Quelques minutes après minuit – Juan Antonio Bayona

Conor est un jeune garçon en détresse : sa mère est gravement malade, son père est parti aux Etats-Unis et il ne s’entend pas avec sa grand-mère. Il est isolé à l’école. Quand l’état de sa mère empire, il trouve dans l’imaginaire une échappatoire à sa situation en se liant avec un monstre de la colline.

Le cinéma fantastique espagnol est plein de vitalité depuis le début des années 2000. Jaume Balaguero, Juan Carlos Fresnadillo, et Juan Antonio Bayona en sont les principaux représentants. Bayona a marqué les esprits en 2007 avec l’Orphelinat et revient avec Quelques minutes avant minuit dans ce genre porteur, avant de céder aux sirènes hollywoodiennes pour réaliser Jurassic World 2.

Comme souvent lorsqu’un cinéaste quitte son pays d’origine, J.A. Bayona bénéficie d’une production qui a les moyens de ses ambitions : casting international, budget confortable, équipes techniques expérimentées. L’au revoir est-il concluant ?


Quelques minutes après minuit impose immédiatement une patte différente du Fantastique hollywoodien. Il détonne par son rythme lent, volontiers posé. La caméra suit le jeune héros Conor dans des mouvements simples, sans volonté d’impressionner. Cette réalité calme, dépressive avec sa photographie terne, va vite contraster avec l’irruption de l’imaginaire dans le récit, colorée, dynamique, stylisée. Je pourrais résumer ainsi aussi mon sentiment au sujet du film de Juan Antonio Bayona : à un scénario dans le réel balisé et sans surprise s’oppose la créativité et la curiosité suscitée par la relation entre l’enfant et le monstre.
Car la tranche de vie de Conor a tout du chemin balisé de bout en bout. Enfant introverti, à la violence rentrée, il vit mal la maladie de sa mère et va s’opposer à sa famille dans un difficile processus d’acceptation. Et chaque étape (déni, colère, renoncement etc) deviendra un passage obligatoire que le film ne nous épargnera pas. Résultat : ce balisage se regarde sans passion car tout s’y devine dès les premières minutes et ne dédiera pas le spectateur. Les acteurs font de leur mieux avec ces personnages stéréotypés. En effet, Felicity Jones, Lewis MacDougall et Sigourney Weaver sont impeccables. Ces deux derniers sont excellents dans la scène d’émotion de la voiture, dans le dernier tiers du film, probablement la plus réussie de cette partie.

Quelques minutes avant minuit contraste par sa relative incapacité à pousser le spectateur dans les bras du drame. Dans une approche similaire, le Secret de Terabithia (2007) avait su rendre ses personnages profondément humains et touchants avec une mise en place aussi sage.


Heureusement, il en va tout autrement de l’opposition entre l’enfant et le monstre. Le géant arbre est d’abord une belle prouesse technique, servie par une voix profonde, qui fait penser au Aslan de Narnia (normal, c’est Liam Neeson qui s’y colle à chaque fois). Il impose ensuite son rythme au récit par ses apparitions signalées par les horloges, qui donnent son titre au film.

Les deux personnages vont alors se livrer à un échange d’histoires. La créature va accepter de raconter trois moments de sa vie, si l’enfant lui confie le rêve qui l’obsède. Techniquement, dans l’amplitude, la créativité visuelle, le film nous délivre trois récits intenses narrés avec maestria. L’idée de les adapter en courts films animés, à l’animation ébouriffante, surprend et séduit aussitôt. Si l’on pense brièvement au Conte des Trois Frères de Harry Potter et les Reliques de la Mort, on découvre un graphisme soigné et le spectateur est vite happé par cette vivacité nouvelle dans un film très sage. Il a envie d’en savoir plus. A dire vrai, on attend surtout la prochaine apparition du monstre.

C’est donc techniquement que le film tire son épingle du jeu. Les saynètes racontées sont inventives, les effets spéciaux très bien intégrés et l’ensemble de la direction artistique est à la hauteur.

Le film de J.A. Bayona porte également des valeurs et un message plutôt positif sur l’imaginaire, le pouvoir de création et de transmission. D’abord, par le refuge que le dessin représente pour le jeune Conor. Cette fuite de la réalité, matérialisée par les rencontres avec le monstre, évoque le souhait de lâcher prise et l’envie d’ailleurs du jeune homme. Cette envie sera brusquement brisée par le refus de son père de s’occuper de lui.

Le pouvoir de création s’illustre à travers le monstre de la colline, cet arbre vivant et gris (ni bon, ni mauvais) que Conor rencontre et qui va l’aider à gagner en maturité afin de supporter le moment difficile qu’il vit. La scène de l’acceptation de la disparition future de sa mère est un modèle du genre, liant psychologie et fantastique dans une débauche d’effets qui ne cachent pas le déclic qui s’opère chez le garçon. Cette métaphore, si elle souligne à gros trait le changement de mentalité de Conor, surprend par sa brutalité soudaine et le poids dramatique de la séquence, qui introduit une tension inédite.

C’est enfin une ode à la transmission de la passion entre les générations : Conor prolonge le travail imaginatif de sa mère, qu’elle devait tenir également de son père. Sur ce dernier point, l’allusion est discrète mais présente à travers Liam Neeson, monstre conteur issu de l’imagination de la mère et du fils, qui interprète également le grand-père (on peut l’entrevoir sur plusieurs photos dans la maison de Sigourney Weaver).

Conclusion

Emballé par la forme, j’ai aimé Quelques minutes après minuit pour son message et ses acteurs impeccables. Je regrette toutefois une partie « réelle » tout à fait standard et balisée qui n’évite aucun cliché du genre, ce qui rend la moitié du film assez peu intéressante. Mais la partie Fantastique rattrape nettement le scénario et l’inscrit dans la droite lignée des films merveilleux sur l’enfance.

Quelques minutes après minuit

Réalisé par Juan Antonio Bayona

Avec Felicity Jones, Lewis MacDougall, Liam Neeson et Sigourney Weaver

Produit par Apache Entertainment

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