Le Vertige des Origines – Vignac, Borderie, Yoz

Le duo Michel Borderie (à l’illustration) / Vignac (à l’écriture) nous a déjà offert un superbe roman graphique, La légende de l’Ulster, paru en 2006 chez Eons éditions.
Dans Le Vertige des Origines, et avec une troisième complicité en la personnalité graphique de Yoz, ils nous entraînent cette fois-ci dans une fantasmagorie bien plus sombre mais plus savoureuse encore.

Dans l’univers éternel de l’Empyrée, domaine des dieux, règne le tout puissant Clérion. A son appel magique résonant dans leur cœur, les douze princes se doivent de quitter leur résidence par-delà les cieux pour venir jusqu’à lui, dans son palais de l’Empyrée. L’invitation ne peut être refusée, aussi Clérion est-il surpris de constater l’absence d’Eschiolan, son propre fils, dans l’assemblée des princes. Sous l’influence de l’orgueilleux Fedjin, ces derniers entendent changer de statut. Ils sont le bras de Clérion, ceux qui ont dominé les hommes pour lui mais sans son aide. Eux seuls devraient jouir pleinement du prix acquis : le travail des hommes, leur endurance, leurs prières, leur ferveur. Démontrant leur détermination en défiant ouvertement la magie du roi des cieux, ils pensent être entendus, certains que sans son fils Clérion se laissera dominer par leurs arguments. Mais le souverain des souverains exerce au contraire une force telle que les princes plient le genou devant lui, battus et humiliés. Qui sont-ils pour le défier, lui ? Les hommes sont ses créatures, les princes n’ont pour seul pouvoir que de veiller à ce que perdurent leur croyance et surtout leur crainte des dieux, de l’Empyrée et de Clérion. Soudain, Eschiolan survient. Certes, il est en retard mais son entrée en scène, loin de soutenir les paroles de son père, jette le doute sur l’assemblée. Fatigué d’arbitrer les ambitions et soifs de pouvoir des princes et de son père, il proclame qu’il est temps pour eux tous de regarder les humains non plus avec mépris mais avec crainte. Car le temps qui verra la chute des dieux approche… Ses paroles provoquent colère et ressentiment. Persuadé de son choix, Eschiolan ne cède rien. Clérion n’a pas d’autre choix que de l’exiler avec toute la force de sa magie, pour l’exemple. Mais quelles que soient les conséquences, Eschiolan sait que l’avenir ne peut être autre que celui qu’il a prédit.

Quand on connaît le travail du duo Borderie/Vignac sur La légende de l’Ulster et le second roman graphique imaginé et créé de bout en bout par Michel Borderie (Le Grimoire de Korylfand, 2010, éditions Spootnik), deux œuvres dans lesquelles souffle l’héritage des légendes celtiques, on est un peu surpris par le parti pris du Vertige des Origines. C’est un univers différent qui est mis en scène, nourri d’autres racines : celles des mythologies antiques.
En effet, les guerres entre dieux dans leur domaine, avec pour point de départ des querelles, une lutte de pouvoir entre générations et au milieu de cela les humains pour enjeu, cela vous rappelle quelque chose n’est-ce pas ? Que ce soit dans la mythologie grecque, égyptienne ou romaine, on retrouve ce schéma charismatique et fascinant. Bien entendu, je ne sais pas si cela est conscient pour le scénariste Vignac mais le fait est là, entre les lignes.

A partir de cette base culturelle, Vignac a imaginé un univers céleste proche des codes de la fantasy, empli de magie, de créatures qui apparaissent et disparaissent au gré des besoins de leurs maîtres, de sorts explosifs ou mystérieux, de personnages grandioses et emblématiques aux caractères campés, tour à tour cruels, ambitieux, colériques, royaux, divins, orgueilleux, aveugles de puissance… Au milieu se dressent deux personnages complices et radicalement différents des autres : Eschiolan et sa sœur Alménia. Ils sont l’avenir, plus encore, la conscience que les choses changent, évoluent et que toute la magie du monde divin ne peut entraver indéfiniment le cours naturel de cette évolution. Les propos de Clérion et d’Eschiolan pourraient être pesants si Vignac n’usait pas d’un procédé malin, à savoir l’exploitation d’un récit dans le récit. Sans tomber dans une diatribe longue et ennuyeuse, le scénario invite donc le lecteur dans un chapitre à part, celui contant une anecdote démontrant le bien-fondé des idées du dieu des dieux. C’est un aparté plus sombre encore mais dont la morale est éclatante et ouvre l’ampleur du défi d’Eschiolan. Laissant ouvert le passage vers un tome 2, Vignac abandonne le lecteur avec un Eschiolan exilé et une Alménia convaincue, décidée à trahir leur père pour mieux lui ouvrir les yeux.

Et le graphisme dans tout ça ? Un contraste surprenant entre les deux artistes que sont Michel Borderie et Yoz qui se complètent à merveille dans cet album. Le style de Borderie est résolument tourné vers un jeu opposant sans cesse le noir et la couleur, l’ombre et la lumière pour mieux servir la tonalité générale du récit et l’ambiance même de l’Empyrée oscillant entre splendeur magique et luttes de pouvoir. Les pages de garde résument à elles seules cette constance dans les trois chapitres qu’il illustre : formes, symboles et titre dorés sur fond noir. On glisse ensuite d’une page flamboyante comme la magie de Clérion vers la présentation des architectures divines élancées, superbes, proches des cathédrales baignées de lumières, flottantes entre cieux et eaux mais glacées de beauté surnaturelle.

La tension des mots est ainsi relevée par cette clarté trop parfaite. S’ensuivent des doubles pages étonnantes au cœur desquelles Borderie semble avoir pris plaisir à exploiter une approche en négatif des créatures et personnages, tout d’encre noire sur fond blanc teinté du rouge annonciateur de conflit.

L’expressivité des visages en est renforcée. Et quand on quitte la suprématie évidente d’Eschialon, tout d’armure argentée et dorée, le front aussi haut que sa voix, c’est pour aborder la vision de Yoz.
Quand je parle de contraste c’est l’évidence même avec le chapitre trois de cet album, le seul à avoir été illustré par Yoz. Familier ou non des deux artistes, de la patte de Yoz lui-même, on ne peut qu’apprécier la surprise que réserve leur collaboration sur une même histoire. Comme c’est le cas avec l’aparté scénaristique de Vignac contenue dans ce chapitre, le traitement graphique offre une parenthèse tout aussi décalée. Clérion choisit de conter une histoire à ses compagnons pour mieux prouver son point de vue. Cet épisode est présenté telle une histoire dans l’histoire à la fois dans le scénario et dans l’image. On quitte donc le style contrasté aux contours nets de Borderie pour plonger dans le monde terrestre, tout en obscurité, lumière bleutée, roche abrupte et air sali défini par Yoz. Des créatures non plus gracieuses mais laides et avides peuplent le récit de Clérion, sur une terre de souffrance abandonnée des dieux où les hommes traitent en esclaves ceux qui sont faibles.

Contrairement aux couleurs dominantes, ce chapitre n’offre que cette vision obscure tandis que le texte sublime l’idée de Clérion, offrant une morale subjective au cœur même de ce qui devrait être source d’horreur. Fort de cette note transitoire, le quatrième et dernier chapitre nous ramène dans l’Empyrée et l’art de Borderie, où les dieux ne vivent qu’entourés de lumière, alors même que la trahison couve entre eux.


Le contraste est donc pluriel : dans les choix graphiques, dans le thème de l’histoire, dans le style des auteurs. Ce qui reste est l’impression habile que l’Empyrée n’est guère qu’une douce illusion aux merveilles car le mal est bien là, s’il n’habite point le décor, il envahit les princes et leur maître.
Qu’ajouter sinon : vivement le tome 2 !

Toutes les images sont extraites du blog-site de Michel Borderie.

Le Vertige des Origines

Vignac, Borderie, Yoz

Editions Spootnik – Arcantès
21 x 30 cm, 48 pages
Sorti en 2012
20 euros

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