En m’intéressant à Blanche d’Hervet Jubert, aux éditions ActuSF, je m’étais attendue à recevoir une brique. Un de ces livres qui me sert lors de mes séances de yoga. Je n’ai pas été déçue : clairement, nous avons à faire à un mastodonte ! Quasiment 900 pages (ou 874 pour les plus pinailleurs d’entre nous). Bien sûr, cette taille s’explique par le contenu. Il s’agit d’une intégrale des enquêtes de Blanche, qui regroupe trois romans et une courte nouvelle :
- Blanche
- Blanche et la bague maudite
- Blanche et le vampire de Paris
- Le mystère de la femme sans bras
Les titres même de ces textes respirent les enquêtes policières, saupoudrées de fantastique. Ils ne mentent pas. Nous plongeons à l’aventure avec Blanche, une jeune héroïne, qui fête son dix-huitième anniversaire au cours du « tome 1 » (si l’on peut dire), et qui est passionnée par les mystères et les enquêtes. Son statut de femme, au XIXème siècle, marque un large fossé entre ses rêves (devenir une grande enquêtrice) et la réalité sociale. C’est ce que j’ai aimé au fil de ce livre : cet ancrage historique, qui est présent mais qui ne prend pas toute la place de l’intrigue. L’univers et le personnage de Blanche peuvent donc se développer avec finesse et de manière intéressante.
Afin de mener une critique la plus complète possible, je me propose m’attarder tour à tour sur les différentes histoires proposées dans cette intégrale.
Blanche (environ 300 pages).
L’histoire de Blanche commence simplement, par un concours de circonstances assez heureuses : alors qu’elle essaie de fuir de Paris, avec sa famille, pour échapper au siège des prussiens, la jeune fille se perd dans la foule et loupe son train. Ses parents ont embarqué sans elle ; elle ne peut les rejoindre ; la gare ferme ; les prussiens ont encerclé la ville.
Blanche se retrouve coincée dans la capitale. Heureusement, son oncle, Gaston Loiseau, commissaire de police qui lui a transmis le « virus de l’enquêteur », est resté à Paris. Elle le rejoint et découvre à la morgue un cadavre dont le bras gauche est tatoué d’un étrange tatouage. Le mystère est lancé et Blanche décide de le résoudre.
Ce roman est pensé comme une véritable série policière. Des chapitres courts, eux-mêmes divisés en scènes par des astérisques, et regroupés dans des parties d’une trentaine de pages. Cette structure et, surtout, l’action permanente font de ce livre un véritable page-turner. Je me suis vraiment retrouvée happée par les rebondissements et les nouveaux indices découverts par l’héroïne ou par ses acolytes.
Car oui ! Si Blanche reste la protagoniste principale, nous naviguons entre différents personnages. L’utilisation de la troisième personne permet à l’auteur de montrer plusieurs aspects de l’enquête, de nous donner des informations que certains personnages n’ont pas ou pas encore. C’est ce qu’on appelle l’ironie dramatique (Hitchcock en parle dans ses entretiens) et c’est très utilisé dans les films ou séries à suspens.
J’ai beaucoup aimé cette façon d’appréhender l’histoire. Mais il faut l’avouer : au début, j’ai eu un peu de mal avec les noms de personnages, assez abondants (entre les morts, les policiers, les amis de Blanche, etc). Par exemple, j’ai tardé à vraiment distinguer Léo et Lefebvre.
J’ai trouvé l’effet de l’huis clos très habile de la part de l’auteur car on se sent vraiment enfermé dans Paris, en proie avec l’assassin des tatoués. Cela m’a permis de découvrir un pan de l’Histoire que je ne connaissais pas et j’ai été d’ailleurs très enjouée en lisant les allusions à Victor Hugo ou en découvrant le personnage de Sarah Bernhardt.
Le dénouement de l’intrigue et de l’enquête (point essentiel dans ce genre) est très surprenant, je trouve, et bien amenée. J’aime ce côté un peu « gris », ces explications sur le pourquoi de l’assassin et cette conclusion en ouverture.
Blanche et la bague maudite (un peu moins de 300 pages).
Pour ce deuxième tome, je ne m’attarderai pas sur l’écriture et le découpage, qui ressemble fortement à celui du premier.
Après quelques temps passés en province, loin des tumultes qui agitent la capitale (après le siège prussiens, Paris connaît la Commune), Blanche, Gaston Loiseau et toute sa famille reviennent dans leurs appartements. Nous ne sommes plus dans un huit-clos ; nous ne sommes plus éloignés de la famille de l’héroïne ; et ce changement permet d’apporter de nouveaux personnages. J’ai beaucoup aimé découvrir la relation qu’entretient Blanche vis à vis de sa mère, la scène de repas durant laquelle Gaston Loiseau ferme le clapet aux parents de Blanche ou encore le personnage de la petite Berthe.
Il y en a bien un, Alphonse Petit, que je me dois d’évoquer : un jeune ingénieur sans le sous, qui fait battre le cœur de Blanche. Cet aspect m’a légèrement désappointée. Je n’ai pas trouvé leur relation très développée et j’aurais aimé les voir plus souvent ensemble, faire face peut être à des sentiments plus profonds.
D’anciens personnages reviennent également : Gaston Loiseau, comme je l’ai dit, gravite toujours autour de Blanche, et c’est par lui qu’elle tombe sur sa nouvelle enquête. Des cadavres décapités par une sorte de momie (qui porte un sabre). Des meurtres qui semblent liés à une ancienne affaire de vol. Gaston Loiseau prend plus d’importance dans ce deuxième : beaucoup de scènes lui sont entièrement dédiées (sans la présence de Blanche).
Le sort d’Émilienne, grande amie de Blanche, est également évoquée. Elle a été emprisonnée pour terrorisme et ne va pas tarder à être déportée. J’aime beaucoup ce personnage. Son sort m’a touchée et j’étais vraiment prise par cette « histoire secondaire », si on peut dire. Je voulais vraiment que Blanche parvienne à la sortir de là !
Des éléments flirtant avec le fantastique viennent parsemer ce récit, qui est un mix entre l’enquête et la chasse au trésor (c’est sans doute pourquoi j’ai préféré ce tome au précédent!). Les rebondissements finaux, sur l’identité de certains personnages, se voient venir ; mais ça n’a pas vraiment gâché mon expérience de lecture car je les ai trouvé très bien choisis !
Blanche et le vampire de Paris (environ 230 pages).
Blanche se marie. Ainsi commence ce troisième tome. Blanche Paichain devient Blanche Petit, liée à Alphonse Petit, que nous avons rencontré dans les tomes précédents. Elle emménage avec son époux et mène sa nouvelle vie de femme. Ce changement de décor (nous ne sommes plus dans l’appartement familial) marque également une distance avec sa famille qui n’apparaît que très peu au cours l’intrigue. Émilienne aussi emménage avec un homme, mais leur quotidien est bien moins rose que celui de l’héroïne : ils font face à la malchance et aux problèmes d’argent.
Je poserai ici le premier regret qui est apparu à la lecture de cette intégrale : certains éléments qui se rapportent plus à la vie quotidienne, il est vrai, qu’à l’intrigue (mais cela permet de développer les personnages et de s’y attacher) ne sont pas vraiment exploité. J’ai regretté par exemple qu’Alphonse Petit soit rapidement éclipsé du récit de part son départ à Londres, ou encore que Berthe, la jeune sœur, ne soit pas plus développée (elle s’intéresse de plus en plus à la religion ce qui inquiète sa sœur – leur relation et points de vue opposés auraient été, selon moi, un bon filon à exploiter) ; et enfin, surtout, le cas d’Emilienne qu’on ne croise très peu tout au long de ce tome et dont on ne sait, au final, ce qu’elle advient.
Le côté policier est toujours tourné vers le fantastique : des hommes sont retrouvés mort, le corps vidé de sang. On parle d’un vampire. Gaston Loiseau et Arthur Léo (devenu commissaire) sont sur la piste du tueur ; et Blanche, poussée par le destin et les heureuses coïncidences, le poursuit elle-aussi. Ils se rendent rapidement compte que tout le mystère tourne autour d’une blanchisseuse et d’un opéra.
Cet environnement est mis en valeur par le découpage. Les parties, évoquées précédemment, sont remplacées par quatre actes, plus longs, qui viennent scinder le livre. J’ai trouvé que cela apportait un petit plus à l’ambiance générale.
Mais je terminerai par poser mon deuxième regret. La fin. Ou plutôt, le choix final de Blanche. Sans spoiler, j’évoquerai simplement ma frustration et surtout mon incompréhension. Un choix qui pour moi ne rentrait pas du tout dans le caractère de l’héroïne. Mais peut-être, après tout, s’agit-il seulement de son évolution (je ne suis pas très convaincue).
Le mystère de la femme sans bras (nouvelle).
L’histoire prend place quelques temps après le premier tome. La Vénus de Milo a disparu du Louvre et un jeune peintre, Henri, vient demander l’aider à Blanche. Cette nouvelle joue vraiment de son côté fantastique, contrairement aux romans qui sont plus ambigus et qui ne l’abordent que par petites touches, toujours minimes. J’ai bien aimé ce parti-pris.
Voilà.
Concluons cette assez longue critique (mais ne s’agit-il pas d’une intégrale regroupant trois tomes et une nouvelle ?). J’ai beaucoup apprécié les personnages d’Arthur Léo, d’Émilienne et même de Berthe. Blanche et Loiseau, les deux héros, sont également excellents. Les intrigues sont très ficelées et parfois des détails se révèlent importants pour la suite, ce qui nous pousse à être très attentifs lors de cette lecture.
Un pavé comme celui ci m’a duré deux semaines et demi. J’ai préféré le tome 2, mais de manière générale, je conseille la lecture de cette intégrale qui est, somme toute, très divertissante.
Blanche
Hervé Jubert
Editions ActuSF