Ad Astra – James Gray [SECOND POINT DE VUE]

Le commandant Roy McBride est le meilleur astronaute de SpaceCom. Quand de mystérieuses tempêtes électriques frappent la Terre, le commandement le choisit pour une mission particulière : se rendre sur Mars afin d’envoyer un message vers Neptune, berceau de la menace, où le père de Roy a disparu des années plus tôt.

Le réalisateur James Gray n’est plus un débutant : en 1994, il a signé Little Odessa, polar souvenir sur le quartier homonyme de New-York. Depuis, il navigue entre les genres, du thriller au polar, en passant par le film historique ou, plus récemment, le film d’aventure. Ad Astra est sa première incursion dans la science-fiction. C’est aussi son premier blockbuster (gros moyens, gros casting, grosse promotion). Le virage n’est pas une évidence pour Gray, qui a ses thématiques affirmées et n’a rien du “yes man”.

Comment négocie-t-il ce virage ? Il parvient à garder un passionnant équilibre entre nécessité de grosse production et richesse du récit, sans jamais sacrifier son style à rebours des films standardisés du moment.

L’ouverture d’Ad Astra en est le parfait exemple. Roy McBride (Brad Pitt) travaille sur une super antenne à des milliers de kilomètres du sol quand la première tempête électrique frappe la Terre. C’est le sentiment de vertige qui impressionne le spectateur aussitôt : la caméra embrasse le décor proche et le héros avant de basculer vers la Terre, sa beauté, son éloignement aussi. La catastrophe frappe, McBride saute dans le vide et après un moment collé à son acteur, Gray élargit à nouveau le champ, nous fait prendre conscience du danger, mais aussi du calme méthodique de McBride qui, à peine au sol, va subir un débriefing froid et désincarné. En une séquence, il a cerné l’enjeu (la menace), son héros et a imposé sa narration. Impressionnant.

L’intrigue commence ensuite avec la mission en route pour Mars. Ad Astra lance alors un voyage initiatique où le périple a autant d’importance que sa conclusion. Il y impose un visuel léché où il magnifie ses paysages et n’hésite pas à coller au plus près de son héros.

C’est d’abord et avant tout un film centré sur Roy McBride. Le commandant est un homme froid, calculateur, un professionnel investi à 200% dans son travail et sa quête. Cette notion de quête est au cœur du récit : cherche-t-il à prolonger sa quête familiale ? Celle de l’humanité ? Sa quête personnelle afin de savoir qui il est et ce qu’il veut devenir ? Les trois vont s’entrechoquer et se répondre, aussi bien à l’écran que dans les monologues de McBride, homme seul face à son destin. C’est cette solitude qu’Ad Astra transcrit à merveille dans sa deuxième partie par une ambiance générale qui finit par peu à peu déborder de tristesse et de spleen : c’est déprimant de voir que les travers humains ont pris le pas sur le rêve – le voyage de pionniers transformés en vols payants, le malheureux passage sur la Lune.

Brad Pitt retranscrit à merveille, dans son jeu, ce désenchantement. Caché derrière une carapace de mutisme, il fend parfois l’armure, sur Mars par exemple, et révèle alors des sentiments très forts. Cette capacité de l’acteur rappelle ses performances de jeunesse, Joe Black par exemple, où la froideur pouvait être débordée par la passion.

L’aventure connait le même cycle dépressif : dans sa première partie, Ad Astra est bousculé par les scènes d’actions et les scènes évocatrices. La séquence de poursuite lunaire, surprenante dans son contexte et sa résolution, n’a pas la puissance de celle de La nuit nous appartient du même réalisateur, mais donne un bon coup d’accélérateur au montage. Pourtant, ce rythme va se déliter à mesure que le voyage progresse jusqu’à une deuxième partie où le héros sera seul face à lui-même.

Jusqu’à son arrivée sur Mars, McBride va se heurter aux personnages secondaires qui sont liés à ses préoccupations : l’équipage du Cepheus est composé d’astronautes qui obéissent sans réfléchir, reflet de ce SpaceCom qui exerce un capitalisme débridé dans l’espace et monétise le regard de l’humanité sur les étoiles ; Donald Sutherland représente la génération d’avant, celle des rêves brisés, mais qui ne peut s’empêcher de continuer ; Ruth Negga plonge McBride face à son père et introduit, elle, le sentiment de revanche vis-à-vis de la génération passée qui a échoué et causé bien des ravages. Tous ces archétypes renvoient à des réalités actuelles à l’heure où les missions spatiales s’apprêtent à devenir les fers de lance d’entreprises privées et où la contestation climatique dénonce les générations qui n’ont pas agi. Ad Astra remplit ici un objectif fort de la SF : raconter demain pour parler d’aujourd’hui. Ces problématiques globales épousent la quête personnelle de McBride, sans prendre le pas sur elle. Celle-ci rappelle beaucoup Apocalypse Now, comme l’a rappelé Martin dans son autre chronique, mais elle me semble moins jusqu’au-boutiste. Coppola fait de l’opposition Kurtz/Willard le sommet de son film là où Gray fait de son opposition une simple libération.

Dans son précédent film, Lost City of Z, il montrait comment la quête obsessionnelle de l’aventurier Percy Fawcett pouvait ruiner la vie d’un homme, devenir une impasse pour sa famille et sa carrière. En miroir, celle de McBride va le pousser à lâcher prise, lui montrer que l’obsession est un piège dont il faut parfois se libérer pour avancer. Les dernières images d’Ad Astra vont complètement dans ce sens : l’avant-dernier plan montre un McBride heureux avec le visuel le plus lumineux – et le moins terne – du film ; le dernier montre enfin le personnage de Liv Tyler sans flou, pour la première fois de face. McBride a appris à vaincre ses démons dans une épreuve difficile et personnelle. Il doit maintenant essayer de (re)vivre. Si ce n’est pas le seul message final du film, c’est sans doute le plus positif.

Conclusion

Ad Astra est un film de James Gray, c’est une évidence. On y retrouve ses thèmes chers, son personnage principal complexe, ses doutes et ses élans. C’est à mon sens un film important, car il marie parfaitement ses talents d’auteur avec les contraintes du blockbuster. Le voyage vaut le coup : il délivre un vrai message et quelques très beaux morceaux de bravoure au milieu d’un film de SF plus psychologique. J’en ferais assurément un de mes films de l’année !

Ad Astra

Réalisé par James Gray

Avec Brad Pitt, Donald Sutherland, Tommy Lee Jones, Liv Tyler, Ruth Negga

20th Century Fox

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