La lumière reviendra
(mais pas tout de suite)
Le 22 septembre dernier débutait sur la Fox la nouvelle série se déroulant dans l’univers du Chevalier Noir. A quelques semaines de la fin de cette première saison (la deuxième a déjà été commandée), on peut déjà esquisser un bilan. Gotham, est-ce que c’est bien ? Et est-ce qu’il faut être fan de Batman pour apprécier (ou surtout pas ?)
(Autant jouer cartes sur table tout de suite : j’ai moi aussi une identité secrète. Certes, j’ai le plaisir d’écrire des chroniques pour eMaginarock, mais j’ai aussi une autre activité. Le jour, je suis traductrice, et il se trouve que c’est moi qui sous-titre Gotham pour sa mise en ligne en SVOD en France. On pourrait m’accuser de parti pris mais, tel Jim Gordon, je suis intègre et je ne vous cache rien. Sachez que mon avis n’est en rien influencé par le fait que je travaille sur cette série ; en un mot, je ne gagne pas plus d’argent si, convaincu par mon article, vous foncez louer toute la saison. Hélas.)
« There’s nothing more dangerous than an honest man. »
Gotham, ce n’est pas tant une prequel, comme on peut le lire un peu partout, qu’un immense « Et si… ? », une version alternative du canon narratif posé par les comics. Dans la version imaginée ici, le jeune inspecteur James Gordon (Ben MacKenzie, encore loin d’être commissaire) se retrouve chargé de l’enquête sur le meurtre de deux éminents citoyens de Gotham City, Thomas et Martha Wayne, abattus comme chacun le sait sous les yeux de leur fils Bruce. Une investigation sans cesse ralentie par la corruption et l’amoralité régnant sur la ville, qu’il va donc se jurer de purger de ses éléments les plus nocifs. On retrouve un socle solidement ancré dans un univers bien connu, mais avec des variantes, petites ou très grandes (heureusement d’ailleurs, sans ça la série aurait manqué de créativité, selon moi.) Ici le Pingouin, le Sphinx ou le Joker auront une nouvelle « origin story », par exemple : ne tombez pas dans le piège qui pousse certains spectateurs manquant de recul à s’indigner du fait que non, cet Oswald Cobblepot n’est manifestement pas le fils d’une riche famille qui l’aurait abandonné dans les égouts…
“Devinez, devinez, qui je suis…” (air connu)
L’histoire de Gotham reprend des briques narratives bien définies, l’essence des personnages, et les assemble d’une façon inédite (tout comme dans la série de jeux débutée par Batman : Arkham Asylum, qui révise elle aussi beaucoup de choses tout en respectant l’esprit de la licence). Et c’est pour moi ce qui devrait happer l’attention du fan de Batman en premier lieu : le plaisir de redécouvrir des personnages si familiers avec une fraîcheur surprenante (rappelons que le personnage de la Chauve-Souris a soufflé ses 75 bat-bougies l’an dernier.)
“Et donc, quand je serai grand, je serai Ben Affleck.”
« It’s THE Penguin. »
A présent que le « quoi » est à peu près posé, attardons-nous sur le « qui ». Gotham a été créée par Bruno Heller, qui n’en est pas à son coup d’essai question série : s’il est l’un des artisans majeurs du succès de The Mentalist, pour moi il est surtout le créateur de Rome, sublime série diffusée sur HBO il y a dix ans (ça ne nous rajeunit pas.) Et autour de ce showrunner de prestige, on retrouve un casting de qualité, avec une tripotée de pointures du petit écran et d’acteurs passés par des séries cultes. Ben MacKenzie (The O.C.), Donal Logue (Grounded for Life, Sons of Anarchy), David Sayas (Dexter), Morena Baccarin (Homeland, V), ou encore Milo Ventimiglia (Heroes), guest star de fin de saison, fascinant dans le rôle de l’Ogre. Outre ces visages connus, auquels il faut ajouter une Jada Pinkett-Smith moins coutumière des séries mais parfaite dans le rôle de Fish Mooney (seul personnage original créé pour le lancement de la première saison), ce sont au final les petits jeunes et les nouveaux-venus qui font l’unanimité.
David Mazouz, qui a l’énorme responsabilité de jouer le jeune Bruce Wayne, s’en sort à merveille dans son interpretation d’un jeune garcon en dehors de tout, qui vit à côté de Gotham au sens propre comme au figuré, et qui découvre peu à peu l’étendue de la noirceur du monde qui s’étend aux portes du cocon que représente le manoir Wayne. Tout comme Camren Bicondova, qui chausse les célèbres lunettes steampunk (et une coupe de cheveux tout à fait Pfeifferesque) pour incarner Selina Kyle, il n’a pas à rougir face à ses aînés.
Et, surtout, il y a Robin Lord Taylor. La révélation de cette première saison, c’est lui. Il est le Pingouin de Gotham, et il fait sensation depuis le tout premier épisode (et c’est plus que justifié –moi qui suis une fan un peu pointilleuse particulièrement attachée au Pingouin, je l’attendais au tournant, et j’ai été plus que convaincue.) Mis au centre de l’un des trois arcs narratifs majeurs de la saison – la guerre des gangs entre les clans Maroni et Falcone – il arrive à inventer un nouveau Cobblepot qui, pourtant, donne l’impression d’être fidèle à 100% à l’image du Pingouin présente dans l’imaginaire collectif. Si je ne devais citer qu’un argument pour encourager les indécis à tenter Gotham, je parlerais de lui.
« Gotham is my home. »
Tous ces braves gens, dans quel cadre évoluent-ils ? Contrairement au Gotham dépeint par Christopher Nolan dans sa trilogie, on en revient aux fondamentaux : oui, Gotham City, c’est bien New York, et c’est d’ailleurs là que se tourne la série. Visuellement, il n’y a rien à redire ou presque (à part une malheureuse séquence de poursuite à la GoPro dans le pilote qui, heureusement, n’a pas connu de récidives depuis) : c’est beau, c’est bien éclairé, bien filmé, les décors sont superbes, grandioses parfois, et le parti pris de placer l’action hors du temps, dans l’époque « où se passent les rêves », pour citer Bruno Heller, fonctionne totalement. On peut admirer des éléments rétros rappelant les films de flics des années soixante et soixante-dix (les voitures, la garde-robe des inspecteurs…), tout en voyant de temps à autre Gordon sortir son portable de sa poche pour appeler sa fiancée. De la même manière que Gotham est New York sans l’être, un lieu qui n’existe pas, Heller a choisi une époque qui n’existe pas, un peu à la manière de Tim Burton dans ses deux films.
Et l’écriture, dans tout ça ? Le format choisi est proche de celui d’une série policière, avec chaque semaine ou presque une affaire à élucider pour Gordon et son équipier, Bullock. Et c’est sans doute la faiblesse majeure de cette première saison, pour l’instant : plusieurs épisodes construits sur le schéma très simple du police procedural manquent de rythme, et on se retrouve souvent à désespérer devant la médiocrité des méthodes d’investigation et les dons de déductions réduits de Gordon et Bullock, qui se feraient systématiquement doubler par Jessica Fletcher si jamais elle décidait de s’établir à Gotham City. Cependant, cette faiblesse tend à s’estomper doucement, on peut donc espérer que dans la deuxième saison, cet écueil sera évité. En dehors de ce point négatif, la mythologie de la série est bien développée : les meilleurs épisodes sont ceux consacrés aux grandes lignes directrices de la série (le cheminement de Gordon dans son souhait de nettoyer Gotham, l’évolution du jeune Bruce vers les déguisements de chiroptères, et l’ascension ou la genèse des illustres criminels issus de l’univers DC), et là, rien à dire. Les rebondissements fonctionnent, les dialogues et le développement des personnages aussi. Le ton est un peu sombre par moments, juste ce qu’il faut – et ce qu’on peut – pour une série de network (on n’est pas sur une chaîne payante où tous les excès sont permis, mais reste qu’un gamin qui voit ses parents se faire descendre, ça ne peut jamais être très gai). L’action et l’humour sont présents… Bref, un bon petit plat sans prétention parfois, mais toujours agréable, et de temps en temps, délicieusement surprenant.
En tant que fan de comics, enfin, je dois dire que j’ai du mal à comprendre le rejet dont la série a d’emblée fait l’objet de la part d’autres fans de l’univers DC : pour moi, l’ADN comics de Gotham est indéniable. Au-delà du fait qu’on ne peut que voir un parallèle évident entre la série et un titre publié par DC Comics il y a quelques années, Gotham Central (une série qui se concentrait elle aussi sur la police de Gotham et moins sur Batman), la firme DC elle-même ne cesse de créer des contenus en lien avec la série, affichant là non seulement son soutien et son implication, mais aussi la transversalité entre les deux médias (on songe au projet Injustice: Gods Among Us, où le jeu a donné naissance à des comics dédiés ; ici, on a droit au Gotham Chronicle, un site en forme de gazette en ligne pour les Gothamites et qui publie au rythme de la diffusion des épisodes, et à des dessins spécialement créés autour de la série.)
Regarder Gotham, c’est vraiment presque comme lire un comic book, tout en étant assez différent pour ne pas rebuter ceux qui n’en sont pas adeptes.
La couverture du premier volume de Gotham Central, et l’une des affiches promotionnelles diffusées par la Fox. Comme un petit air de cousinage.
Vous l’aurez compris, cette série vaut le détour, pour moi. La saison se termine d’ici trois semaine aux États-Unis (et chez nous dans trois semaines et un jour, donc.) Le coffret DVD est annoncé en septembre en Angleterre, et on sait que Netflix a obtenu les droits mondiaux pour la série. On la retrouvera donc certainement très vite en intégralité chez eux, mais aussi sur TF1, puisque c’est la Une qui a acquis les droits de diffusion télé pour notre territoire. En résumé, vous n’avez plus qu’à choisir : tous les chemins mènent à Gotham.
Gotham, saison 1, 2014-2015. Diffusée aux États-Unis sur la Fox, en location en France sur les plateformes SVOD iTunes et MyTF1, en achat (par épisode ou avec un season pass) sur le PlayStation Store. 22 épisodes dont 19 diffusés à parution de cet article.
Avec : Ben McKenzie, Donal Logue, David Mazouz, Camren Bircondova, Sean Pertwee, Robin Lord Taylor, Jada Pinkett Smith
Réalisation : Danny Cannon, Bruno Heller, TJ Scott
Scénarios : Bruno Heller, John Stephens, Ken Woodruff
Photos (c) DC Comics / FoxTV