Rappelons rapidement le principe carnoplasto-fasciculaire de la collection décrit dans notre brève précédente :
Robert Darvel rêve un titre.
Fred Grivaud illustre ce rêve.
Enfin, un auteur rêve le rêve de ce rêve, et seul Belzébuth en personne sait ce qui pourra bien en résulter.
Pas ou peu d’information sur ces fascicules, c’est dont au lecteur, avant de choisir, de commencer à rêver ou rêvasser à partir de l’illustration et du titre, et, si l’ensemble lui paraît prometteur, de prendre l’audacieuse décision de s’y plonger. On est donc un peu dans le principe de la surprise – et même doublement, puisque le lecteur, s’il respecte l’ordre des pages, ignorera jusqu’au bout l’identité même de l’auteur – mais c’est là le propre de la littérature du genre, du moins la bonne, celle qui ne se contente pas de passer de stéréotype en cliché ou de déjà-vu en sitôt oublié.
Quatre nouveaux fascicules pointent donc le bout de leur nez cet été, et l’on n’a d’autre choix que de se livrer au jeu des devinettes. Premier fascicule, « L’Homme à la jambe de femme ». Avec un sabre dans une main et un poignard dans l’autre, l’homme a tout du « steel addict ». Peut-être dans sa frénésie de boucher-charcutier naval s’est-il coupé lui-même la jambe. Seuls les lecteurs de « L’Homme à la jambe de femme » le sauront – peut-être. On espère pour lui, en tout cas, que son tibia qui ressemble à une proue de navire, et qui évoque plus le bricolage surcoufo-steampunk que la tératologie suggérée par le titre, fonctionne comme il faut parce que le pirate n’a pas l’air d’être au bout de ses aventures. On devine quelque course au trésor, mais on ignore tout de la nature dudit trésor.
Se faire démolir le portrait par un violon, quelle importance du moment qu’il s’agit d’un stradivarius ? Pas de fausse note, en tout cas espérons-le, pour cette scélérate qui de toute évidence a une manière bien à elle de pratiquer la musique classique. Des bottes-cuissardes dont on ignore si elles appartiennent à l’attirail fétichiste ou à l’univers des mousquetaires, un fouet qui évoque plutôt un Indiana Jones, un masque qui oscille entre Marvel et Venise, on devine les déconvenues masculines, le récit composite, les mélodies tantôt guillerettes et tantôt funèbres, et pour finir le point d’orgue ou le coup de cymbales dans les mandibules.
Kirghizie ou Kazakhstan, steppes ou pôles : rien n’est sûr, en tout cas, au vu de la pelisse et de la chevelure, il y a au moins de la neige et une femme dans l’histoire. Ce qui expliquerait pourquoi l’on s’intéresse tant aux « Perles rouge de la déesse dragon » sans doute pour se faire un collier suffisamment visible par-dessus les épais manteaux fourrés de l’équipe d’explorateurs ou de chercheurs de trésors croquée par Fred Grivaud. Un dragon congelé dans les glaces ? Une déesse dragon elle aussi congelée ? Les perles rouges ne seraient-elles pas la cerise sur le glacis de la bûche glacée en forme de déesse dragon ? Le lecteur tirera la chose au clair en se plongeant dans le fascicule.
Les femmes sont à l’honneur encore avec « Le Monastère des femmes de cire ». L’illustration de couverture n’est pas sans évoquer les fameux Météores qui surplombent les plaines de Thessalie et où l’on montait personnes et victuailles à l’aide de sacs pendus au bout de cordes. Femmes de cire, pourquoi diable ? Sans doute parce que les prêtres orthodoxes ont décidé, dans ces lieux suffisamment élevés pour que nul ne les y entende crier, de les modeler à leur guise. On tremble à l’idée de magies anciennes et de golems contemporains et du funeste destin de jeunes et innocentes globe-trotteuses.
On pourra reprocher à ces fascicules la fragilité de leur couverture papier, mais leur avantage essentiel réside bien entendu dans leur faible encombrement. Avec un format de 11,5 x 18, une épaisseur qui n’excède pas les trente pages et un poids de quelques grammes, ils se glissent facilement dans une poche et n’alourdissent guère les bagages.
Soyez-en sûrs : ce n’est plus la mode des pavés qui n’en finissent pas, de ces « volumes » au sens propre du terme et de ces tirages à la ligne éhontés qui en plein été vous plongent dans des torpeurs hivernales, des stupeurs d’hébéphrènes et des figements de lézards. Terminé, donc, ces énormes volumes à l’écriture délayée, diluée, au long desquels de médiocres tâcherons rallongent la sauce. La mode est au minimaliste, au concentré, à l’essentiel.
Les lecteurs déjà chenus auront beau jeu de faire remarquer qu’autrefois, en des temps déjà lointains, l’on trouvait ce genre de petits fascicules en prime dans les étuis de casse-croûtes, l’on en recevait dans les stations-services en remerciement pour avoir fait le plein d’essence. Hélas, la marée montante des analphabètes et autres dyslexiques fait que l’on a depuis longtemps abandonné l’idée de distribuer quoi que ce soit de lisible au grand public. Pire encore : les rapaces du pétrole et de l’agro-alimentaire, dans leur grand élan fanatique pour la moindre bribe de dollar ou d’euro, ne risquent plus de faire le moindre cadeau à quiconque. Pour ces fascicules, il vous faudra donc débourser la somme symbolique de trois euros l’unité. Ce n’est pas cher payer pour un voyage dans le temps, ce n’est pas cher non plus pour de petits livrets délicieusement old-school qui ont quand même quelque chose de plus classieux que les habituels volumes pelliculés plastifiés aux couleurs criardes des vacanciers hideusement conventionnels.
Le Carnoplaste sur eMaginarock :
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