1971, nord-est des Etats-Unis. Les Warren interviennent auprès de gens victimes de manifestations démoniaques. Usant d’objets divers auxquels ils s’attachent, les démons se jouent des vivants pour mieux prendre possession de leur existence, s’invitant chez eux et poussant parfois trop loin une relation non désirée… Grâce au don de Lorraine Warren, née médium, et au savoir-faire de son époux Ed, nombre de ces épisodes terrifiants se terminent bien pour les gens ayant recours à leur aide. Leur réussite est devenue renommée, leur apportant le soutien de l’Eglise qui leur commande certaines interventions ou diagnostiques et des universités dans lesquelles ils donnent des conférences. Une pièce de leur maison est même consacrée à l’entreposage de tous les objets ayant servis aux démons pour entrer en contact matériel avec les vivants.
Mais chaque intervention s’avère psychologiquement coûteuse pour Lorraine et Ed pense à changer d’activité. A cette époque, les Perron et leurs cinq filles emménagent dans une belle demeure d’époque coloniale, isolée sur un vaste terrain boisé et marécageux. La maison aura besoin de beaucoup de travaux mais l’air de la campagne, l’espace idéal pour une famille nombreuse, tout promet un nouveau départ pour les Perron qui ne roulent pas sur l’or. Pourtant, dès la première nuit passée, Carolyn se découvre d’étranges bleus, la petite dernière trouve le corps inerte de leur chien et Roger déniche l’accès à une cave remplie de vieux meubles pourrissants. Ces évènements ne sont que préludes à d’autres manifestations de plus en plus puissantes : toutes les nuits, à la même heure, les filles sont victimes de somnambulisme, de visions terrifiantes, d’attaques par des forces invisibles… Aux abois, Carolyn se rend à une conférence des Warren et leur demande de l’aide. A peine entrée dans la maison, Lorraine comprend que les forces démoniaques en présence dépassent tout ce qu’ils ont déjà eu à affronter.
Réunissant tous les ingrédients classiques du film de genre, Conjuring : Les Dossiers Warren parvient à saisir le spectateur, même aguerri, plus encore lorsqu’il est blasé du gore et des gros sabots de longs métrages concurrents nouvelle formule à la sauce surenchère.
Pas question de tromper sur la marchandise, Conjuring inclus dès ses premières images, que dis-je dès son intitulé, les codes classiques qui ont fait leurs preuves : l’histoire vraie. Venue sous les projecteurs de la pellicule ciné avec des chefs d’œuvres dont Amityville reste l’exemple le plus connu, la formule invite le public plus sûrement que nombre d’effets plastiques sur une affiche. Et le fait est que les récits des expériences vécues par le couple Warren sont connus outre-Atlantique de tous les passionnés et curieux du genre, popularisés par quelques publications dont l’ouvrage qui relate justement la démoniaque mésaventure de la famille Perron.
Le scénario est ainsi bien travaillé, insistant sur le parallèle entre les familles Warren et Perron. D’un côté, les Warren avec leur expérience du paranormal qui gâche un peu leur quotidien (bien palpable par l’introduction de la poupée Annabelle qui fait visuellement tant d’effet qu’un film lui a depuis été dédié…) mais reste un choix de vie influencé par le don de Lorraine et la fougue professionnelle d’Ed. De l’autre, les Perron, modestes mais panier d’amour familial soudé par un nid de cinq filles et une vie maritale solide en dépit d’évidents problèmes financiers qui auraient dû s’apaiser avec le renouveau dans un autre environnement. Peu à peu, le crescendo se met en place : on comprend que les Warren ont récemment mal vécu une de leurs interventions et réfléchissent à une autre voie tandis que les Perron se retrouvent confrontés à des forces surhumaines parfois franchement agressives et surtout multiples. La rencontre n’est pas fortuite ni désespérée mais voulue par une mère décidée à aider sa famille, Carolyn Perron. Tout le cheminement qui aboutit à la mise en corrélation des deux familles est cohérent, logique et surtout crédible.
La suite, fidèle à la réalité décrite par les Warren dans leur livre, retrace la visite de la maison hantée et les impressions immédiates de Lorraine (pendue au rendez-vous, superbe moment !), les recherches sur le passé des lieux et la source des agressions subies par les Perron (rattachée à une part classique de la sorcellerie régionale bien connue), l’installation des appareils de mesure et prise d’images destinées à convaincre l’Eglise d’envoyer un exorciseur (et oui, qu’importe si les fantômes vous grignotent, le Vatican n’accepte de vous aider que s’il vous manque effectivement un bras…), les constatations des manifestations vécues en directes par toute l’équipe réunie autour de la famille jusqu’à la sentence annonçant la possession d’un de ses membres et l’urgente réaction nécessaire… rien ne manque.
Ce scénario écrit à quatre mains par les frères Hayes reprend l’expérience telle qu’elle fut vécue par les vrais protagonistes et ne cherche jamais le spectaculaire dans l’excès, ce qui serait franchement inutile et vulgaire. Malgré les critiques d’une certaine presse (soit-disant) spécialisée appuyant sur un manque de peps de la fin, à tel point que l’on se demande si le reproche ne serait pas, finalement, de s’être contenté de retracer une histoire vraie avec authenticité, on constate que Conjuring : Les Dossiers Warren remplit son contrat jusqu’au bout et c’est tant mieux.
Evidemment, cette affirmation ne serait rien sans la maîtrise de James Wan. Déjà confirmé maître du genre (Saw, Insidious…), il déploie ici sa connaissance des meilleures techniques qui veut que tout est suggéré ou presque, que seuls quelques détails installent l’atmosphère, s’allient aux dialogues et révèlent l’ampleur du danger planant dans chaque pièce, chaque couloir, au creux même des oreillers. Ici des ombres, là du bois qui craque, une couverture tirée, des murmures dans la nuit, des cadres brisés, des bleus inexpliqués, de très brèves apparitions, une lumière qui décroît jusqu’au noir complet, et ces pieds de pendue qui surgissent enveloppés du grincement d’une corde bien tendue ! Le frisson est là, les sursauts aussi, que demander de plus…
Les personnages sont attachants, bien dans leur époque, pas trop mal dans leur vie mais dépassés ou décidés, des gens ordinaires face à l’inexplicable et surtout le difficilement domptable ennemi. Plus convaincant que l’exorcisme le plus connu du cinéma anglo-saxon, celui qui clôt le film saisit par le truchement d’un linge blanc jeté sur la possédée, ce linge qui se tâche de sang, se déchire, révèle par bribes le visage de l’esprit démoniaque assassin. Lili Taylor incarne sobrement et émotionnellement une Carolyn Perron que l’on aimerait tant aider, prévenir, sauver. De même Vera Farmiga et Patrick Wilson incarnent le couple Warren tel qu’il leur fut décrit, sans prétention, sûrs de leurs acquis, acceptant le rejet culturel commun mais assumant le caractère atypique et dangereux de leur moyen d’existence, généreux et à l’écoute d’autrui. Paradoxalement, Ron Livingston, de par le scénario, n’intervient pas beaucoup et son rôle s’en ressent, dommage. La jolie palette de jeunes actrices remplit également sa mission, avec un petit bonus pour Joey King, Kyla Deaver et Sterling Jerins qui ont droit à de belles scènes de terreur. Enfin, il apparaît peu et pour cause puisqu’il incarne l’esprit démoniaque le plus puissant des lieux mais Joseph Bishara fait un travail saisissant !
Tout ce beau monde évolue dans un cadre et un décor qui imprègne le film mieux que des protagonistes de chair et de sang. Un vaste terrain jonché de feuilles mortes, isolé à souhait, brodé d’un lac somnolent, un grand arbre bien sinistre et au milieu, cette maison sortie d’un autre temps, décrépie, épuisée par le malheur. La simplicité des affaires que les Perron y installent côtoie l’usure des murs défraîchis, l’électricité traîtresse et un grand nombre de pièces prêtes à vous garder prisonniers. Jouant sur l’ambiance typique de la maison hantée, James Wan évite tout de même le super cliché des toiles d’araignées à foison en dehors de la cave moche emplie de vieilleries et séduit par le réalisme des espaces entre les murs.
La photographie n’est pas en reste, assurant un clair-obscur dansant avec les nerfs, même en plein jour, affichant un doux soleil d’été indien extérieur opposé à l’atmosphère parfois glaciale de la maison, surprenant le spectateur même lorsqu’il s’attend à « quelque chose ».
Sobre mais subtil mélange d’instruments (surtout des cordes), de voix et de sonorités d’objets, la musique flotte derrière l’image, ultime clé pour nous transporter au cœur de cette histoire qui fait bien froid dans le dos.
Conjuring : Les Dossiers Warren renouvelle idéalement le film d’horreur classique et peut se vanter d’une honnêteté sans faute envers le fameux libellé « histoire vraie », secret de sa qualité.
Conjuring : Les Dossiers Warren
Réalisateur : James Wan pour Warner Bros. et New Line Cinema
Scénario : Chad et Carey Hayes
Musique : Joseph Bishara
Photographie : John R. Leonetti
Décors : Julie Berghoff
Avec : Vera Farmiga, Patrick Wilson, Ron Livingston, Lili Taylor, Mackenzie Foy, Joey King, Hayley McFarland, Shanley Caswell, Kyla Deaver, Shannon Kook-Chun, John Brotherton, Sterling Jerins, Joseph Bishara…
Sortie France : 21 août 2013