Bonjour, Robin, et merci de prendre le temps de répondre à mes questions. Pourrais-tu tout d’abord te présenter et nous expliquer comment tu es devenu éditeur ?
Bonjour Thomas, merci à toi pour ton invitation, c’est toujours un plaisir de parler LitRPG ! Je m’appelle donc Robin Batet, j’ai 30 ans et je suis éditeur chez Lizzie (livres audio) et Lorestone. Je suis devenu éditeur via un parcours assez classique. Quelques années en fac de lettres, puis de bonnes expériences dans le monde du livre, en association, en librairie, suivies de plusieurs stages auprès d’éditeurs qui m’ont donné envie d’intégrer ce milieu. J’ai commencé ma vraie carrière en tant qu’agent littéraire junior à la fin de mes études et j’ai eu envie de retourner côté édition après 3 ans de vente de droits. J’ai rejoint l’éditeur de livres audio Lizzie fin 2020, et nous avons créé par la suite Lorestone avec une partie de l’équipe Lizzie fin 2024.
La Fantasy et le JdR, c’est une vieille passion, ou bien cela t’es venu sur le tard ?
La fantasy est une vieille passion, c’est vraiment par cette porte que j’ai découvert la lecture et le monde du livre, et ça reste mon genre de prédilection en tant que lecteur, mais le JdR, pas du tout. J’ai passé un moment sur ce qu’on appelle des forums RPG quand j’étais ado, mais c’est très différent du JdR, ça s’apparente plus à une forme d’écriture collaborative, je dirais. Je suis un gros joueur de jeux vidéo, en particulier de RPG/JRPG, mais je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de m’essayer au JdR pur et dur. J’ai suivi quelques actual play ici et là, mais jamais participé, non pas par manque d’envie, mais parce que je n’en ai jamais eu l’occasion. Toute mon expérience me vient des jeux qui ont bercé mon enfance et continuent d’enrichir ma vie d’adulte, des grandes licences japonaises que tout le monde connaît aux succès plus récents dans le monde du RPG.
Lorestone est un label de LitRPG, chose assez nouvelle en France. Pourrais-tu la définir pour nous ?
Bien sûr. J’ai l’habitude maintenant de décomposer le terme en premier, donc on parle de Lit (qui évoque la littérature, et en particulier les littératures de l’imaginaire) RPG (qui évoque les jeux vidéo appartenant au genre des jeux de rôle) lorsqu’un auteur utilise les codes du jeu vidéo pour de façon intradiégétique afin de faire progresser sa trame et ses personnages. Concrètement ça se traduit par des personnages qui gagnent des points d’expérience et prennent des niveaux, pour ensuite suivre des quêtes, battre des boss, trouver de l’équipement, choisir de nouvelles compétences, etc. Attention, la LitRPG n’est PAS un livre interactif type Livre dont vous êtes le héros, c’est tout à fait linéaire comme un roman classique, et ça n’est pas non plus du roman de licence, type roman Minecraft, Assassin’s creed, etc.
Que va apporter au lecteur la LitRPG par rapport à de la fantasy classique ? La romantasy par exemple centre sur la romance avant l’imaginaire, mais comment le RPG va-t-il se mettre au centre du roman alors que dans la fantasy c’est déjà en grande partie le cas ?
Si la romance est au centre de la romantasy, c’est la progression des personnages qui est au centre des romans de LitRPG. Ce que permet la LitRPG, avec les « systèmes » présents dans les romans, c’est de rendre la progression des personnages extrêmement tangible et concrète. On sait que notre personnage est plus fort parce que sa stat de Force est passée de 12 à 15. On sait qu’il peut maintenant mieux résister aux attaques de foudre parce qu’il a trouvé un artefact qui lui octroie une résistance de 50 % à cet élément. Le pari de la LitRPG, c’est de mêler les sensations d’évasion et de découverte propres à la fantasy à l’intensité de l’engagement et l’immersion totale que seuls les jeux vidéo peuvent offrir.
Actuellement, deux premiers tomes de séries sont sortis. Pourquoi avoir fait le choix de Primal Hunter et de Dungeon Crawler Carl pour débuter la collection ? Le choix du full fantasy t’a-t-il semblé opportun ?
Primal Hunter et Dungeon Crawler Carl sont deux séries qui incarnent parfaitement deux facettes très différentes de la LitRPG actuelle. Notre volonté était de proposer deux portes d’entrée distinctes pour que chaque lecteur trouve celle qui lui correspond et ainsi faire découvrir la LitRPG à un maximum de lecteurs et de lectrices.
D’un côté on a Primal Hunter, qui nous plonge dans un univers aux possibilités infinies à travers les yeux de Jake, qui rappelle beaucoup les grands héros de shonen. Jake est rapidement fasciné par les possibilités offertes par cet élément de jeu et se plonge dans cet univers à corps perdu pour tenter de devenir toujours plus fort et de pouvoir affronter des ennemis toujours plus terrifiants. On est sur un savant mélange de dark fantasy et de shonen qui monte crescendo de tome en tome et questionne notre capacité à faire société lorsque les règles du jeu sont complètement bouleversées.
Dans Dungeon Crawler Carl, notre héros, Carl, est l’un des survivants d’une invasion extraterrestre qui détruit toutes les constructions terriennes (et ceux qui se trouvaient à l’intérieur à l’heure de l’attaque). Ces aliens ouvrent alors un peu partout sur Terre des escaliers qui mènent les survivants téméraires au cœur d’un donjon qui n’est autre que le décor d’une sorte d’émission de téléréalité à la Hunger Games, en plus cruel et avec des millions de participants. Carl est donc forcé de participer à ce jeu, avec l’aide du chat de son ex, l’incroyable Princess Donut. Ici on est en compagnie d’un groupe de personnages extrêmement attachants qui tentent de survivre, d’épreuve en épreuve. Dungeon Crawler Carl nous pose alors une question terrible : comment rester humain dans un monde qui fait tout pour nous briser ?
Des versions audio ont également été créées, avec une mise en ambiance. Comment se passe le travail sur ces versions de romans ? Comment se fait le choix des voix etc ?
En effet, et tous les titres Lorestone feront l’objet d’une version livre audio. Cette envie a toujours été au cœur du projet, pour rendre nos titres accessibles au plus grand nombre de lecteurs, qu’ils préfèrent la lecture audio, la lecture numérique ou la lecture papier. Pour Primal Hunter, la difficulté se concentre autour de cet aspect « système » qu’il faut rendre assez clair à l’écoute. À l’écrit, on utilise le gras et l’italique pour signaler les interventions du système ou les pages de stats des personnages, mais à l’oral, il nous faut être créatif. Par chance, Lizzie a beaucoup d’expérience pour relever ce genre de défi. En travaillant avec la brillante équipe des studios Blynd, nous avons conçu une charte audio qui permet de donner beaucoup de texture à ces passages et permet à l’audiolecteur de bien comprendre quand il s’agit d’une intervention du système ou de la narration classique. Pour ce qui est des voix, tous les éditeurs audio ont leur méthode. Chez Lizzie, nous procédons à un casting qui réunit 3 à 4 comédiens correspondants aux critères établis avec le studio pour chaque livre audio. Ici, le plus important pour nous (outre l’âge, le genre, etc.), c’était d’avoir un comédien qui saurait apprécier l’univers et lui donner vie avec beaucoup d’authenticité, mais aussi beaucoup de respect pour les conventions du jeu vidéo et du jeu de rôle. Au final, c’est Sébastien Mortamet qui a été choisi et qui nous a livré une superbe prestation sur ce gros bébé de 27 heures ! Le livre audio a beau être imposant, il passe tout seul grâce à la narration très vivante et l’amour du jeu du comédien. Pour l’anecdote, il se trouve que Sébastien Mortamet est loin d’être un novice niveau RPG puisqu’il fait partie des animateurs et joueurs de la chaîne Youtube « Rôle’n Play ».
Peut-on espérer voir apparaître des univers autres que de la fantasy ? Personnellement je rêverai de voir du cyberpunk dans ta collection. Est-ce dans les tuyaux ? À quoi peut-on s’attendre sur 2025, à part les suites des séries déjà entamées ?
Je ne peux rien dire sur les séries qui ne sont pas encore annoncées, mais il n’est pas impossible qu’on fasse un détour par un décor plus futuriste d’ici la fin de l’année… À part ça, dès le 16 janvier, on lance une nouvelle série avec la sortie du premier tome de System Universe : Immortels. Là encore, j’ai souhaité proposer une approche différente de la LitRPG, puisqu’on se retrouve en compagnie d’un héros surpuissant, Derek, qui bouscule les thèmes classiques de l’isekai. La question qu’on pose ici n’est pas tellement de savoir comment Derek va s’adapter au monde dans lequel il atterrit, mais plutôt comment il va faire en sorte que ce nouveau monde s’adapte à lui… Beaucoup d’humour en perspective, une plume très dynamique et des personnages hauts en couleur !
Actuellement le marché de la fantasy est divisé entre la fantasy dite « classique » et la romantasy, qui s’est imposée en France. Retrouver un nouveau sous-genre sur les étals des libraires ne risque-t-il pas de fragmenter encore plus le public, ou bien d’apporter plutôt une nouvelle diversité ?
Personnellement, je ne crois pas du tout en la « fragmentation du public ». Je vois la fantasy, et plus largement les littératures de l’imaginaire, comme un territoire que chaque lecteur (et auteur) peut explorer à sa guise. Le plus important pour moi en tant qu’éditeur, c’est de donner envie aux lecteurs d’entrer dans cet univers. C’est pour ça d’ailleurs que le logo de Lorestone est une clé, c’est la raison d’être de Lorestone, d’ouvrir de nouvelles portes vers l’imaginaire et dans l’imaginaire, pour qu’un maximum de lecteurs s’y sentent les bienvenus.
L’industrie du jeu vidéo dépasse aujourd’hui largement celle du cinéma (au niveau mondial, elle a généré en 2023 six fois plus de revenus que celle du 7e art), la LitRPG offre aux fans de gaming une transition naturelle vers la lecture. En ça, je pense que la LitRPG peut complètement apporter une nouvelle diversité en rayon.
Comment choisis-tu les couvertures ? Te bases-tu sur les couvertures anglo-saxonnes, ou bien fais-tu faire des créations spécifiques à ces éditions ?
Pour l’instant les titres que nous avons publiés ont des couvertures anglo-saxonnes que je trouve extraordinaires, nous les avons donc conservées pour nos versions, mais je n’en fais pas une règle, c’est vraiment au cas par cas. D’ailleurs, pour Dungeon Crawler Carl, il existe d’autres couvertures qui datent de l’époque où le titre était auto-publié, qui sont très appréciées des fans, donc pour leur faire un petit clin d’œil, comme un easter egg, les anciennes couvertures de chaque tome se cachent au verso de la nôtre.
La LitRPG est encore peu développée en France, mais prévois-tu éventuellement de publier des auteurs français qui se seraient lancés dans ce genre ?
Ce serait une grande fierté de publier des auteurs francophones, absolument. Pour moi, c’est un espoir en 2026 au plus tôt, je préfère laisser le temps aux lecteurs et aux auteurs de découvrir la LitRPG et ses codes afin de bien s’en imprégner et de bien les comprendre avant d’en écrire. Je détesterais publier un auteur à qui je commande un titre de LitRPG qui n’en serait qu’à moitié ou fait juste pour surfer sur une tendance. Le succès que connaît la LitRPG aux US s’explique en grande partie parce qu’elle est portée par des auteurs passionnés de jeux vidéo, de mangas, et surtout de LitRPG. Leur écriture est complètement authentique, et ils en écrivent parce qu’ils aiment ça profondément. Et ça se sent dans les romans, cette idée de passion et d’amour du genre est complètement intégrée à l’ADN du genre. Si je trouve ça dans un bon roman de LitRPG écrit en français, j’aurais grand plaisir à le signer pour Lorestone.
Si tu ne devais garder qu’un seul roman, un seul jeu, un seul album de musique, ce seraient lesquels ?
Un seul roman, ce serait le premier tome de La Guerre de la Faille de Raymond E. Feist. C’est la première saga de fantasy qui m’a attrapé quand j’étais gamin, c’est une série qui a marqué ma vie de lecteur et ça fait un moment que je n’ai pas eu l’occasion de la relire, il est grand temps que j’y retourne ! Un seul jeu, ce serait Dragon Quest VIII : l’Odyssée du roi maudit, un jeu magnifique, plein de charme, de poésie, et de personnages marquants. Pareil, il a complètement marqué ma vie de joueur. Enfin, un seul album, je triche un peu en choisissant l’OST de Final Fantasy XV, composée par Yoko Shimomura. C’est un jeu qui a ses défauts, mais sa musique n’en est pas un, elle est absolument incroyable et couvre un spectre d’émotions assez fou. Somnus, Hellfire, Wanderlust, Dawn, Omnis Lacrima, Luna, Valse di Fantastica, et je pourrais en citer tant d’autres. La musique de jeux vidéo est un sujet sur lequel il ne faut pas me lancer ! Et en plus, cette OST fait plus de 5 heures avec ses 96 pistes, donc je ne risque pas de trouver ça redondant…
Et sous le sapin d’un éditeur, on a trouvé quoi cette année ? Toujours plus de livres ?
Pas de livres ! Mais c’est ma faute, je demande explicitement à mes proches de ne pas m’en offrir parce que j’en ai trop, les bibliothèques débordent et les murs manquent pour en ériger de nouvelles. J’en ai offert cela dit, bien sûr.