2031. La terre est recouverte d’une nouvelle ère glaciaire. En catastrophe, ceux qui avaient survécu à l’arrivée imminente du froid mortel furent jetés dans un train conçu pour devenir le dernier abri de l’humanité. Le transperceneige roule sans s’arrêter tant le froid risquerait de le geler ainsi que ses occupants. Mais cet abri est un enfer sur rails. Plus que jamais la dictature des classes s’y est imposé, les chanceux vivants dans des compartiments tout confort et plus encore des vestiges luxueux du monde disparu (aquarium, école, jardin sous verrière…) tandis que les malheureux sont réduits à survivre agglutinés en queue du train et à se nourrir de plaquettes protéinées distribuées au compte goutte. Deux hommes font autorité au sein du train, Wilford, son concepteur, et Gilliam, un vieil homme du wagon de queue, héros parmi les pauvres. Dans ces tablettes rationnées, Curtis, second de Gilliam et homme fort de la classe pauvre, trouve des messages laconiques l’encourageant à organiser une révolte et gagner la tête du train pour en prendre la contrôle. Avec l’accord de Gilliam et les encouragements de ses compagnons d’infortune dont le jeune Edgar qui lui est proche, Curtis décide de mettre la main sur Namgoong Minsu, le concepteur des systèmes de sécurité du train. Grâce à lui, ils pourront forcer les portes de chaque compartiment et remonter le train, armes au poing. Car si les portes sont sécurisées, elles sont aussi bien gardées. La lutte commence et les révoltés ne sont pas au bout de leurs surprises. L’horreur reste intimement mêlée aux plus bas instincts de survie humaine…
Adapté de la bande dessinée française Le Transperceneige de Jean-Marc Rochette, Alexis et Jacques Lob (Casterman), Snowpiercer n’est pour autant pas une transcription fidèle de la série papier. L’idée de base est là : un train dont on ne peut s’échapper, une nouvelle ère glaciaire, une disparité extrême des classes sociales, l’instinct de survie menant à la révolte, une atmosphère post-apocalyptique. Mais le réalisateur Bong Joon-Ho (The Host) a choisi le scénariste Kelly Materson pour le seconder dans l’écriture afin d’insuffler la noirceur propre à son style. Et le pari est gagné.
L’atmosphère pesante, malsaine, angoissante et le rythme sont posés dès les premières images. Les explications du pourquoi et du comment viennent plus tard se fondre dans les dialogues, au fil des avancées, victoires et tragédies qui accompagnent le long chemin des protagonistes vers leur but final.
Et le choc se renouvelle à chaque porte franchie, menant le spectateur dans les pas des révoltés à travers les gardes mangers de l’horreur, les wagons aquarium, école, salon de thé, piscine, sauna, entre les mains de soldats masqués armés jusqu’aux dents de tout plein d’outils tranchants lorsque les balles viennent à manquer. Les indices sont révélés par des prisonniers ou d’anciens occupants du wagon de queue “promus” à un mieux vivre en échange de leur complicité dans l’esclavage de leurs anciens compagnons. Les morts s’agglutinent, le groupe se réduit comme peau de chagrin mais Curtis parvient à bon port pour découvrir une vérité plus ignoble que toutes les autres, pires que son passé d’occupant affamé de ce maudit train où régnait, lors des premiers temps, le cannibalisme…
Sombre dans le fond, Snowpiercer insiste aussi sur la disparité des classes par la forme. Les ténèbres règnent dans l’univers des révoltés, ils les accompagnent le long des wagons pourtant inondés de lumière artificielle ou exceptionnellement baignés de rares rayons de ciel neigeux. L’après apocalypse filtre par intermittence sous forme de villes figées et immaculées mais n’offre aucun espoir. C’est sous cette lumière promesse d’une autre vie interdite par le destin que se déroulent les pires combats et effusions de sang, effroyables scènes hachées sous l’éventail d’une autre lutte instinctive, ombre contre lumière. L’extérieur interdit est blanc, pur, immaculé tandis que l’intérieur, le train, est noir, sali, prison.
Au service de cette histoire puissante, une équipe d’acteurs flamboyants. John Hurt apparaît peu dans le rôle de Gilliam mais demeure un protagoniste clé tout comme Ed Harris aussi glaçant que le paysage extérieur alors qu’il campe Wilford, être calculateur sans âme ni remords. Tilda Swinton, enlaidie à souhait, incarne Mason, le chien de garde de Wilford, odieuse, écoeurante. Le plaisir de voir Jamie Bell (Edgar) gravir doucement les échelons de la reconnaissance depuis son succès d’enfant (Billy Elliott) demeure intact au fil de ses prestations. Song Kang-ho (The Host), peu connu du public européen mais acteur phare de la scène coréenne, est méconnaissable sous les traits de Namgoong, concepteur de génie, drogué mais plus lucide que nombre de ceux qui viennent exiger son aide. Mais la surprise vient de Chris Evans (Captain America) plus accoutumé aux rôles de Monsieur Muscles sans profondeur qu’à la richesse d’un personnage tel que Curtis, un homme d’action qui laisse peu à peu transparaître ses failles, rattrapé par son vécu, sa culpabilité, ses dilemmes, son devoir.
Comme tout bon film post-apocalyptique, Snowpiercer, le transperceneige se termine sur un grand point d’interrogation après le déroulé mouvementé du chemin de survie nécessaire aux rares protagonistes encore en vie.
Mais la patte de Bong Joon-ho est unique, violente, esthétique, d’une écriture forte, elle offre une vision sans pareille.
Snowpiercer Le Transperceneige
Réalisateur : Bong Joon-ho
Scénario : Bong Joon-ho et Kelly Materson
Production : Park Chan-wook
Avec : Chris Evans, John Hurt, Ed Harris, Tilda Swinton, Song Kang-ho, Jamie Bell…
Sortie : 30 octobre 2013