Débutée depuis octobre 2019 sur le site de la BNF (ndlr : Bibliothèque Nationale de France) François Mitterrand, l’exposition Tolkien Voyage en Terre du Milieu a déjà accueilli des milliers de visiteurs dans ses salles, pour une plongée au cœur de l’univers ainsi que des écrits et des dessins de J.R.R. Tolkien. Soulignons le partenariat avec la Bodleian Libraries, University of Oxford, qui a prêté dessins et manuscrits autographes de l’auteur, permettant de présenter au grand public ce que seuls certains érudits et chercheurs ont eu l’occasion d’étudier.
Chères lectrices, chers lecteurs familiers de l’univers de Tolkien, l’orthographe et la traduction de certains noms propres et noms de lieu peuvent vous sembler étranges, voire incongrus, surtout si vous n’avez pas lu la nouvelle traduction de Daniel Lauzon chez Christian Bourgeois sur laquelle l’exposition s’appuie, ainsi que moi-même. Ne vous étonnez donc pas que certains d’entre eux changent.
Un voyage en Terre du Milieu :
L’exposition, divisée en deux parties, débute par une introduction à l’oeuvre de Tolkien ainsi qu’une chronologie de son univers – très utile si on ne veut pas se perdre dans l’enchaînement des événements. Le commissariat d’exposition ainsi que les contributeurs se sont appuyés sur les romans phares prenant pour décor la Terre du Milieu : Le Silmarillon, Le Hobbit et bien entendu Le Seigneur des Anneaux – nouvelle traduction.
La première partie de l’exposition a été voulue comme une pérégrination en Terre du Milieu dans les traces des Hobbits, Bilbo et Frodo tout particulièrement. C’est donc dans le Comté, terre verdoyante aux habitants enjoués – qui n’est pas sans rappeler l’Angleterre rurale, que l’on débute notre voyage. Bien entendu, notre voyage n’aurait pas eu la même saveur si dans une vitrine n’était exposé le fameux incipit “Concerning Hobbits” ; texte manuscrit qui m’a tant terrorisée dans mon adolescence avec ses cinquante pages de descriptions. Aujourd’hui, c’est avec joie que je m’y replonge.
Le chemin se poursuit plus loin chez les Elfes, à Fendeval chez Elrond ou plus loin dans la Lórien chez Galadriel. On nous présente leur histoire, complexe, ainsi que leurs langues et leurs parenté – qui l’est encore plus. Il faut souligner la contribution de Tolkiendil, association pour la promotion de l’oeuvre de Tolkien, à l’élaboration d’un schéma explicatif sur les langues, ainsi que la conférence de Damien Bador “L’invention des langues”.
Après les Elfes, ce sont chez les Nains et dans leurs colonies que nous faisons une halte. La Moria, Erebor, les Montagnes Bleues. Sur un mur, la reproduction de la porte de la Moria saute aux yeux ! Grandeur nature, elle couvre de ses fines arabesques blanches la cimaise bleue. Toujours dans les traces des Hobbits, et à fortiori Merry et Pippin, nous rencontrons les Ents, gardiens de la forêt. Les forêts sont des éléments importants de l’oeuvre de Tolkien, lieux de vie des Elfes, de Tom Bombadil mais c’est aussi sous les sombres frondaisons de Grand’Peuron que Sauron a élu domicile un temps.
Nous traversons ensuite les royaumes des Hommes : le Rohan et le Gondor. Les premiers sont présentés comme de grands cavaliers et guerriers tandis que les second vivent dans la marmoréenne Minas Tirith et luttent désespérément contre le Seigneur Sombre et ses sbires. L’ombre de la bataille des champs du Pelennor surgit au détour de l’échiquier dit de Charlemagne (magnifiques pièces d’échec sculptées dans de l’ivoire datant de la fin du XIe siècle !) et de la gravure de Martin Schongauer représentant un éléphant.
Mais nous ne sommes pas encore au bout de notre périple, il nous faut encore traverser Isengard. Là, nous nous interrogeons sur le pouvoir et la corruption qu’il engendre, même chez les êtres les plus sages. Puis il nous faut pénétrer en Mordor, et regarder Gollum jeter l’Unique dans le Mont Destin. Le poème de l’Anneau, déclamé en français, anglais et noir parler, pèse sur nous autant que le fardeau de Frodo se fait de plus en plus lourd au fur et à mesure de son avancée sur les terres de Sauron. Enfin, au bout du chemin et du voyage, arrive la délivrance, le salut : Valinor et ses côtes, paradis des Elfes, lieu de leur dernière demeure. Ainsi se clôt la première partie de l’exposition.
Tolkien : l’universitaire et l’écrivain :
La deuxième partie de l’exposition revient sur l’homme qu’a été Tolkien.
Universitaire d’Oxford, brillant philologue, il appartient à un cercle : les Inklings, actif dans les années 1930 et 1940, qui compte dans ses rangs un autre auteur de fantaisie : C.S. Lewis. Bien entendu, il faut aussi souligner que Tolkien n’a pas seulement écrit sur la Terre du Milieu. Il a également beaucoup écrit pour ses enfants (qui étaient aussi les destinataires de ses romans sur la Terre du Milieu) : Les lettres du Père Noël, Roverandom, Le fermier Gilles de Ham.
L’exposition se termine enfin par un hommage rendu à Christopher Tolkien. Il n’a eu de cesse d’œuvrer depuis la mort de son père de trier, mettre en ordre, compiler et publier ses écrits scientifiques (Beowulf) et fictionnels (Les enfants de Hurin).
Les points noirs :
Comme partout ailleurs, rien n’est parfait et l’exposition ne fait pas exception.
Commençons par le sous-titre de l’exposition “Voyage en Terre du Milieu”, racoleur et vendeur. Il attire tout une faune de gens qui n’ont pas forcément lu les livres (ce qui est plutôt bien en soi) mais qui pensent parfois que les objets présentés, tout particulièrement les armes et armures, sont ceux des films… L’autre effet du sous-titre est de faire croire à une exposition grand public, car elle se veut grand public, mais elle ne l’est pas. C’est une exposition qui étudie l’oeuvre écrite et dessinée de Tolkien et je ne suis pas sure que la grande majorité des visiteurs ait lu ses romans. Une des dernières contraintes de ce sous-titre, (qui ne ment pas sur le contenu, je tiens quand même à le préciser) est l’affluence engendrée. L’affluence dans les premières salles de l’exposition nuit au confort de visite, on se bouscule, on fait la queue pour apercevoir un bout de dessin dans une vitrine. Il faut attendre d’arriver à la partie consacrée aux Elfes pour pouvoir respirer et circuler de manière plus fluide. La fin de l’exposition, notamment la salle où sont présentées les ouvrages importants pour la carrière universitaire de Tolkien (L’Edda, Le Kalevala, Beowulf illustré par William Morris), est déserte. Voilà qui est bien dommage.
Les points positifs :
Les objets présentés, manuscrits et dessins de Tolkien sont admirablement bien contextualisés par les œuvres réunies par la BNF. Deux petites scènes de genre de Teniers le Jeune ont été prêtées par le musée du Louvre. Le Musée de l’Armée ainsi que le Muséum d’Histoire naturelle viennent aussi grossir la liste des prêteurs. La BNF a sorti pour l’occasion de nombreux manuscrits médiévaux, ainsi que des gravures des maîtres allemands du XVe et du XVIe siècle, mais aussi de très beaux livres issus de la réserve des livres rares dont trois ouvrages écrits ou illustrés par William Morris (un régal pour les yeux). Notons également la présentation au public des tapisseries de la Tenture de Tolkien tissée par la Cité internationale de la tapisserie. La muséographie est, elle-aussi, d’une grande qualité. Les espaces entre les différentes thématiques sont bien délimités, les explications claires (en français et en anglais). Enfin, j’ajoute une mention spéciale pour la programmation du cycle de conférences qui explore l’oeuvre de Tolkien sous différents angles (traduction, illustration, langues).
Tolkien Voyage en Terre du Milieu est une exposition à faire. D’une grande qualité, on se perd dans ce périple qui nous replonge dans des lectures qui ont bercé et bercent encore notre imagination.
Tolkien – Voyage en terre du milieu
Bibliothèque Nationale de France
Du 22/10/2019 au 16/02/2020