Lilith – George MacDonald

Avec Lilith, les éditions Callidor, dans la collection L’ âge d’or, poursuivent leur exploration des classiques et des précurseurs de la fantasy anglo-saxonne.

« Le miroir empoussiéré que M. Vane vient de découvrir dans son grenier n’a rien d’ordinaire. Il semble dévoiler un monde inconnu, hypnotique. En le traversant, Vane pénètre au cœur d’une contrée sauvage, spectrale et symbolique de rêves éveillés . Avec pour seul guide un corbeau qui prend volontiers l’apparence d’un homme, il y parcourra bien des lieux étranges. De la Forêt Maléfique à la Cité Céleste, sa quête le conduira vers un ailleurs aussi singulier qu’insoupçonné, où s’étend le royaume de celle dont les yeux ressemblent aux profondeurs d’une nuit sans étoiles : Lilith, la reine des Enfers.

En plus de constituer une relecture originale de l’histoire de la première femme d’Adam,Lilith est aussi le roman d’un itinéraire spirituel, d’une quête initiatique et identitaire. Préfacée par Lin Carter — célèbre éditeur de l’imaginaire —, et illustrée par Luciano Feijâo, cette édition propose de célébrer le bicentenaire du premier des pères fondateurs de la fantasy moderne, le mentor de Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles),  la première source d’inspiration de C. S. Lewis (Le Monde de Narnia) : l’Ecossais George MacDonald. » (Quatrième de couverture)

« Quelques pâles rayons de soleil traversant les nuages faisaient flotter dans l’air de petites particules et allèrent se poser sur un grand miroir empoussiéré, démodé et assez étroit ; un miroir ordinaire, apparemment. Son encadrement d’ébène était surmonté d’un aigle noir aux ailes déployées qui tenait dans son bec une chaîne dorée à laquelle était suspendue une boule noire. »

Une ancienne demeure, une bibliothèque dotée d’une porte dérobée, un fantôme du nom de monsieur Corbeau qui, selon certains, ne serait autre que le diable ayant autrefois accompagné un aïeul du narrateur dans ses lectures impies, un miroir dans lequel apparaît un autre monde et à travers lequel il devient possible de passer, un volatile doté de parole, tels sont les éléments inauguraux de ce Lilith de George MacDonald, ancêtre de la fantasy et précurseur d’auteurs classiques et beaucoup plus connus comme Lewis Carroll et C.S. Lewis.

Comme souvent chez ces fondateurs anglo-saxons du genre, tout part d’un monde cossu, une ancienne demeure avec bibliothèque et fauteuil confortable, et se poursuit, tantôt de manière continue et tantôt par allers retours, dans un autre univers ou affleure sans cesse le merveilleux, avec des images poétiques (au cœur d’un piano, des jacinthes sauvages mêlées au mécanisme donnant à l’exécution de la mélodie sa pleine et entière douceur; un pigeon escaladant le ciel sur les spirales invisibles d’un escalier céleste, des vers se métamorphosent en créatures ailées et gagnent eux aussi l’éther) et d’autres plus inquiétantes, comme un cimetière infini ou la trop belle épouse du corbeau dont le lecteur pense un moment qu’elle pourrait bien être la mort elle-même – mais qui au fil du récit se révélera être une toute autre personne. Très vite, l’on comprend donc que l’on est dans le monde à double face des conte  où la luminosité magique côtoie les ombres les plus profondes, et où le trouble, le noir, l’effrayant n’hésitent pas à venir se mêler au merveilleux.

« Alors, poussant un hurlement terrifiant, surgit un énorme chat blanc venu d’on ne sait où ; son pelage moite était hérissé, sa queue raide comme un câble ; ses yeux verts étincelaient comme une chrysoprase ; il avait sorti ses griffes qui s’accrochaient au tapis, entravant sa marche. Il se dirigea vers la cheminée. Aussi rapide qu’une pensée fulgurante, le bibliothécaire lança le manuscrit entre l’âtre et le chat qui s’aplatit, les yeux rivés sur le livre. »

Cet autre côté du miroir, ce monde doté de lunes multiples apparaît comme un « jardin enchanté » trouble, une contrée oscillant entre le concept et le réel, entre le songe et la fiction allégorique. Sa découverte et son exploration par le narrateur ressemblent à un carrousel de pareidolies et des visions oniriques, avec fêtes nocturnes, danses macabres, combats de spectres ou de trépassés, carrosse fantôme, créatures merveilleuses ou monstrueuses, rencontres et évènements cryptiques, avec également des enfants – ou plus exactement des « petites personnes » –  nés dans les arbres et pour certains se transformant en brutes géantes après avoir cédé à des pommes tentatrices. Ces personnages existent-ils réellement ? Ils ne parviennent en tout cas pas à se définir, répondant aux questions du narrateur par un  « nous sommes ce que nous sommes » récurrent. La première partie du récit accumule ainsi les éléments en peinant à trouver une tonalité propre malgré la récurrence des apparitions du corbeau-bibliothécaire,  qui revient ici et là comme mentor épisodique, et l’on peut avoir par moments l’impression d’une série de séquences ou de scènes formatées à quelques pages plus que d’une réelle trame narrative. Mais, très rapidement, cette impression va s’estomper.

« Je crus d’abord que leur sommeil était celui de la mort mais je compris bientôt qu’il s’agissait de quelque chose de plus profond encore, quelque chose que je ne connaissais pas. »

C’est lorsque se profile à l’horizon la ville de Bulika que le roman trouve son argument et sa ligne directrice, et avec l’apparition de Lilith, femme vampire qui tient la ville sous son joug, jouant de l’éternel phénomène de servitude volontaire de ceux qui croient avoir plus à perdre qu’à gagner en s’ouvrant au monde extérieur. Une pointe swiftienne, peut-être, dans la découverte par le narrateur puis par les « petites personnes » de cette étrange société, de cette étrange ville où nul étranger n’est le bienvenu et où nul voyageur ne saurait avoir envie de rester.

Bulika, ville de Lilith, cité du mal ? Rien n’est si manichéen dans ce roman de Georges MacDonald. Dans le monde qu’il imagine, le bien et le mal semblent osciller perpétuellement au sein des mêmes individus, un phénomène encore amplifié par le regard et la perception d’un narrateur qui peine à saisir l’essence cachée des choses. Un narrateur dont la personnalité demeure en effet insaisissable, un narrateur qui le plus souvent semble ne pas connaître la peur et qui – comme dans les rêves – ne s’étonnent jamais vraiment des scènes dont il est tantôt témoin et tantôt acteur. Sa naïveté le pousse à se jeter sur simple injonction dans des traquenards que le lecteur imagine fatals, mais qui ne le sont jamais entièrement. Au péril de sa vie, il reste étrangement accessible à la pitié, même pour les créatures des ténèbres dont il a saisi la malveillance et la duplicité.

« Toute la nuit, il se produisit apparemment quelque chose dans la maison, quelque chose de silencieux, quelque chose de terrible, quelque chose dont ils ne devaient pas avoir connaissance. »

Dans ce qui apparaît en même temps comme un voyage initiatique et un itinéraire philosophique, les dialogues – par exemple avec le corbeau qui semble détenir à la fois les clefs et logique d’un étrange pays – ont une importance particulière, souvent riches et inventifs, même s’ils n’ont pas l’exquise fantaisie de ceux d’un Lewis Carroll. Il est souvent question des sens différents que l’on donne aux mots, ambiguité que l’on retrouve au fil du récit dans le caractère trouble et poreux de la frontière entre le néfaste et le bénéfique, la valse-hésitation perpétuelle entre le bien et le mal. De fait, ce  Lilith, où transparaît souvent l’aspiration à une impossible douceur, est avant tout une histoire de rédemption axée sur  une conviction profonde de MacDonald qui, explique la traductrice, considère que le salut serait universel et accordé au diable lui-même. Cette idée que le mal puisse être extirpé d’un individu à la manière d’un parasite ou d’une tumeur, cette rédemption de ce que l’on aurait pu considérer comme le mal à l’état pur marque profondément l’ouvrage et pourra être vu par certains comme une limite, celle des ouvrages qui, trop emplis de conviction, de religion ou de morale (on peut penser à Sylvie et Bruno de Lewis Carroll) perdent une part de leur intérêt narratif. Pour autant, ce « Lilith » demeure une œuvre à part et présente un intérêt unique dans l’histoire du genre. Cette belle édition est agrémentée d’une préface de Lin Carter, dont la science se révèle assez superficielle et dont les approximations sont relevées et corrigées par les notes de la traductrice Françoise Dupeyron-Lafay. Cette dernière, qui livre également une belle postface, a eu la bonne idée de faire figurer au fil du récit, en notes de bas de page, éclairant et soulignant les influences de l’auteur, ses références littéraires ou le plus souvent bibliques, peu évidentes pour nombre de lecteurs contemporains. Comme toujours aux éditions Callidor, la réalisation de l’ouvrage est particulièrement soignée, avec couverture à rabats et à vernis sélectif, pages de garde noires ornées de motifs et illustrations intérieures de Luciano Feijao.

George MacDonald, précurseur de Lewis Carroll et de C.S. Lewis, a écrit avec Lilith un roman étonnant, atypique et particulièrement intéressant pour qui s’intéresse à l’histoire du genre. Une belle et utile réédition aux éditions Callidor.

Titre : Lilith
Série :
N° du tome :
Auteur(s) : George MacDonald
Illustrateur(s) : Cyril Terrier, Luciano Feijao
Traducteur(s) : Françoise Dupeyron-Lafay
Format : Grand format
Editeur : Éditions Callidor
Collection : L'âge d'or
Année de parution : 2024
Nombre de pages : 380
Type d'ouvrage : Roman

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