J’ai très peu d’achat compulsif en matière d’œuvre littéraire, notamment en matière de manga ou de bande dessinée. Pour certaines œuvres dépassant la vingtaine de tome notamment, je préfère savoir ce que je tiens entre les mains avant de me décider de l’acheter.
Mais ça c’était avant que les éditeurs ne se décident à mettre des extraits gratuits d’une œuvre qui va sortir avec les livres achetés. C’est ainsi que j’ai découvert le premier chapitre de « Kasane la voleuse de visage » de Matsuura Daruma, paru aux éditions Ki-oon Seinen et dont je me suis empressée d’aller acheter le premier volume le jour J tellement je n’en pouvais plus attendre de lire la suite (le libraire a d’ailleurs dû ouvrir le carton et le cellophane comprenant le précieux bouquin devant moi, c’est vous dire.)
Le premier tome est paru en France en janvier 2016. En France, la série en est à son 12ème tome paru en juin de cette année 2018. Au Japon, la saga a pris fin au 14ème tome cette année.
Kasane est une petite fille à l’allure repoussante, moquée et harcelée par ses paires. Sa mère était une actrice de grande renommée dont la beauté et le talent n’avait aucun égal. Cette dernière est cependant décédée. Un jour, elle rentre seule chez elle, après avoir été frappée par ses camarades d’école et se souvient des mots de sa mère, et d’un mystérieux rouge à lèvre qui a le pouvoir d’exaucer ses désirs et de voler d’un baiser l’objet de ses convoitises.
Lors d’une pièce de théâtre pour la fête de l’école, dans le but de l’humilier, Kasane est forcée de jouer le rôle de Cendrillon. Elle découvre alors le pouvoir de son rouge à lèvre : D’un baiser elle peut intervertir les visages et les voix. C’est ainsi qu’elle décide de poursuivre le chemin de sa mère en devenant actrice. Comptant sur son extraordinaire don pour le théâtre, elle sera aidée par un homme mystérieux. Mais pour pouvoir monter sur les planches, le talent ne suffit pas, il faut la beauté.
Ce manga est un thriller psychologique riche. Le destin des personnages s’entremêle durant les prestations théâtrales. Le personnage de Kasane se construit au travers de ses rôles allant de Cendrillon durant le spectacle de primaire jusqu’au premier rôle devant une salle comble. Les rôles sont issus de pièces réellement écrites par des auteurs majoritairement occidentaux comme Shakespeare, Anton Tchekhov ou encore Tennessee Williams. A chaque pièce un nouvel enjeu, Kasane sera confrontée à des difficultés mettant en danger sa carrière d’actrice en menaçant le secret de son rouge à lèvre. Point d’orgue de sa carrière ou longue descente aux enfers, elle ressortira grandie et changée de chacune de ces expériences, prête bec et ongle à défendre son secret et assurer son bonheur sous les projecteurs. Mais quel est le prix à payer pour monter sur les planches en portant le visage d’une autre ? En tant que lecteur, on se sent l’envie de la voir atteindre ses rêves tout en attendant le jour de sa chute, si celui-ci survient.
L’auteure a un trait fin et raffiné. Un soin particulier est apporté aux visages des personnages. Si les personnages féminins sont d’une grande beauté, il est aisé de les différencier contrairement à d’autres mangas qui se contentent de changer la forme et la couleur des cheveux pour faire la distinction. Les personnages ont des courbes graciles avec une taille fine et des jambes très longues sublimées par des cheveux longs qui apportent du mouvement.
Madame Daruma soigne particulièrement les planches qui portent sur les pièces de théâtres mais aussi sur les réflexions, peurs et déterminations des personnages. Si le manga a un ton sombre dès son premier chapitre, celui ci s’accentue au fur et à mesure de la lecture. Plusieurs chapitres sont parfois volontairement adoucis pour nous, lecteurs et personnages, faire respirer et ainsi mieux resserrer l’étau ensuite.
De plus les expressions des personnages sont incroyables. Les émotions fortes comme la colère ou la haine sont retranscrits avec une telle violence. Les personnages féminins donnent souvent l’impression d’être irréelles, des anges parmi les Hommes, mais peuvent se transformer en démon dont on craint la puissance destructrice par leur seule détermination.
Il est très difficile de maintenir une telle tension sur une longue durée, mais l’auteure parvient à apporter des réponses et des nouvelles interrogations à chaque tome. Ce qui nous fait trépigner d’impatience jusqu’à la sortie du volume suivant pour enfin avoir de nouveaux éléments à nos questions et voir comment Kasane va se sortir de situations complexes.
Et pour cause, le lecteur est pris à parti pour chacun des différents personnages. Il est parfois le seul témoin de certains évènements ou de préparation de complot contre un autre protagoniste. Nous comprenons donc les motivations de chacun et il est difficile de prendre parti pour un personnage spécifique tant l’on a envie de tous les voir obtenir ce qu’ils souhaitent.
Tous ces éléments donnent une atmosphère de plus en plus pesante qui ne nous fait entrevoir que peu d’issues possibles pour la conclusion de l’histoire.
Avec 14 tomes, dont seulement 12 sortis en France en 2 ans (soit une moyenne d’un tome tous les deux mois). « Kasane la voleuse de visage » est une série à la longueur relativement moyenne mais qui parait horriblement courte.
Seule la conclusion de la série nous permettra de savoir si le talent dans le monde du spectacle, et dans la société tout court, n’est rien sans la beauté.