Quelle étrange ironie de constater à quel point le nouveau péché de Behemoth était attendu comme le Messie… jusque dans les rangs des chroniqueurs d’eMaginarock ! Depuis quelques années, le trio/quatuor polonais occupe le trône du metal extrême. Les épreuves traversées par Nergal l’ont propulsé au rang de héros aux yeux des fans, et le bougre en profite pour répéter à l’envi sur toutes les scènes du monde à quel point c’est bon d’être vivant. De là à y voir une sorte de Charles Trénet sataniste, il y a là un pas que je laisserai à d’autres le soin de franchir.
Si Adam Nergal Darski a de bonnes raisons de se réjouir, en tant que leader d’une des formations les plus respectées et adulées de ces dernières années, Behemoth n’a pour autant jamais caché son aspect blasphématoire et revendicatif. Mais bien plus encore, le groupe est capable de composer des titres et des albums qui rendent justice à son message. Après avoir vaincu le dragon, Nergal, aidé de ses comparses, nous a donc ébloui en 2014 avec The Satanist, un chef-d’œuvre qui valu aux Polonais les éloges de la profession et des fans, et les foudres des institutions religieuses. On comprend dès lors que la nouvelle d’un nouvel album ait provoqué une attente aussi énorme, et de nombreuses interrogations. Comment succéder à The Satanist ? Fallait-il suivre la même formule musicale de manière paresseuse, ou créer quelque chose de nouveau au risque de se planter ? ou encore, revenir à des sonorités plus proches de Satanica ou Zos Kia Cultus ?
Toutes les réponses sont désormais dans cet onzième album, intitulé I Loved You At Your Darkest, d’une citation biblique attribuée à Jésus. Une traduction libre tirée de Romains 5:8, et qui montre une nouvelle fois que Behemoth – et Nergal en particulier – aime à retourner les symboles religieux contre ceux qui les brandissent. L’intro de l’album en est un superbe exemple : un chœur d’enfants scande des paroles sacrilèges, reprises plus tard dans God = Dog. Si l’idée n’est pas nouvelle – le public du Hellfest se souviendra de la prestation de Ghost au Hellfest en 2016 -, elle prend une autre dimension au sein de la musique de Behemoth. Celle-ci sonne à la fois nouvelle et étrangement familière ; après son expérience au sein de Me And That Man, Nergal ne craint plus de mener Behemoth vers de nouveaux horizons musicaux. On ne peut donc qu’être surpris de découvrir une nouvelle facette du groupe. De nombreux petits détails parsèment l’album et lui donnent une identité particulière : guitares acoustiques, voix claires (Bartzabel, décrite comme “la première ballade de Behemoth”), ou quelques riffs black’n’roll proches de Satyricon et Taake (If Crucifixion Was Not Enough). Behemoth n’en oublie pas pour autant d’être Behemoth, et les aficionados de death metal polonais pur et dur ont droit à leur part de blast beats. Mention spéciale à Havohej Pantocrator, la chanson la plus longue de l’album, qui voit le groupe s’aventurer dans un genre de black metal contemplatif et mélodique à la Dark Fortress époque Venereal Dawn, tout en y incorporant ses propres sonorités.
Sans totalement se réinventer, Behemoth montre qu’il en a encore assez sous le chapeau pour nous surprendre. I Loved You At Your Darkest n’est pas à aborder comme le successeur légitime de The Satanist : c’est un autre album, avec sa propre personnalité, tout aussi anti-religieux que son éminent prédécesseur sans le copier. Une flèche de plus à l’arc Behemoth, qui ressemble de plus en plus à l’étoile du chaos.
I Loved You At Your Darkest
Behemoth
Metal Blade Records
2018