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Sur une Lune où tout se vend, où tout s’achète, jusqu’aux sels minéraux contenus dans votre urine, et où la mort peut survenir à peu près à n’importe quel moment, Adrianna Corta est la dirigeante du plus récent des cinq «Dragons», ces familles à couteaux tirés qui règnent sur les colonies lunaires. Elle doit l’ascension météoritique de son organisation au commerce de l’Hélium-3. Mais Corta-Hélio possède de nombreux ennemis, et si Adriana, au crépuscule de sa vie, veut léguer quelque chose à ses cinq enfants, il lui faudra se battre, et en retour ils devront se battre pour elle…
Car sur la Lune, ce nouveau Far West en pleine ruée vers l’or, tous les coups sont permis.
Ian McDonald est un auteur irlandais extrêmement prolifique. Avec Luna, il débute une trilogie de science-fiction qui se déroule un siècle après notre ère sur la lune, astre désormais colonisé et aux mains depuis une cinquantaine d’années de cinq grandes entreprises familiales prêtes à tout pour conserver leur monopole. Sur la lune, seule la loi des contrats prévaut, la notion de crime n’existe pas et les procès peuvent se régler sous forme de duels à mort. Les riches vivent dans les profondeurs, les pauvres au plus proche de la surface et sont exposés aux radiations et à de plus grands dangers. Les quatre fondamentaux, à savoir l’air, l’eau, le carbone et les données sont payants et chacun dispose d’une puce lui permettant de suivre en permanence ses jauges (un brin stressant). Chacun dispose également d’un familier, avatar en réalité augmentée lui permettant de suivre ses constantes vitales, de communiquer à distance mais aussi de s’informer en permanence sur ce qui l’entoure. C’est pourquoi les données sont vitales : en cas d’alerte générale ou de problème quelconque, c’est votre familier qui vous informe et vous indique la marche à suivre. Les mœurs y sont très ouverts, homosexualité, bisexualité, polyamour, hétérosexualité, asexualité et genres féminin, masculin ou neutre se vivent de la façon la plus naturelle du monde.
Tout terrien peut s’installer sur la lune et y tenter sa chance, cependant, au bout d’environ 2 ans, il doit faire un choix : rester à jamais sur la lune ou rentrer sur Terre. La différence de gravité modifie en effet la densité osseuse jusqu’à un point de non retour, un point où rentrer sur Terre est synonyme de mort lente et douloureuse. Adieu ciel bleu, océans, brise, animaux et air gratuit. Les premiers nés de la première et de la seconde génération, plus grands que les terriens, n’auront jamais la chance de connaître ces merveilles.
Si les trois familles pionnières, les MacKenzie, les Sun et les Vorontsov, se sont installées sur la lune avec force moyens, les Asamoah et les Corta sont quant à eux issus d’immigrés venus sans le sou et s’étant fait une place à force d’ingéniosité sur la société lunaire, ce qui ne fut bien évidemment pas au goût des pionniers. Et ils rejouent ici l’éternel jeu du pouvoir, sur fond de rancœurs vielles d’un demi-siècle et de fierté mal placée.
Dans ce premier tome, on suit essentiellement les pérégrination de plusieurs membres de la famille Corta : du petit fils, jeune premier immature imbu de lui-même, au second fils ombrageux, à l’esprit tactique froid et jaloux de son aîné, à la fille, avocate tout aussi brillante qu’arrogante ayant pris ses distances avec l’entreprise familiale. Mais on suit également une nouvelle venue tout droit débarquée de la terre et, à l’occasion, des personnages issus d’autres familles. C’est au niveau des personnages que le bât blesse en premier lieu : ils ne sont pas inintéressants, pas mal construits mais caricaturaux avec des archétypes posés dès le départ, comme si le “rôle à tenir” de chacun devait être extrêmement clair le plus tôt possible pour ne pas perdre le lecteur. Ils représentent des archétypes tant et tant utilisés que l’on peut, pour l’instant, deviner évolutions et destins. Attention, cela n’empêche pas de s’y attacher ni d’être fortement impliqué dans des scènes de grande tension et la caricature peut réserver de bonnes surprises quand on finit par s’en éloigner. Ce n’est qu’un premier tome.
Mon deuxième problème recoupe le premier : l’usage de rebondissements “hollywoodiens” éculés, de “tropes” télévisuels clichés. Au vu des premières pages avec certains personnages, on peut s’imaginer aisément quelle sera leur grande scène dans ce tome, ou quelles dynamiques vont s’installer entre tel et tel personnage. Difficile d’en dire plus sans spoiler, mais on a tous vu deux personnages opposés qui se détestent, sont forcés de collaborer et finissent par se respecter, s’apprécier et se confier leurs plus profonds secrets. Et puis bon le méchant, que l’on voit venir à 15km, et qui révèle son plan à un personnage mal en point, que dire. C’est comme si l’auteur donnait trop vite en pâture au lecteur ce qu’il pense attendre, avec au programme sang et trahisons. Cela fonctionnera sans doute très bien avec certaines personnes, mais moins avec moi : j’aime être sincèrement surprise. Sur la quatrième de couverture, il est précisé que la trilogie sera développée en série TV et est comparée à Game of Thrones. Si je devais effectuer la comparaison, ce serait surtout face aux dernières saisons de la série, celles qui se sont éloignées de la complexité de l’oeuvre de George R. R. Martin pour donner au spectateur de grandes scènes tragico/héroïques. Mais oui, pour le coup, il n’y aura pas beaucoup de coupes à faire pour l’adaptation tant les scènes semblent paramétrées pour le format série.
Au-delà de ça il y a vraiment du positif. Ian McDonald développe un univers intéressant, le rythme et l’écriture sont bien maîtrisés et dynamiques, les dialogues et autres monologues intérieurs sont excellents, je ne me suis jamais ennuyée et je me suis retrouvée par moments les mains moites, à ne plus pouvoir lâcher le livre tant la tension était grande. Sachant que je partais avec un à priori plutôt négatif de ce côté-là après avoir lu Roi du matin, reine du jour et surtout La maison des derviches du même auteur, qui pour moi ont de gros problèmes de rythme, j’ai été réellement agréablement surprise.
Il y a des scènes émouvantes et incroyablement poétiques, des personnages forts avec une grandeur de l’âme comme Adriana Corta et une vraie profondeur. L’auteur sait transmettre la poésie des instants fugaces autour de l’odeur d’une tasse de café, du lever de la lune sur l’océan, d’une mélodie, et a également fourni un travail d’une grande qualité sur le corps et les sensations physiques éprouvées par les personnages : on est dans leur intimité la plus profonde sans qu’il n’y ait jamais rien d’outrancier. J’ai englouti les 458 pages de ce premier tome en trois jours et c’est avec plaisir que je vais m’attaquer au second. Après tout, il s’agit du premier tome d’une trilogie, celui qui pose les bases de l’intrigue et de l’univers, donc il y a encore largement le temps de voir les personnages se développer dans un sens que je n’imaginais pas, de voir l’intrigue prendre une tournure plus complexe et d’être réellement surprise.
Ma conclusion :
-Le premier tome d’une trilogie de science-fiction qui prend place dans un futur sans foi ni loi et sur une lune hostile à toute vie
-Un rythme bien maîtrisé avec son lot de rebondissements, de tensions mais aussi de poésie et de mélancolie
-Des archétypes et “tropes” éculés, très adaptés au format télévisuel, mais il reste deux tomes pour être surpris !
Retrouvez mes critiques du Tome 2 et du Tome 3.
Je vous laisse avec les premières pages.
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Luna – Tome 1 : Nouvelle Lune
Ian McDonald
Couverture illustrée par Manchu
Éditions Denoël, collection Lunes d’Encre
2017