Nous avons eu la possibilité de rencontrer deux membres de Sonata Arctica, Tony et Henrick, lors de leur passage à Paris. Tout justes sortis de l’avion nous ramenant de vacances, nous avons engagé la conversation autour de leur nouvel album, The Ninth Hour, de l’avenir du groupe, et de la manière dont ils voient notre monde évoluer.
eMaginarock : Peux-tu premièrement te présenter et nous parler de ton rôle au sein de Sonata Artica ?
Henrik Klingenberg : Oui, je suis Henrik de Sonata Arctica, je suis le claviériste, je bois de la bière et je m’occupe de quelques choses relatives au business. Ouais, c’est ce que je fais dans le groupe.
Tony Kakko : Je suis Tony, chanteur et auteur des chansons du groupe, le meilleur ami d’Henrik, mais que pour aujourd’hui ! (rires)
M. : Alors, première question pour Henrick : comment as-tu commencé à jouer du clavier et pourquoi ? Plus particulièrement, pourquoi dans le genre metal ?
H. K. : J’ai commencé lorsque j’étais enfant car ma mère est une organiste d’église. Je ne me rappelle donc d’aucun moments où je n’ai pas joué. Tu sais, ça a toujours été là, même quand j’étais plus grand ; je m’asseyais sur elle quand elle jouait. Et ensuite je suis devenu un peu plus vieux et mes parents étaient ennuyés de me laisser jouer à la maison donc ils m’ont mis dans une école de musique. À un moment donné quand j’étais ado, j’ai réalisé qu’il y avait autre chose que la musique classique. Et j’ai vu les vidéos de rock etc. J’étais tout excité à ce propos. J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de cool là-dedans.
Ensuite j’ai vu une vidéo de Bon Jovi sur laquelle il slamait sur tout le public et j’ai pensé qu’il faisait quelque chose de vraiment bon et après j’ai réalisé qu’il avait un claviériste donc j’ai commencé à chercher ce que ce musicien faisait. J’ai remarqué qu’en fait, la plupart du temps, ils ne font pas grand-chose. J’ai donc pensé que ça serait une chose superbe pour moi. Alors je m’y suis mis et, après bien sûr, j’ai découvert Deep Purple et Dream Theater, des choses plus osées dans leur genre. Depuis je suis resté dans ce rôle de claviériste.
M. : Et toi Tony, pourquoi chantes-tu?
T. K. : Alors mon premier instrument est le clavier en réalité et je pense que je devais avoir 17/18 ans quand ma famille m’a acheté mon, enfin notre, instrument. Le premier clavier était pour ma sœur et j’ai toujours été celui qui chantait des mélodies etc. J’ai donc volé le sien parce que ça me branchait. Au début je n’étais pas autorisé à y toucher parce que c’était celui de ma sœur. Après elle est partie, et j’ai continué à m’y intéresser. J’ai continué à jouer pour le plaisir jusqu’à ce que j’aie 18 ou 19 ans. J’ai eu une voiture et un ami qui avait un an de plus que moi était un très bon claviériste, enseignant dans une école de musique. J’ai étudié avec lui durant deux semestres et ils n’ont pas arrêté de me dire que je ne pouvais pas faire ça, que je ne pouvais pas jouer de cette manière. J’ai joué avec plusieurs groupes à des mariages etc. , à des bals dansants, pas genre techno mais les trucs old-school. Ça prenait beaucoup de temps. C’était le début avec Marco, notre ancien bassiste, il jouait de la guitare dans ce groupe dansant puis il a créé le groupe et m’a demandé de le rejoindre. Depuis mes doigts ne sont jamais loin du clavier, mais j’ai finalement commencé à chanter pour le groupe.
M. : Chacun des albums de Sonata Artica a un thème différent. Avec Pariah’s Child on peut voir que le loup est le totem du groupe. Et pour cet album, quel est le thème qui se cache ?
T. K. : Évidemment la pochette de l’album fait écho à différentes chansons, nous sommes plus proches des animaux et des problématiques environnementales. Certains morceaux racontent ces histoires. C’est définitivement le thème de l’album. Mais d’autres chansons sont sur d’autres animaux comme Till Death’s Done Us Apart. Et Fairytale qui est comme un écho aux élections américaines. Il y a la deuxième partie de White Pearl, Black Oceans : Among The Shooting Stars qui est une histoire d’amour avec des loups garous. L’amour et les émotions sont les grands thèmes de cet album.
M. : Quand on entend une chanson comme We Are What We Are, il y a de vraies paroles écologiques derrière, est-ce que le groupe défend vraiment une position écologique ou non?
T. K. : Je pense que je suis, et que nous devrions tous être, concernés par le futur de cette planète. Si l’on veut des enfants, ils doivent être capables de vivre sur celle-ci. C’est une de mes inquiétudes. J’aimerais faire réfléchir aux choses que cela entraîne si l’on achète une voiture, ou si l’on recycle les déchets, et si l’on ne le fait pas actuellement, il serait temps de s’y mettre et d’apprendre aux enfants à le faire. Comme avec ça a été fait avec moi-même par exemple : nous ne recyclions pas, personne ne le faisait et tout allait dans la même poubelle, les déchets ménagers et les recyclables étaient mis ensemble. Nos enfants nous ont vus faire ça et ont pointé nos défauts, demandé pourquoi tout allait au même endroit. Mais ça a changé depuis vingt ans et c’est une belle chose. Nous sommes pour l’environnement, mais je pense que pour l’instant je fais plus partie du problème que des solutions, j’aurais toujours voiture et je continue à faire des choses qui détruisent la planète.
H. K. : Je pense que le futur de cette planète est une inquiétude pour tout le groupe et il faut faire quelque chose mais d’un autre côté je me sens hypocrite : j’ai une voiture. Je pense que le point de départ est de commencer à en parler et y penser va éventuellement conduire à l’action. Et automatiquement, si on est assez chanceux, ça va sauver la planète et nous donner la possibilité d’exister.
T. K. : Mais je pense sincèrement que se libérer de son propre fait n’est pas suffisant. Quelques personnes le font mais pas les autres, c’est un sacrifice. On ne veut pas sacrifier tout ce qu’on a accumulé depuis des années, mais on doit le faire et il devrait y avoir des lois qui mettent tout le monde sur un pied d’égalité. Il faudrait commencer avec les grosses entreprises, elles devraient être favorables à l’environnement et arrêter les choses néfastes. Ça sera un grand sacrifice parce que nous allons perdre des magasins et des industries. Evidemment tout le monde veut vivre, nourrir ses enfants et soi-même, avoir une vie heureuse, et avoir les possibilités financières de le faire est un grand enjeu. Sans essayer de retirer le maximum de profit de chaque chose, ce serait plus facile d’aller vers un travail meilleur demain.
H. K. : Je suis entièrement d’accord. La législation a un grand rôle à jouer dans ces défis, c’est la seule manière pour que les gens fassent quelque chose ensemble, et non pas juste en parler, ce qui ne fait pas avancer les choses. Nous devrions avoir des lois qui nous limitent et on devrait les accepter. Les choses pourraient alors aller mieux.
Nous ne sommes pas de bons exemples, mais il faut mettre les choses sur la table et en parler.
M. : Comment avec vous crée le nouvel album? Qui a composé la musique? Qui a écrit les paroles?
T. K. : C’est moi pour les paroles. On a plus de 100 chansons en stock au final. Ce sont elles qui génèrent ensuite la musique.
H. K. : Depuis le début ça a été l’idée parce que Tony a une manière très spécifique d’écrire ses chansons. Peu importe quand d’autres personnes du groupe écrivent des chansons, elles ne correspondent pas au style de Sonata. Pourtant elles colleraient avec des albums précédents ! La plupart du temps on travaille sur de nouvelles musiques et on n’a pas idée de ce que ça va donner jusqu’à ce qu’on l’entende et après c’est trop tard. Je pense que la fondation de ce groupe tient sur le fait que Tony écrive les paroles, il considère les choses d’une certaine manière et c’est pour ça qu’il est bloqué avec cette tâche pour toujours !
M. : C’est un gage de réussite visiblement !
H. K. : Oui et ça a toujours très bien fonctionné donc pour le futur je ne vois pas ça se faire d’une autre manière. Les paroles sont en quelque sorte les enfants de Tony.
M. : Comment travaillez-vous quand vous composez et écrivez ? Dans la musique et les paroles de Sonata il y a beaucoup de merveilleux de féérique. Quelles sont vos inspirations ?
T. K. : Vous savez j’ouvre mes yeux, mes oreilles, mon esprit et mon cœur. Parfois mes considérations sont vraiment politiques, mais quand on voit les choses qui se passent aux États-Unis, leurs élections, on peut en faire beaucoup d’histoires cools en étant inspirées. Mais écrire des histoires d’amour, c’est ma manière d’être un Stephen King.
H. K. : Et elles sont toutes tristes. C’est un beau contraste, parce que tu n’es pas du genre triste.
T. K. : Mais c’est le meilleur moyen de faire passer ces émotions de tristesse et de mélancolie que l’on peut parfois ressentir. J’ai besoin d’extérioriser ces sentiments. C’est beaucoup mieux, je pense, de le transcrire dans des chansons que sur son visage.
[Henrick quitte la pièce, appelé pour une autre interview]
M. : Alors c’est la vie, le quotidien, l’histoire. Est-ce que vous mixez tout cela avec le folklore ?
T. K. : Je ne suis pas très bon pour ça et il y a déjà beaucoup de groupes qui le font tellement bien. Évidemment parfois je peux ajouter quelque chose du genre, mais ce n’est rien de plus que pour pimenter. Je ne me souviens pas avoir basé une chanson sur une de ces histoires. Ce n’est pas figé, mais nous n’utilisons pas ces récits comme une source d’inspiration.
M. : Chaque artwork de Sonata Arctica, chaque couverture d’album est une pièce magnifique. Comment travailliez-vous cette partie de l’album ?
T. K. : Je veux toujours que l’on est une explication forte de ce qui se trouve dans l’album sur la couverture. Parfois on le fait mieux que d’autres et je pense que cette fois celle-ci est une des meilleures, si ce n’est la meilleure couverture que l’on ait eu jusqu’ici. D’habitude Elias me dit que c’est merdique, mais que si le reste du groupe aime, il fera avec. Et cette fois-ci, il était heureux du résultat et du concept aussi. J’essaie de faire comme un canevas. C’est comme une toile de fond sur laquelle on peint l’ambiance de l’album. Et évidemment quand les gens l’écoutent, ils regardent la couverture et le livret. Il y a beaucoup de petites choses connectées, c’est mon idée. Parfois il y a trop de détails et je ne les voie que quand l’artiste zoome sur la couverture et nous montre ce qui s’y trouve. On se retrouve à se demander ce que c’est, etc. Il fait un travail merveilleux. Nous venons avec le concept et ensuite il travaille.
M. : Et c’est le même artiste depuis le début?
T. K. : Depuis Winterheart’s Guilt, oui. Le premier et le deuxième ont été faits par quelqu’un d’autre.
M. : Dans cet album j’ai l’impression que tu as travaillé ta voix, est-ce qu’il y a eu un travail spécial dessus ?
T. K. : J’ai eu une approche différente et les claviers sont plus graves, ce qui est plus proche de ma tonalité et donc je n’ai pas à étirer ma voix. Ma voix s’entend bien mieux avec ma tonalité normale et sonne aussi mieux également. Les montées en gammes ne sont que des fioritures par-ci par-là. C’est bien plus productif pour moi parce que ça me permet de faire plus de choses, notamment des choses que je ne pourrais pas faire si je devais étirer ma voix tout le temps. Il y a des paramètres à prendre en compte : j’ai 41 ans et si je veux continuer à chanter dans vingt ans je dois considérer le fait qu’il faut que je m’exprime sur un registre un peu plus grave que sur les albums précédents. C’est un point de vue professionnel. Mais je pense aussi que les deux ou trois dernières années passées, j’ai beaucoup traîné en tant que chanteur. J’ai été dans d’autres projets qui m’ont permis de définir de nouveaux éléments et de nouvelles manières de faire les choses. J’avais par exemple trois concerts avec un orchestre symphonique. Et grâce à ça j’ai été capable de me retrouver de manière nouvelle.
M. : Avec la musique de The Ninth Hour, je pense que le groupe propose quelque chose de plus épique que Pariah’s Child, est-ce que vous vouliez vraiment ça ? Parce que j’ai lu partout et senti sur Pariah’s Child que c’était plus proche des origines du groupe, et pour moi ce nouvel album semble comme une explosion.
T. K. : Je ne sais pas, je me suis juste lâché, peut être sauvagement, mais je n’ai pas fait attention à la longueur par exemple. Le fait que les chansons font plus 5 à 6 minutes sur cet album est arrivé de manière surprenante pour moi. Je n’y ai prêté aucune attention. J’étais dans cette sorte de bulle dans laquelle je créais et créais, et puis quand on a écouté on s’est dit qu’il fallait absolument couper si l’on voulait un single qui passe à la radio. C’était spontané, on s’est laissés aller, comme on le fait souvent chez Sonata Arctica : on laisse les choses arriver.
M. : et le résultat est génial
T. K. : Oui! Mais pour le prochain opus je veux écrite des chansons que l’on peut chanter même sans instruments. Quand on a une chanson comme Joyeux anniversaire on la chante simplement, on a pas besoin d’instruments. Je voudrais des chansons qui fonctionnent sans instruments ou avec le minimum d’accompagnement acoustique ou autre, mais bien évidemment un morceau qui soit bien plus riche quand on y a ajoute un accompagnement.
M. : Peux-tu me donner cinq mots pour convaincre les gens d’écouter The Ninth Hour ?
T. K. : C’est difficile. Fais-toi un cadeau. Il manque un mot : s’il te plaît fais-toi un cadeau ! Plus sérieusement, j’aime vraiment cet album. Ça n’est pas le meilleur discours à tenir mais c’est la vérité.
M. : Vous allez bientôt commencer une tournée à partir d’octobre, avez-vous des nouveautés pour ces shows à venir?
T. K. : Oui nous avions à reporter la date de sortie de l’album car nous avons détesté la partie en studio et nous n’étions pas capable de le sortir en mai comme prévu, ce qui était d’ailleurs une date ridicule puisque c’était simplement impossible. La tournée européenne va être vraiment courte parce que nous avions prévu il y a déjà plus d’un an une tournée en Amérique du nord. Elle dure sept semaines et commence à peu près deux semaines après la tournée européenne. Après cette tournée en Amérique nous serons à nouveau de retour en Europe pour sept semaines également et il y aura plus de dates. Nous étions à Paris le 16 octobre et à Strasbourg le 18. Dans tous les cas nous serons de retour ici l’an prochain. Évidemment il y a les nouveaux titres, mais ce sera aussi le retour de certains que nous n’avons pas joué depuis un long moment comme dans Silence. Il y a The Power Of One, peut-être quelque chose de Winterheart’s Guilt et de Reckoning Night. Ce sont des chansons qui n’ont pas été jouées pendant près de dix ans. On va également retrouver l’aspect power-metal dans nos shows. On veut créer comme une sorte de montagne russe. Le dernier album n’est pas très rapide, on veut donc jouer des titres éclectiques pour rajouter dans l’effet. Ça va être frais et excitant pour nous et, espérons, pour le public!
M. : Y a-t-il déjà des festivals l’été prochain ?
T. K. : Je crois que nous jouons au moins au Wacken Open Air, et nous avons d’autres dates réservées dont nous ne pouvons parler à cause des contrats. En réalité je ne me rappelle pas vraiment mais je suis sûr pour le Wacken Open Air et quelques festivals en Finlande, mais il y en aura plus et je pense que la porte s’ouvrira avec la sortie de l’album. Les gens l’écouteront et voudront de nous – ou pas!! Je l’espère en tout cas! Mais nous avons l’intention d’être très occupés l’an prochain.
M. : Une dernière question, assez difficile, quel est ton pire souvenir sur scène ?
T. K. : Une chose me vient à l’esprit : ça devait être en 2003, un des premiers shows avec Henrik, peut-être le premier ou le deuxième. Nous étions en Finlande et je ne savais pas ce qui n’allait pas, je pensais que c’était la cigarette ou quoi que ce soit du genre car je commençais à complètement perdre ma voix, je ne pouvais plus chanter du tout. J’ai dit au staff de mettre la climatisation à fond et ça a empiré les choses parce que tard dans la soirée je me suis rendu compte que c’était à cause de cet air sec ! Perdre totalement sa voix en plein milieu d’un live est la pire chose qui puisse arriver, car en plus le groupe doit annuler des dates, c’est déchirant et terrible. Quand on réalise qu’il y a des gens qui viennent de loin et dépensent beaucoup d’argent pour venir, on se dit que c’est un cauchemar. Mais c’est la seule chose qu’on puisse faire quand on perd totalement sa voix, c’est comme quand on a de la fièvre et que le docteur nous interdit de retourner au travail.
Il faut faire un travail physique car ces choses arrivent. Pour les autres, quand ils ont une très forte fièvre par exemple, ils peuvent toujours jouer. Pour ma part, si j’ai un début de grippe, c’est foutu. Parfois on a la pression et on essaie de le faire parce que c’est un grand show à guichet fermé etc., mais c’est comme si on allait voler quelqu’un. Si c’est physiquement possible de monter sur scène, on le fait mais parfois ça peut être très dangereux.
M. : Merci Tony pour tes réponses. Je te souhaite le meilleur pour ce nouvel album et pour la tournée qui s’annonce.
Entretien réalisé par Thomas, traduction d’Anaïs et photos du concert de Paris par Doro’ Photography