Il était une fois une reine à la bonté sans pareille, qui pria pour avoir une fille à la peau blanche telle la neige, aux cheveux noirs corbeau, aux lèvres rouges comme le sang et au coeur fort. Lorsque son vœu fut exaucé, elle baptisa sa petite Blanche-Neige. Hélas, de santé fragile, elle mourut alors que Blanche-Neige n’était encore qu’une enfant. Inconsolable, le roi eut bientôt à se battre contre une armée de soldats mystérieux qui volaient en éclats sous les coups. La bataille terminée, les soldats du roi découvrirent, enfermée dans un chariot cage, une belle jeune femme. Dès qu’il la vit, le roi oublia son chagrin et l’invita à venir en son château. Leur mariage fut décidé le jour même mais Blanche-Neige, douce et généreuse telle sa défunte mère, fit bon accueil à cette belle-mère si belle. Le sort s’acharna sur le royaume car, à peine remarié, le roi trépassa. Demeurée seule maîtresse du trône, la nouvelle reine instaura bien vite un règne de peur dominé par la magie et sa soif d’éternelle jeunesse. Blanche-Neige, prisonnière en son propre château, grandit. Devenue une jeune adulte, elle découvrit avec horreur que sa belle-mère nourrissait son corps de la jeunesse des filles du peuple. Et lorsque la reine, convaincue par son miroir magique que le coeur de Blanche-Neige lui offrirait une jeunesse intarissable, exigea qu’on lui amène sa belle-fille, celle-ci profita de cette seule chance pour se sauver. Furieuse, la reine envoya à ses trousses un chasseur renommé pour n’avoir peur de rien…
Si Cendrillon ou La Petite Pantoufle de Verre a souvent été adapté au cinéma, et ce de toutes les manières possibles et sur tous les tons, Blanche-Neige n’avait pas encore connu de vrai projet ciné depuis la prouesse animée des Studios Disney. Le fantastique étant revenu dans les bonnes grâces des producteurs US, Blanche-Neige apparut presque naturellement comme le conte idéal à porter sur écrans, mêlant magie, sorcellerie, romance et tragédie.
Malheureusement, les scénaristes qui s’aventurent au-delà des bases du conte et en font quelque chose de bien ne courent pas les rues et visiblement, la version écrite pour Blanche-Neige et le Chasseur passe à côté de l’essentiel : Blanche-Neige !
Rien ne sert de chercher bien loin car l’erreur n’est pas dans le jeu des acteurs ou l’extrême décalage entre la beauté esthétique très réussie de ce film et ce qui s’y passe. Non, le vrai défaut du film est que l’héroïne passe au second plan derrière la flamboyance de la méchante reine… Un comble !
L’effet est tel que l’impression générale est que la reine apparaît bien plus longtemps et plus souvent que Blanche-Neige, elle a de plus beaux costumes, plus de dialogues, exprime bien plus de choses et suscite bien plus d’émotions auprès du public. On voit une reine victime autrefois de rejet, de chasse aux sorcières, de viol peut-être, de mauvais traitements qui sont sous-entendus par nombre de dialogues entre elle et son frère, inspirer tour à tour la suspicion, le rejet mais aussi une certaine empathie et presque de la pitié au public. Personnage tout bonnement maléfique dans le conte original, elle devient un être tragique à souhait dans Blanche-Neige et le Chasseur, quelqu’un qui a tant souffert qu’elle ne vit plus que pour se venger et parvient à nous arracher un mouvement de sympathie.
Face à ce déséquilibre scénaristique, Blanche-Neige est pratiquement mutique et le Chasseur sombre dans le gros cliché du veuf inconsolable, bourru, désagréable et indifférent qui laissera doucement l’aura pure de sa proie le faire revenir vers des sentiments plus nobles.
On peut au moins rendre cette justice aux scénaristes qui gardent en vie le chasseur du conte et qui, conformément à la promesse du titre de cette adaptation, lui offrent un rôle plus long. De chasseur, il devient protecteur, du classique édulcoré qui fonctionne bien.
On en oublie presque les nains, joyeuse bande hétéroclite qui, comme leur princesse, passent après des personnages qui devraient être traités comme secondaires : le chasseur et le prince charmant…
Enfin, le point culminant de la faute de goût se trouve en fin de film, avec une Blanche-Neige en armure, épée au poing. Certes, les héroïnes fortes modelées par le succès de séries et de films pour ados façon Hunger Games font recette mais transformer Blanche-Neige en guerrière passe mal. Le personnage est la bonté incarnée, la douceur, et c’est ce qui remodèle des protagonistes tels que le chasseur, fait s’évanouir la méfiance des nains et sert au piège tendu par la méchante reine (la fameuse pomme empoisonnée). Evidemment, on peut tout faire avec les contes mais si créer une Blanche-Neige qui braverait en duel sa belle-mère maléfique est à priori une vision moderne séduisante du conte (elle parvient ainsi à s’échapper par ses seuls moyens), l’affubler d’une armure et d’une épée n’est pas la meilleure méthode, visuellement ça ne fonctionne pas.
L’ensemble de ces faux pas dans l’écriture n’aide pas les acteurs à tirer le film vers le haut. Force est de constater que Charlize Theron, avantagée par le scénario, s’adapte parfaitement à son rôle. Superbe, vénéneuse, autoritaire, névrosée, elle incarne une reine sorcière qui fait le film. Son charisme balaie une Kristen Stewart certes physiquement conforme au conte mais désarmée par peu de dialogues, l’enfilade de scènes mêlant fuite et visions de cauchemar, ne pouvant exploiter que quelques instants tragiques pour varier son jeu. Même l’enfermement dont Blanche-Neige est victime depuis l’enfance n’est pas confronté à sa découverte forcée du monde, on passe très vite sur ce qu’elle est censée éprouver perdue dans la forêt maudite ou témoin des merveilles que lui montrent les nains. Même traitement pour Chris Hemsworth, grognon, brutal jusqu’au bout, en paroles comme en action sauf lorsqu’il croit sa protégée morte. Le basculement du chasseur dans le rôle du prince charmant flotte dans cette scène pour disparaître immédiatement, dommage !
Le vrai prince charmant, pour sa part, est un figurant et les 7 nains, soutiens et sauveurs de Blanche-Neige dans le conte, sont réduits à une place de clowns et soldats miniatures pour la bataille finale.
Réel éblouissement du film, après l’interprétation de Charlize Theron, l’esthétique visuelle rattrape l’impact général. On passe d’un environnement à l’autre sans nuance ni frontière définie mais les visions offertes par l’équipe artistique sont féériques. Le sombre et haut château sur un pic rocheux frappé par les flots, les salles obscures des appartements de la reine font écho à son cœur, le miroir devenu forme fluide et vivante, les soldats sans visages qui s’évaporent en centaines d’éclats d’onyx, la forêt noire hantée de mille monstres et dangers, le territoire des nains si vert et ensoleillé que le reste du royaume est pluvieux, boueux, sombre et froid…
Le voyage de Blanche-Neige lui montre ce que sa belle-mère a fait du royaume de son père et ce que celui-ci peut devenir si elle en reprend le trône. La photographie participe à cette alternance entre froid mortel et doux ensoleillement d’espérance, illustre l’opposition entre les deux femmes héroïnes du film.
Le choix entre fidélité ou détachement franc du conte originel n’est pas fait et le film semble avoir été écrit pour Charlize Theron, résultat Blanche-Neige et le Chasseur passe totalement à côté de son propos. Son esthétique superbe et magique reste un atout indéniable et c’est d’abord pour lui qu’on regarde ce film.
Blanche-Neige et le Chasseur
Réalisateur : Rupert Sanders pour Universal Pictures
Scénario : Hossein Amini, Evan Daugherty et Evan Spiliotopoulos
Décors : Dominic Watkins
Direction artistique : Andrew Ackland-Snow, Alastair Bullock, Oliver Goodier et Stuart Rose
Photographie : Greig Fraser
Musique : John Newton Howard
Avec : Charlize Theron, Kristen Stewart, Chris Hemsworth, Sam Claflin, Sam Spruell…
Sortie France : 13 juin 2012