Entretien avec Jean Krug, auteur de Cité d’Ivoire

On a interviewé Jean Krug, l’auteur du Chant des glaces et de Cité d’ivoire !

 

Bonjour, et tout d’abord merci de bien vouloir répondre à nos questions ! Pour commencer, pourrais-tu te présenter ?

Bonjour eMaginarock !
Bien sûr. Je m’appelle Jean Krug, je suis glaciologue de formation, guide polaire et vulgarisateur scientifique. J’ai travaillé pendant plusieurs années sur la glace et, en particulier, sur le comportement des glaciers situés aux marges des calottes polaires, l’Antarctique et le Groenland. L’idée, c’était de comprendre comment la formation des icebergs modifie l’écoulement du glacier situé en amont. C’est une question importante, car on sait que les calottes polaires sont des contributrices potentielles majeures de l’augmentation du niveau de la mer.

Bref, tout cela m’a amené à m’intéresser au climat, au sens plus large, et à la vulgarisation. Que ce soit par le biais de conférences, de rencontres ou d’articles de blog. Mais aussi, désormais, de romans !

 

Ton dernier roman, Cité d’Ivoire, est paru en mars aux éditions Critic. Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur l’univers dans lequel il s’inscrit ?

Quelle transition ! ;-)

Cité d’Ivoire est justement un roman qui aborde la question du climat.

L’histoire se passe vers 2500 et débute dans une ville, Iliane, recouverte d’un dôme érigé plusieurs siècles auparavant dans le but de protéger la population du changement climatique.  La société s’est habituée à cet enfermement et elle vit désormais recluse sur elle-même, dans cette cité découpée en classes sociales lourdement marquées. Le Dehors est inconnu et inaccessible, hormis pour quelques individus triés sur le volet.

Dans les milieux contestataires, on va commencer à entendre parler d’un autre lieu, la Cité d’Ivoire, laquelle serait un havre de liberté et de démocratie, perdue dans le Dehors. On suit trois narrateurices (une policière, un anarchiste et un citoyen rangé), lancés à la recherche de cette mystérieuse Cité.

On est donc dans une ambiance de post-apo mêlé à une société de contrôle sur le déclin.

 

Au-delà du récit, il m’a semblé que tu transmettais des réflexions sur le changement climatique, mais également sur la construction de notre société. Y avait-il l’idée de faire passer un message politique à travers ce roman ?

Exactement ! L’idée était clairement d’écrire un discours sur notre société, et donc de faire passer un message politique. C’était même la genèse du projet. L’aventure qui porte l’histoire s’est construite à partir de ce que je voulais raconter. Et ce que je voulais raconter… c’était beaucoup de choses.

De la colère sur notre monde qui part en cacahuète, sur le peuple que notre société asservit de plus en plus, sur les pauvres qu’il appauvrit encore plus, tout ça pour enrichir et maintenir au pouvoir ceux qui ont déjà tout. Le tout en se moquant éperdument du changement climatique, sans même se rendre compte que, derrière, c’est des humains qui trinquent. On est dans un système profondément tordu et cynique.

Seulement voilà. Une fois qu’on a dit ça, une fois qu’on s’est indignés, on fait quoi ? J’ai envie de dire qu’on va de l’avant, qu’on lance une dynamique. On fait le constat que les solutions à ces problèmes existent. Des expérimentations climatiques et sociales se multiplient, sans attendre le feu vert des dirigeants. Les mouvements citoyens débordent les bords politiques et les classes d’âge et, bien qu’on n’est pas encore engagé sur la bonne voie (que celleux qui veulent s’en convaincre parcourent le rapport du Haut Conseil sur le Climat), on sait qu’il y a de superbes idées à piocher dans cette société.

C’est là qu’on en arrive au fond de Cité d’Ivoire. À ce que je voulais faire. Donner des idées, repenser notre monde, nos valeurs, notre jugement sur les choses et les gens, et les rapports de dominations qu’on entretient entre vivants et non-vivants.

Par ce choix et par cette approche, selon moi, ce roman est davantage une utopie qu’une dystopie.

 

Quelles sont tes sources d’inspiration quand tu écris ?

Friedrich Nietzsche, Alain Damasio, le rapport du Giec et mes photos d’Antarctique.

Bon, s’il y a encore des gens qui m’écoutent à ce stade, j’ajouterai quelques bons romans intemporels, comme Hypérion et Endymion. Plus récemment, j’ai été très emballé par la saga des Olangar, de Clément Bouhélier, chez Critic, et Vigilance, de Robert Jackson Bennett, au Bélial’. Rien d’étonnant, finalement. Ces romans portent un discours puissant.

Mais sur le fond, Cité d’Ivoire est avant tout portée par des écrits scientifiques. J’ai cité le Rapport du Giec plus haut, mais il y a aussi les travaux de Philippe Descola et d’Alessandro Pignocchi, ainsi que d’obscurs articles scientifiques dont le titre raserait certainement tout le monde !

 

Quels sont tes projets pour la suite ?

Tenter de résister à la canicule estivale (j’ai horreur du chaud). Si j’y parviens, au premier semestre 2024, devrait sortir mon troisième roman. Retour en Antarctique, en 2070. Le changement climatique s’est brusquement arrêté, et faute de recherche scientifique sur le sujet, personne ne comprend pourquoi.

Ce sera donc une grande virée science fictive dans le froid, le vrai Froid. Celui des expéditions polaires du début du XXe siècle, d’Amundsen et de Scott, du traité sur l’Antarctique, perché au bout du monde. Avec des révélations d’envergures qui pourraient bien changer la face du monde…

 

Question bonus

Si tu étais un personnage de Cité d’Ivoire, ce serait lequel et pourquoi ?

Je crois que je serais Sam, et je crois que j’aimerai prendre un peu plus du Kid (sur sa gouaille, bien sûr!).

Sam, parce que je suis moi-même pris dans les injonctions contradictoires de notre société, tiraillé comme tout le monde entre un monde qui part en latte, mais dans lequel j’essaye de faire ma place, et le rêve d’un changement total de civilisation, auquel j’essaye modestement de contribuer.

Le Kid, enfin, parce qu’il assume pleinement ses opinions et qu’il n’hésite pas à prendre des risques. Et c’est salutaire !

 

Crédit photo : Jean Krug

Crédit Photo portrait : Morgane Lanco

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