilite pas la tâche de Rian Johnson. Il tente de construire une dramaturgie à partir du triangle Hux/Snoke/KyloRen, ce qui n’est pas sans aller avec quelques scènes ridicules (les humiliations répétées de Hux) ou mal écrites, comme ces redites incessantes du Retour du Jedi qui écœurent par leur systématisme. Cette partie souffre du poids écrasant du cahier des charges, mêlant au pas de course les relectures/hommages/décalques des épisodes V et VI.

Pourtant, un retournement de situation aussi ridicule sur le papier que géniale dans les faits va nettement améliorer cette ligne narrative. Le grand perdant en est le film précédent dont il ridiculise les principales questions et semble même tourner en dérision certains points qui y titillaient la suspension d’incrédulité du spectateur (Snoke qui ironise sur le combat perdu par Kylo Ren contre Rey, la non-révélation des origines de l’héroïne, etc.)

Le grand gagnant en est Kylo Ren/Ben Solo (Adam Driver). Cette fois, Johnson capitalise sur les éléments mis en place précédemment. Il ajoute à la colère du personnage de la nuance et un réel talent. Ce n’est plus l’incompétent chronique, immature, du Réveil de la Force. Il est le premier Sith depuis Palpatine à réussir à concrétiser un plan dans la saga. Il devient un vrai méchant à la fin des Derniers Jedi, marchant plus directement dans les pas d’Anakin version prélogie que dans ceux de Vador. Adam Driver s’y montre talentueux, même sa colère froide dans l’ascenseur a une intensité dont manquaient peut-être les scènes similaires dans l’épisode précédent.

D’autant que Johnson tente de compenser l’improbable lien existant entre Kylo Ren et Rey, à travers une série de scènes dans la Force qui sont de jolies additions au background des personnages. Ce sont aussi de jolies scènes, très simples, entre ce garçon qui ne parvient pas à se libérer de ses figures tutélaires et cette fille qui en recherche à tout prix une. En espérant que ce lien ne sera pas maltraité dans le dernier opus à venir.

Rey, justement, est le sujet du dernier arc narratif avec Luke Skywalker. Là encore, Johnson envoie paître la conclusion du Réveil de la Force : Luke jette aussitôt le sabre que Rey lui remet, désamorçant totalement la force du plan de conclusion du dernier film. Il faut repartir de zéro, encore une fois.

Si les scènes d’échange entre les deux personnages sont scolaires (et abominablement redondantes entre elles), elles ont au moins le mérite de poser clairement le problème du personnage super-héroïque de Rey, qui maîtrise la Force naturellement. Johnson déjoue les attentes autour d’elle, ce qui ne va pas sans nuire à la grande réussite du film précédent : effacée, Daisy Ridley y livre une prestation moins marquante.

Reste Luke Skywalker. Difficile de revenir, avec des yeux adultes, sur le héros de sa jeunesse. Le réalisateur et scénariste en est bien conscient : tout ce qu’il pourra faire du personnage ne pourra être qu’attendu ou décevant. Il tente donc avec ambition de relire le héros à l’aune de sa propre histoire.

Abrams avait déjà essayé d’inclure cette dimension mythique dans la quête de la recherche de Luke. Cette fois, le sous-texte évident est que Luke est une légende, dans sa galaxie lointaine, comme pour les spectateurs amateurs de Star Wars. Mais une légende peut décevoir quand on regarde la réalité en face. Il ne faut pas briser le mythe, sans quoi ce sont les valeurs qu’il porte qui seront salies.

Luke n’est plus qu’un vieil homme tourmenté, joué à merveille par un Mark Hamill expressif et charismatique. Un mythe s’écroule pour Rey, mais aussi pour le spectateur, touché par la déchéance de ce héros entré dans l’inconscient collectif. Pourtant, la flamme de l’espoir existe encore et pour la rallumer, Luke a besoin d’être mis face à ses contradictions. C’est le rôle que joue Rey, mais aussi Yoda ensuite : ils doivent lui faire accepter que tout ce qu’il a à faire, c’est être ce qu’il est et accepter de tourner une page, d’aller de l’avant.

Je peux comprendre ceux qui n’apprécient pas ce choix. Pourtant, il offre à Luke Skywalker une relecture intéressante. Avec lui, Johnson signifie au spectateur qu’une ère s’achève, que Star Wars ne doit plus être seulement l’histoire des Skywalker, mais se tourner vers d’autres horizons. Il lui offre surtout une conclusion excitante, avec des scènes d’une classe absolue (quand il époussette son épaule, mythique) qui répondent à des séquences d’une grande poésie (la dernière vision du double soleil d’Arch-To, déchirante). Luke Skywalker restera une légende pour tous, quoi qu’il fasse dans ce film. En cela, l’ultime séquence avant le générique, superbe métadiscours sur le pouvoir des légendes et le pouvoir d’évocation de Luke, constitue une belle conclusion : à présent, cette partie de l’histoire est presque terminée, mais le pouvoir de l’imagination continuera à le faire vivre en chacun de nous, qui que nous soyons, et elle se perpétuera.

Malgré de graves scories, c’est ce discours qui reste et imprègne cette partie en faisant de la dernière heure du film la plus grande réussite des Derniers Jedi.

Et pour le reste ? La réalisation léchée de Johnson ne choque pas. Les quelques ralentis sont bien utilisés, le cadrage est large, certains plans impressionnants, comme cette séquence intense et particulièrement maîtrisée de combat contre les gardes rouges. Contrairement au Réveil de la Force et à Rogue One, on ne fait pas seulement de beaux plans fétichistes, mais on essaie d’avoir une cohérence, de donner du caractère aux lieux et aux acteurs.

Dommage que le rythme soit si bancal : le film aurait pu faire trente minutes de moins et gérer mieux son alternance de points de vue. L’humour vient trop souvent désamorcer des situations réussies. Heureusement, il fait parfois mouche.

Quant à la musique, John Williams fait le job : des thèmes plus développés, un nouveau motif pour Rose, quelques belles séquences musique/images. Si ce n’est pas au niveau de la Prélogie dans le luxe thématique, l’écriture reste proche. Une faute de goût, toutefois : la reprise à l’identique d’un morceau de la trilogie originale, pour une scène reprise d’ailleurs plan pour plan ou presque. Maudit cahier des charges.

Conclusion

Le Réveil de la Force était pour moi le verre à moitié vide. Cette fois, je vois Star Wars VIII : les derniers Jedi comme le verre à moitié plein. Malgré d’énormes défauts, il raconte quelque chose et tente de briser la nostalgie mortifère qui semble peser sur les deux premières productions Disney/Lucasfilm. Rian Johnson laisse toutefois cette trilogie au milieu du guet, pas arrangée par la tragique disparition de Carrie Fischer : débarrassé définitivement du poids du mythe, l’épisode IX devra tenter de proposer autre chose. Pas sûr que J.J. Abrams soit le réalisateur/scénariste le plus approprié dans ce cas.

Star Wars VIII : les derniers Jedi

Réalisé par Rian Johnson

Avec Daisy Ridley, Adam Drive, Carrie Fischer, Mark Hamill, John Boyega, Oscar Isaacs

Lucas Film / Walt Disney Pictures

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