Peux-tu tout d’abord te présenter et nous expliquer ce que tu/vous fais/faites dans L’Oscuru ?
Bonjour ! Moi c’est Marc’antone et je suis le chanteur guitariste du groupe.
Comment en es-tu venu au metal et plus particulièrement au post-metal ?
Pour ma part c’est un cheminement assez commun qui est intervenu à l’adolescence de manière conjointe à l’apprentissage de la guitare. On entre dans le monde du métal/hard rock par les portes assez communes que sont Metallica, Slayer, Slipknot, Pantera et tant d’autres groupes très connus puis au fur et à mesure on dérive vers nos styles de prédilection qui sont plus confidentiels pour le grand public. En ce qui concerne les autres membres du groupe il y a eu sensiblement le même parcours avec plus ou moins d’engagement envers ce style.
Ma porte d’entrée dans le monde du post-metal s’est effectuée via mon attrait très marqué pour le shoegaze, quel plaisir ça a été de découvrir naïvement qu’on pouvait allier métal et shoegaze !
Tous les membres viennent d’horizons assez différents en termes de métal comme le sludge, le black, le doom, le prog, etc. Il est apparu au fil de nos échanges qu’on tombait facilement d’accord sur des groupes comme Alcest, Amenra, Solstafir, Cult of Luna, Neurosis, Russian Circles et tant d’autres. Donc on s’est naturellement tourné vers ces sonorités tout en essayant d’avoir nos spécificités.
Comment est né le groupe ? D’où est venu son nom ?
Le groupe est d’abord né d’une amitié, nous faisions de la musique ensemble avec Julien (Guitare) et Baptiste (Guitare) depuis deux ans mais c’est en Décembre 2020 qu’on a décidé de donner un élan plus concret et sérieux à notre projet en contactant Nicolas (Basse) ainsi que Jean-Baptiste notre ancien batteur qui est resté un proche du groupe. Et c’est de là que nous avons loué et aménagé notre salle de répétition actuelle et que nous nous sommes structurés en association.
Le nom du groupe est tiré du titre « Chjaruscuru » (Clair-Obscur en français) du groupe Canta u Populu Corsu et écrit par Natale Luciani un de ses membres fondateurs qui a été une figure majeure de l’île tant sur le plan culturel que sur le plan politique.
Cette chanson est la critique acerbe d’une période très sombre de l’histoire de notre île dite « Guerre fratricide » où plusieurs nationalistes se sont entretués sur fond de divergences politiques et de déviances crapuleuses. En tant qu’ancien militant du FLNC ce texte prend une dimension certaine et démontre une voie revendicative sur la question Corse complètement désintéressée, guidée par un idéal et non le profit.
De notre côté nous avons conservé L’Oscuru (l’obscur en français) avec cette idée que de l’ombre nait la lumière. Nous sommes éloignés de la dimension politique sans en être totalement détachés puisque dans nos morceaux on peut y lire certains constats sous-entendus par le biais de symboles et de métaphores, mais nous sommes d’avantage axés sur des problèmes de société comme la spéculation immobilière, la dépossession de nos terres au profit de ces mêmes spéculateurs, les dérives mafieuses ou encore la désertification rurale. Ces thématiques sont très présentes sur notre île mais ces thèmes se veulent universels et pas seulement propres à la Corse. Ce constat est assez pessimiste mais avec le clair-obscur nous nous inscrivons dans une dualité où l’optimisme a sa place.
Vous avez sorti un premier EP. Comment s’est passée la composition ? Qui écrit la musique, qui se penche sur les paroles ?
Dans la recherche de notre son, nous avons eu un réel travail collectif où nous avons beaucoup cherché, recommencé et même jeté ce qui était pour nous de bons morceaux, le tout dans un souci de cohérence, il n’est pas évident d’allier langue corse et métal et le défi résidait là-dedans.
Pour ce qui est des compositions et des textes c’est une charge que je porte seul dans un premier temps et ensuite chacun interprète ses parties et emmène ses idées que nous fixons ensemble afin que nos morceaux aient une couleur plus collective.
Votre particularité c’est d’écrire en langue corse. Pourquoi ce choix ? Comment est reçu le groupe justement en Corse ?
Il s’agit plutôt d’une évidence, il nous semblait naturel de nous exprimer dans ce qui est, pour certains d’entre nous, notre langue maternelle. Le socle thématique est d’ailleurs complètement lié à l’usage de la langue Corse. Par ailleurs cela ne nous empêche pas de puiser des références littéraires autres que locales comme Lovecraft, Sartre, Alan Moore…
Mais la question est pertinente dans la mesure où cette évidence n’en a pas toujours été une, il faut dire qu’en Corse pendant longtemps nous avons cantonné notre langue dans un style qui allie polyphonie et guitares et malgré quelques fulgurances comme le groupe Rialzu qui faisait de la prog façon Magma, nous avions eu peu de groupes qui se sont aventurés ailleurs. Aujourd’hui cela tend à changer et nous avons des musiques de niches qui utilisent la langue, même si bien évidemment cela n’a pas la popularité des groupes plus traditionnels. C’est un groupe comme Solstafir qui a changé la donne à nos yeux, ils chantent en islandais, on ne comprend pas la langue mais on la ressent, on vibre et ils jouent leur musique dans le monde entier, alors pourquoi ne pourrions-nous pas ?
Nous ne savions pas trop comment nous allions être reçus, le metal étant très peu populaire en Corse. Du coup être les premiers à allier post-metal et notre langue n’est pas évident. À notre grande surprise nous avons eu un très très bon accueil tant sur l’intentionnalité que sur notre musique à proprement parler, même de la part de nombreuses personnalités et d’artistes confirmés locaux qui ne sont absolument pas familiers de notre style. Notre plus grande victoire c’est surtout lorsqu’on nous dit que nous avons réussi ce mélange et c’est un compliment qui revient régulièrement, nous en sommes très fiers.
Où trouves-tu l’inspiration quand il s’agit d’écrire de la musique ?
L’inspiration du groupe s’inscrit beaucoup dans un imaginaire collectif basé sur des symboles et des croyances locales. Nous avons un nombre de mythes et légendes incroyablement riche mais aussi des pratiques païennes ancestrales encore présentes et qui se sont complètement fondues dans des pratiques chrétiennes.
Nous pouvons aussi citer nos paysages, qu’ils soient marins, montagneux ou forestiers certains dégagent une certaine puissance mystique très inspirante.
Nous avons un certain rapport avec la pierre, le bâti, comme en témoigne le visuel de l’EP.
À titre plus personnel il m’est impossible de ne pas ajouter mon village « Ghisoni » qui a été le lieu le plus marquant de mon enfance. Mon imaginaire s’y est beaucoup développé et comme tous les autres Corses je suis très attaché à mon village et m’y rend régulièrement. Les autres membres aussi ont un rapport fort avec leurs villages respectifs.
Avez-vous prévu de sortir des clips pour soutenir l’EP ?
Malheureusement nous n’avons pas de budget actuellement pour clipper cet EP. Nous voulions en produire un mais nous avons finalement concentré nos moyens sur la musique. Par la suite nous ferons notre possible pour avoir des clips et défendre ainsi de manière plus efficace notre musique.
Quels sont les prochains projets pour l’Oscuru ?
Nous entrons en studio au mois d’Aout afin de produire deux titres, une version acoustique d’un morceau de l’EP ainsi que, sans en dévoiler trop, un morceau qui a un rapport avec le Pays- Basque.
On peut vous voir où et quand sur scène ?
Nous sommes en train de finaliser le booking d’une série de concerts qui interviendront tout au long de l’automne et de l’hiver. Notamment sur Ajaccio, en Haute Corse aussi mais encore à Marseille. Si notre lancée est bonne nous ferons notre possible pour nous produire ailleurs !
Quels sont les derniers albums sortis à nous conseiller, vos inspirations et vos pépites ?
Neige du groupe Alcest, avec qui nous entretenons des liens d’amitié, nous dit avoir trouvé l’inspiration pour un morceau lors de son séjour en Corse et notamment lorsque nous lui avions fait découvrir les Calanches de Piana. Le groupe est actuellement en phase d’enregistrement alors on vous conseille de vous ruer sur l’album dès qu’il sort !
Nos amis basques du groupe Botakantu ont sorti leur premier album « Goizetik Gaurea » qui est vraiment rafraichissant. C’est de la musique traditionnelle basque avec une approche très actuelle, en tant que corses on y est sensibles ! Je l’écoute vraiment régulièrement, foncez écouter ça !
En même temps que notre EP, il y a eu une autre sortie notable d’un groupe de rock alternatif ajaccien qui s’appelle Vanguardia et qui chante aussi en langue corse, très influencés par des groupes comme Foo Fighters, Radiohead et The Strokes. La prod est vraiment qualitative, vocalement et musicalement c’est très pointu, un premier album éponyme plus que convainquant !
Un petit clin d’œil aussi au duo bastiais ELPA qui fait de l’electro avec un chant en langue corse et qui a sorti en Juin un premier single « OBD » faisant office de BO pour un documentaire explorant le milieu gay en Corse et sa diaspora. C’est un sujet qu’il est important de mettre en lumière dans notre société insulaire qui préfère parfois taire de telles problématiques.
Nos albums pépites/inspirations:
– Kodama – Alcest
– Mass VI – Amenra
– Otta – Solstafir
– Rinvivisce – Canta u Populu Corsu
– Mariner – Cult of Luna et Julie Christmas
– 10,000 Days – Tool
– In Veru – Tavagna