Bastards – Yal Ayerdhal

ayerdhalbastardsDepuis transparences, Ayerdhal a renouvelé son écriture tant par le style que par des thématiques qu’il n’hésite plus à projeter dans notre société contemporaine en en faisant porter les débats avec une littérature militante et jubilatoire. Ainsi dans Bastards, il nous permet d’explorer l’angoisse principale de l’écrivain : la redoutable feuille blanche. Mais ce n’est là que le prétexte pour visiter nombre d’arrière-mondes. Pour fréquenter depuis quelques années maintenant le milieu littéraire, j’ai la chance de suivre de plus ou moins loin des auteurs qui m’ont fait découvrir le monde de la création lors d’interventions pendant des festivals. Je me suis souvent inquiété pour des auteurs après qu’ils aient réalisés un ouvrage qui se détachait de leurs écrits antérieurs. En effet, on peut penser que la rédaction d’une œuvre maitresse puisse épuiser un auteur et peut-être tarir son envie d’écrire tant l’atteinte d’un sommet peut vous amener à penser qu’il n y a plus de challenge à la hauteur de celui accompli. Je peux l’avouer maintenant que je sais qu’il n’est pas concerné par ce syndrome, mais j’avais craint qu’Ayerdhal soit victime de ce renoncement après Transparence tant le sablier s’est vidé avant son ouvrage suivant. Aussi, lorsqu’il nous présente Alexander Byrd qui, après son Prix Pulitzer, ne trouve plus de sujet dont il ait envie de porter le témoignage, j’y trouve un thème qui parle à celles et ceux qui aiment des auteurs qui les ont fait réfléchir, rêver, les deux à la fois. Et c’est justement le cœur de cet ouvrage qui nous explique le rôle qu’un auteur peut jouer dans la société. Et Dieu sait qu’Ayerdhal est un auteur qui compte pour moi.

Son agent invite Alex à s’intéresser à Cat-Oldie, une mystérieuse vieille dame qui, assistée  d’un félin tout aussi étrange, punit les criminels de toute trempe qui sévissent à Brooklyn et ses environs. Bizarrement personne n’a encore réussi à savoir qui elle est, ni quelle est son histoire. C’est sur sa piste qui Alex va se lancer, une piste bien dangereuse car les vieilles dames, même dignes, portent parfois de lourds secrets. Ce nouveau roman d’Ayerdhal  nous plonge dans les arcanes des sociétés voire des services secrets et de leurs officines noires que peu imaginent. On retrouve bien là l’auteur qui aime à surfer sur les différentes combinaisons que les théories du complot nous proposent. En écrivain avisé, il n’hésite pas à recourir au budget illimité d’effets spéciaux et de casting que son art autorise. Ainsi il nous emmène à la rencontre de personnages célèbres et notamment d’auteurs contemporains qui deviennent pour certains des personnages impliqués dans ce récit.

De même, l’écriture au présent avec un narrateur extra-diégétique non omniscient donne une dimension inégalable à ce roman d’action et d’investigation avec de multiples retournements de situation. Les alliés peuvent parfois s’avérés plus dangereux que les ennemis déclarés, et cela relativise bien des relations. Ayerdhal sait rendre attachants ses personnages qu’il n’hésite jamais à faire disparaître, afin d’accroître encore plus la tension narrative. Le chapitrage prend la forme d’actes et de scènes tout comme au théâtre, mais chaque acte commence ici avec un prologue toujours superbement rédigé qui part d’une généralité pour arriver à une contextualisation dans le récit. Même si la densité de cette histoire m’a parfois laissé penser que j’en perdais le fil, la qualité d’écriture de l’auteur en fait un grand moment de lecture. Les fantômes du 11 septembre dans la mémoire étasunienne, les violences faites aux femmes sont quelques-unes des sous-thématiques qui donnent des dimensions supplémentaires à ce roman. La superbe couverture au Diable Vauvert reflète la solitude de la création et le félin qui veille, elle est le reflet particulièrement adapté de ce roman riche, dense et somptueux.

Le style d’Ayerdhal est réellement un des plus beaux qu’il m’ait été donné de lire ces dernier temps. Cette écriture – trop rare à mon goût – nous rappelle que nous avons la chance de pratiquer une des langues les plus riches qui soient. Il faut des artistes comme lui pour la mettre en valeur et nous réconcilier avec cette beauté dont nous avons hérité et que nous ignorons avec tant de facilités. Le seul vrai reproche que je peux faire se trouve dans la confrontation finale où le deus ex machina intervient avec opportunisme. Les plus grands auteurs, des tragédiens antiques à nos jours, ont utilisé cet artifice et peut-être avons-nous maintenant une vision occidentale trop sophistiquée pour trouver ce recours trop facile. Toujours est-il que nous avons avec Bastards un beau roman fantastique, d’aventure et d’action qui dissimule, sous ses apparences de block buster à l’américaine, une réalité plus profonde. Un roman sur lequel il faut se jeter si vous chercher à vous changer les idées, l’immersion sera alors totale, distrayante, voire salvatrice.

Bastards
Yal Ayerdhal
Au Diable Vauvert
2014

20,00 €

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