« C’est normal que tu ne comprennes pas. Cette carte date d’avant la chute des démons sur notre monde. »
Il fut un temps où l’homme de déplaçait par-delà les océans, où il n’y avait pas un seul peuple mais des centaines, et de nombreuses langues, de nombreuses coutumes, des lois différentes. Puis une guerre terrible a eu lieu dans les cieux et les dieux ont fait chuter les démons sur terre. Ces derniers ont failli anéantir les hommes, mais grâce au mythique guerrier Ramrowan et à l’Acier noir, ils ont été repoussés dans les flots. Depuis lors, les hommes vivent sur terre et les démons dans la mer. Une Loi extrêmement sévère régit les hommes, avec un système de caste solidement établi. Pour repousser les démons qui s’aventurent sur terre, pour faire respecter cette loi, pour remettre au pas les Châtelleries qui prendraient trop de pouvoir, Fort-Capitole, cité dirigeante du pays, dispose de soldats féroces, impitoyables et sanguinaires, les Protecteurs. Ceux-ci sont aidés par l’Acier noir et tributaires de pouvoirs données par le Cœur, un artefact magique qui leur donne une résistance à toute épreuve et des capacités de régénération surhumaines.
« Les récits ne relevaient pour lui que du mythe jusqu’au jour où il a découvert qu’une épée ancestrale avait choisi un petit garçon intouchable comme nouveau porteur. »
On le devine pas encore, même si certains, peut-être, le pressentent : cet ordre immuable pourrait bien basculer, cette Loi qui passe avant toute chose pourrait être un jour bafouée : dans la châtellerie Vadal, une épée d’acier noir, Angruvadal, tue ceux qui ne sont pas dignes de la porter. Mais c’est un être considéré comme ni humain ni vraiment existant, pas même un esclave, un simple intouchable, qui par erreur entrera en contact physique avec cette lame, sera acceptée par elle et deviendra son porteur. Un élu qui deviendra un Protecteur, bretteur d’élite sans peur ni pitié.
« De la foule de dieux que les vielles tribus vénéraient, j’ai entendu dire que certains connaissaient la pitié, voire même l’amour et la bonté. L’Oublié n’était pas de ceux-là. »
Que la maison Vadal ait ainsi offert son bien le plus précieux au pouvoir – le jeune Ashok et son épée mythique – tout en mentant sur l’origine et la nature de son porteur aura de terribles répercussions, qui peut-être auront été anticipées par ceux qui tirent secrètement les ficelles. Car, malgré un système particulièrement rigide de lois et de castes, il en est plus d’un pour comploter. À commencer par le vil et infâme Omand, grand inquisiteur à Fort-Capitole, qui vise le pouvoir suprême, mais Devadas, un Protecteur assoiffé de pouvoir, pourrait bien, lui aussi, mener un jeu particulièrement trouble. Les Assassins, dotés de pouvoirs magiques et dépourvus de scrupules, pourraient voir dans ces troubles l’occasion de restaurer l’ancien pouvoir de leur Châtellerie perdue. Loin aux frontières, le Prophète et les intouchables ne sont pas loin de bouleverser la Loi et l’ordre établi. Et un autre Protecteur du nom de Ratul, qui semblait savoir d’étranges choses et en aurait révélé certaines au jeune Ashok, que l’on dit mort et qui ne l’est peut-être pas vraiment, pourrait bien redistribuer fondamentalement les cartes dont croient disposer les uns et des autres.
« Ils exigent un paiement en acier noir ou en chair démoniaque. »
On le devine : si foison de personnages apparaît – dont Rada, jeune archiviste à Fort-Capitole, ou Jagdish, le gardien de prison déchu décidé à pourchasser Ashok jusqu’aux confins du monde – c’est essentiellement à travers l’odyssée d’Ashok Vadal que s’articule le récit, au présent et par l’intermédiaire de retours sur les années passées, dix-huit ans, vingt ans et vingt-cinq avant ces aventures. Un Ashok Vadal courageux jusqu’à la folie et impitoyable y compris envers lui-même : lorsque le secret de son origine lui est révélé et le pousse à commettre un crime, il se soumet de lui-même à la Loi et attend durant un an son châtiment en prison. Lorsque ce châtiment lui est secrètement prononcé par l’Inquisition et par son grand maître manipulateur et retors, il s’y soumet malgré l’infamie qui lui est demandée : s’enfuir et devenir le bras armé du Prophète, l’aider à lutter contre l’ordre établi. La Loi lui a demandé de se mettre au service de ceux qui la refusent. Il découvrira au fil de ses aventures bien des secrets cachés.
« Nous sommes tous deux des abominations, mais contrairement à toi je n’ai pas eu le choix. »
Dans ce monde encore barbare mais où se dessinent vaguement quelques mécaniques embryonnaires (dont une montre primitive) et où règne la magie, les aventures se succèdent et le sang coule à flots. Héroïc-fantasy sans complexe, sword and sorcery au sens premier du terme, « Le Guerrier oublié » prend directement sa source aux œuvres fondamentales du genre. Si l’on s’avoue moyennement convaincu par les combats contre les démons des premiers chapitres, sans doute la partie la plus faible du roman, la plume de Larry Correia, en parallèle à une intrigue qui ne fait que gagner en complexité, monte sans cesse en puissance. Combats acharnés, embuscades homériques, affrontements dantesques et aventures dans le plus pur style howardien accompagnent la maturation d’un personnage qui, comme certains héros howardiens également, s’humanise et ne fait que gagner en richesse et en complexité dans un monde qui n’est pas toujours ce qu’il paraît être.
« Je me nomme Ratul, gardien des noms, et je suis venu t’aider à ébranler les fondations du monde. »
Moins ludique, moins bondissant et plus âpre que les « Chroniques du Grimnoir », « Le Guerrier oublié » n’est pas qu’une simple œuvre de distraction. Dénonçant sans fard les révisionnismes et autres réécritures de l’Histoire, les mensonges et massacres commis soi-disant pour le bien de tous mais essentiellement pour permettre aux élites de conserver leur pouvoir, « Le Guerrier oublié » n’en oublie pas pour autant des injustices le plus souvent soigneusement passées sous silence. Car ce qui se dessine non seulement en filigrane, mais aussi de manière très visible dans ce roman dont certains protagonistes, pour des raisons politiques, essayent de faire adopter à Fort-Capitole, et avec des arguments fort rationnels, et en se faisant largement entendre, le massacre méthodique et systématique des intouchables, c’est ce qui en d’autres termes se nomme un génocide, et c’est aussi une dénonciation de ce génocide rampant, larvé, perpétuel (n’oublions pas, et Larry Correia, lui, ne l’oublie clairement pas, pas que l’Inde, pays de fortunes gigantesques, reste l’un des pays au monde où l’on meurt le plus de malnutrition aiguë), qui malgré de relatives amélioration au cours du siècle précédent, n’en finit pas de souiller notre monde. Alors qu’il se trouve, dans son pays d’origine comme ailleurs, des « hurle-avec-les-loups » et autres adeptes d’un politiquement correct sous-cortical et passablement nauséabond pour proposer, sans jamais les avoir lues, de boycotter les œuvres de Correia au prétexte qu’elles véhiculeraient une idéologie fachisante, « Le Guerrier oublié » apparaît indiscutablement comme une belle leçon non seulement d’humanité, mais aussi d’intelligence et d’ouverture d’esprit.
Le Fils de l’acier noir (Le Guerrier oublié, volume I)
Larry Correia
Traduit de l’américain par Mathilde Montier
Couverture : Camille Alquier
Éditions l’Atalante
Larry Correia sur eMaginarock :
Magie Brute
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Malédiction
http://www.emaginarock.fr/malediction-chroniques-du-grimnoir-t2-larry-correia/