Le dernier roman d’Hélène P. Mérelle, sorti chez Bragelonne, Le Sang et la Chance, m’a totalement séduit de la première à la dernière page. Proposant une fantasy antique ancrée dans la période Hittite, une histoire passionnante, des personnages forts et prenants, ce roman étonne et charme le lecteur. J’ai posé quelques questions à son autrice, afin d’en savoir plus sur son processus de création et sur la manière dont elle a bâti son roman.
Le Sang et la Chance se situe dans une époque hittite que je n’avais encore jamais vue utilisée en fantasy. D’où t’es venue la première étincelle de cette histoire ?
Je suis passionnée par les mythes, et au cours de mes lectures j’ai découvert le mythe hittite de Telipinu, qui m’a aussitôt paru constituer une parfaite intrigue de fantasy. Telipinu est le fils de Tarhunnir, le dieu de l’Orage. Il a disparu. Son père envoie à sa recherche des dieux, des hommes, et même une abeille ! Mais au bout de tous ces efforts, les retrouvailles se passent plutôt mal… Pour moi, c’est la trame idéale d’une quête épique.
Cette période est finalement assez mal connue, ce qui a dû te laisser pas mal de champ libre pour imaginer ton histoire. As-tu dû tout de même faire beaucoup de recherches ? Est-ce que écrire un roman ancré dans un passé réel est plus difficile que de le créer ex-nihilo de ton esprit ?
Au contraire, j’ai trouvé plus facile de pouvoir m’appuyer sur une civilisation déjà existante, avec sa religion, sa géographie, sa langue, sa structure politique ; cela m’a épargné l’étape du worldbuilding – la création d’univers, comme je l’avais menée dans L’Automne des Magiciens. Construire un monde, c’est passionnant, mais ça prend énormément de temps et d’énergie, et je ne l’avais pas à ce moment.
Pour ce roman, je me suis donc inspiré du réel. Avec le confinement, pas question de me rendre à Hattusa (en Turquie). Mais la période était aussi une chance : certaines revues, universités, ont mis en ligne leurs ressources gratuitement, et j’ai pu aussi récupérer beaucoup de photos de musées ou sites archéologiques. Il y a d’énormes lacunes de toute façon à propos des Hittites, et la plupart des témoignages sont ceux des Égyptiens (les scribes de Ramsès II) qui étaient leurs ennemis. Ils contiennent donc forcément une part de mensonge et de propagande. Cela me donne en quelque sorte le droit de mentir à mon tour, car je ne prétends pas être historienne, et je fais des entorses à la vérité historique chaque fois que mon intrigue le nécessite.
Comment as-tu conçu les cinq, voire six, héros de ton histoire ? Chacun a des traits de caractère bien à lui, il est facilement identifiable, et pourtant ne correspond pas totalement aux archétypes que l’on connaît. T’es-tu également inspirée de personnes réelles que tu connais ?
Jouer avec les archétypes, les inverser, c’est un vrai plaisir d’écrivain. Par exemple, dans la généalogie des rois hittites, on remarque de nombreux coups d’état familiaux : un frère ou demi-frère renverse le souverain, lui-même éliminant des cousins qui pourraient devenir des rivaux, etc. Rien de plus banal. On s’attend à ce genre de trahison, à la lecture. J’ai donc voulu créer au contraire une loyauté qui résiste à tout entre Milan et Chadran.
Les autres personnages sont construits de la même manière : ils possèdent une caractéristique essentielle à l’intrigue (guerrier, magicien, mentor…) mais avec une sorte d’écart par rapport aux attentes du lecteur : l’invincible guerrier est une guerrière, le magicien est un ivrogne…
Question subsidiaire : Si tu devais être un des personnages de ton roman, ce serait lequel ?
J’ai une tendresse particulière pour Vadir, le magicien, qui est toujours un apprenti malgré son âge et doute en permanence de ses capacités, de la réussite de ses sorts. Une sorte de syndrome de l’imposteur très semblable à celui de l’écrivain…