Les Furies de Borås – Anders Fager

furiesdeborascouvrvb [500x500]Après les polars venus du froid, le fantastique venu du froid. Après les succès de Laisse-moi entrer et du  Retour des morts du suédois John Ajvide Lindqvist, voici un recueil de nouvelles d’une autre suédois, Anders Fager. Un auteur présenté comme  « Ex-geek, ex-punk, ex-dyslexique », ce qui fait beaucoup pour un seul homme, et pourrait provoquer la méfiance de lecteurs préalablement échaudés par les écrivains prétendument atypiques, prétendument cultes, prétendument déjantés, et dont les ouvrages tombent  immuablement des mains au bout de quelques dizaines de pages.

 Mais, avec Anders Fager, il n’en est rien. Le recueil démarre assez fort avec la nouvelle éponyme Les Furies de Borås, réécriture moderne d’un conte païen,  à la Arthur Machen, mais revu à la sauce sex, drugs and gore’nroll. Après avoir découvert ce qui se passe dans la tourbière à proximité de la boîte de nuit d’Underryd, le mâle basique risque fort de ne plus avoir la moindre envie d’aller en boîte, et ne considérera plus sans doute plus les adolescentes de la même manière. C’est violent, cru, réaliste, épouvantable, et, dans le genre, il faut avouer que c’est assez fort.

 Encore n’est-ce là qu’un début. Après Le vœu de l’homme brisé – intermède historique où le fantastique est beaucoup plus suggéré que décrit, et qui nécessite quelques connaissances historiques pour être pleinement compris (ce récit se passant en décembre 1718 n’est sans doute pas sans rapport avec la mort de Charles XII de Suède… mais qui de nos jours a encore lu l’Histoire de Charles XII de notre grand Voltaire ?) et qui évoque  Ittakva, entité terrifiante qui dévore les hommes en n’en laissant que les jambes et les yeux – c’est un retour au monde contemporain avec Joue avec Liam.

 Un retour particulièrement horrifique car Joue avec Liam, qui ne manquera pas d’arracher à certains des glapissements d’horreur, est une nouvelle remarquable, mémorable sans doute, à la frontière entre fantastique et psychopathologie, et qui met en scène soit la démence d’un enfant, soit la contamination progressive d’un petit groupe d’enfants par une entité dissimulée au fond d’un trou. Hypothèse fantastique qui deviendra de plus en plus probable à mesure que le lecteur avancera dans ce volume, car certaines de ces nouvelles ne vont pas sans se faire sinistrement écho.

 Viennent ensuite Trois semaines de bonheur, fable abominable qui évoque à la fois certains remugles lovecraftiens et bien des récits des années pulps, Un pont sur Västerbron, histoire de suicide collectif de personnes âgées qui demeure incompréhensible aux autorités, Encore ! Plus fort !, nouvelle, sans jeu de mots, encore plus forte, qui met en vedette deux amants passant leur temps à s’étrangler mutuellement afin de renouveler les expériences de mort imminente et de découvrir le pays qui se dissimule derrière, L’escalier de service un récit admirablement typé dix-neuvième débouchant, une fois encore, sur une horreur à la Lovecraft, et enfin Le bourreau blond, histoire contemporaine de sorcellerie, mais pas que, puisqu’elle vient renforcer à la fois Encore ! Plus fort ! et Les Furies de Borås.

Car une des grandes forces de ce recueil, outre l’aspect réaliste auquel Anders Fager excelle, c’est en effet la manière dont ces nouvelles non pas se chevauchent, mais, plus subtilement, composent des zones d’intersection troubles qui, par-dessus les aspects psychopathologiques particulièrement bien décrits, viennent à chaque fois renforcer les options surnaturelles – un surnaturel immuablement abominable. Une option que viennent étayer encore cinq récits courts nommés  Fragments VI, VII, IX, X, XII et qui mettent en scène, non sans échos avec les nouvelles précitées, une entité affamée venue d’outre-espace, quelques-unes des jeunes filles des Furies de Borås et le personnage principal de Trois semaines de bonheur. Nouvelles et fragments, donc, s’articulent et se répondent, s’éclairent mutuellement –  ou, plutôt, vu leurs thématiques, viennent mutuellement renforcer leurs ténèbres respectives. La composition de ce volume représente un tour de force d’autant plus remarquable que si l’on en croit les informations données par l’éditeur, ces treize textes, qui forme un tout cohérent, proviennent en réalité de trois recueils distincts.

 Si Anders Fager compose un fantastique violent, cru, réaliste, parfois jusqu’au sanglant, on aurait tort de ne voir en lui qu’un peintre complaisant de l’abominable. Ses ambiguités répétées entre le maléfique et le psychiatrique, souvent aux dépens de cette dernière hypothèse, ne sont pas sans évoquer certains textes fondateurs comme Le Horla de Maupassant. Nous avons cité plus haut d’autres précurseurs comme Machen et Lovecraft  (dont Fager mentionne, à une seule et unique occasion, l’une des entités, le fameux Nayarlatothep), nous pourrions ajouter, pour l’aspect réaliste et la manière dont l’auteur donne corps à ses personnages, un certain maître de Bangor – mais les influences de Fager sont à l’évidence multiples, composites, et habilement mêlées.

 Habilement mêlées, parce que même pour ceux qui ne goûtent que moyennement les aspects trop violents, l’alchimie fonctionne. Les nouvelles et les ambiances de Fager ne font pas partie de celles qui s’oublient peu de temps après avoir été lues. Prenantes, fouillées, souvent fascinantes, elles donnent envie de plonger plus profondément dans son univers.

 Après deux premiers volumes ayant eu bonne presse, Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour de S.G. Browne et Je suis la reine et autres histoires inquiétantes, d’Anne Starobinets, la collection pourpre des toutes jeunes éditions Mirobole, avec Les Furies de Borås, continue indiscutablement à marquer des points dans le domaine du fantastique contemporain.

Les Furies de Boras
Anders Fager
Traduction : Carine Bruy
Couverture : Sean Habig
Editions Mirobole

21,50 €

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