Avec un titre qui évoquait des fantômes, je dois dire que je ne m’attendais pas à tomber sur ce genre de livre. Un brin de fantastique ? Du mystère ? Des frissons ? Des frissons. Oui, mais pas ceux qu’on imagine. Rien d’horrifique ici ou de surnaturel, si ce n’est l’homme, sa volonté géographique, son envie de pouvoir et de contrôle, sa violence, son regard conquérant. Le frisson d’un récit qui sonne si proche du nôtre, de notre société, d’une part de notre histoire. Dans ce livre, on assiste à l’expérience d’un homme qui au fur et à mesure de sa mission va porter un autre regard sur son pays et les gens qui le composent.
Dimos Horacki est un journaliste en disgrâce travaillant pour la Gazette de la Borolie, empire qui a tourné son regard et son armée vers les territoires libres des montagnes voisines. Envoyé sur le front, il est chargé d’écrire le portrait flatteur d’un général en vue, à des fins de propagande. Rapidement capturé, lors d’un guet-apens, par les ennemis de l’Empire borolien, il est emmené au cœur des Cerracs. Passant de fermes en villages et de groupes de miliciens à d’autres, le reporteur découvre l’horreur des guerres expansionnistes de son pays et le courage des peuples entrés en résistance. Face à la détermination de ces individus réunis sous une même bannière, celle de la liberté et de l’indépendance, ses convictions vacillent… jusqu’à épouser leur combat ?
Nous sommes en Borolie et Dimos Horacki, un journaliste qui n’a plus trop le vent en poupe, se voit envoyer sur le front pour écrire le portrait flamboyant d’un général. Propagande, quand tu nous tiens. En effet, la Borolie est un empire qui cherche à s’étendre vers les territoires libres des montagnes avoisinantes. Comme toute guerre, l’expansion est terrifiante, avec son lot de violences et d’aberrations. Capturé lors d’un guet-apens par « l’ennemi de l’empire », Dimos est emmené au cœur des Cerracs et se voit embarquer dans un long cheminement à la fois physique et psychologique. De villages en villages, de miliciens en miliciens, il voit son opinion changer et ses idées se façonner. Et si l’empire était au contraire l’ennemi ? Les convictions vacillent au contact de la résistance, du courage, de la liberté et de l’indépendance. Le combat initial n’est peut-être finalement pas le bon à mener.
Avant même de commenter le récit, je voudrais d’abord faire une mention spéciale à la préface de Patrick K. Dewdney écrite pour ce livre en avril 2022 et qui ouvre cette histoire dans cette édition.
« ‘We are anarchists, and we are immortal’ En soi, tout pourrait tenir en une seule ligne.”, ainsi s’ouvre son propos. Clair, précis, concis… et avant de dérouler un message incroyablement beau. Dois-je dire que certains passages m’ont fait monter les larmes aux yeux ? Certainement. Patrick nous livre dans cette préface un message de force et de beauté, où l’imaginaire y est décrit comme un lieu en résonnance, où sa propre histoire peut s’accorder avec une autre qui ne nous appartient pas forcément. C’est un espace de construction, de partage, où certaines idées pour lesquelles on se bat peuvent trouver place et se déployer. Il parle de sa découverte amoureuse avec Margaret Killjoy, auteure transgenre, musicienne, engagée, féministe et s’appuie sur ses écrits pour nous expliquer ce qu’est finalement l’anarchisme dont il est question ici dans ce livre, le message que Margaret veut nous faire passer à travers celui-ci.
Ici, nous ne sommes pas dans ce monde chaotique, où plus rien ne tient entre l’homme et la nature, ici il faut apprendre « à penser en roseau ». Arrêter de verrouiller, cloitrer les institutions, la société mais au contraire épouser leur caractère changeant. Ce que veut nous dire Margaret, et notamment à travers cette fiction anarchiste, c’est qu’une autre réalité est possible que celle de la contrainte et de l’immuabilité. Il existe autre chose au-delà de l’État et ce n’est pas juste un rêve impossible. Cela peut devenir un récit commun et Un pays de fantômes incarne quelque part cette utopie. Patrick souligne à quel point à notre époque il est difficile d’écrire cela et que la force de Margaret Killjoy est de réussir à le poser, l’avancer avec brio et distinction. Je ne peux que rejoindre ce propos.
Le livre est en effet merveilleusement bien écrit et pensé. La plume est simple mais belle, nuancée et forte. Les personnages sont des identités fortes dans le meilleur comme dans le pire. Cependant, ils restent toujours compréhensibles et leur comportement est toujours expliqué et justifié. Ce sont des psychologies marquées mais pas sans raison. Tous ceux qui se trouvent du coté impérialiste incarnent l’autorité gratuite, l’usage de la force, l’aveuglement de principe et la cruauté des actes, alors que les résistant.es, les milicien.nes sont porteurs.euses d’une forme d’intelligence raisonnée, logique, presque évidente mais toujours sensée. Chaque portrait, chaque échange a son intérêt et contribue à faire évoluer la pensée de notre personnage principal Dimos Horacki. J’ai trouvé vraiment intéressant de voir sa manière d’évoluer. Au fur et mesure du récit, on sent que son regard change, qu’il reconsidère tout ce que l’empire lui a bêtement inculqué et qu’il comprend que finalement la vie qu’il a mené jusqu’alors n’est pas celle qu’on a voulu lui faire croire comme idéale et légitime. La vie est autre et, ça, c’est dans sa rencontre avec les milicien.nes des Cerracs qu’il peut le saisir.
Indépendamment de tout cela, le récit est aussi prenant et s’installe très vite, ce qui, vue le nombre de pages du livre, est une bonne chose. Nous plongeons directement dans la force du propos de cette histoire, qui reste à sa façon épique. Même si le fond peut paraître très philosophique, le livre est malgré tout divertissant, jamais pompeux et se dévore sans difficultés, tout en enrichissant. C’est là un tour de force de Margaret Killjoy.
Ce livre est clairement de ceux qui ne laissent pas indifférents. Nous devons, comme Dimos Horacki, changer nos perspectives, croiser nos regards et inventer, proposer, échanger… et laisser le dictat aux trop réalistes. Grâce à lui, nous prenons conscience que nous devons essayer de réapprendre à vivre en dépassant cette réalité que nous connaissons déjà trop bien, celle du cloisonnement.