Avec son premier roman élu pépite de l’imaginaire 2022, Christophe Guillemain nous embarque dans un roman de dark fantasy où les apparences sont trompeuses et le destin de quelques-uns déterminant pour la (sur)vie de tous !
L’annonce de la fin est proche. À la cité des Héritiers, le roi Jenophon reçoit la visite de l’oracle annonciateur. C’est le moment que choisit un cirque pour s’installer non loin et offrir un moment de joie. Mais face à l’obscurité qui s’étend, cette compagnie de monstres de foire devra trouver la lumière intérieure, l’unité et l’harmonie, ultimes espoirs d’un pays au bord du gouffre. Dans la nuit d’encre, les étoiles éphémères seront portées par ceux que la société rejette pour leurs différences.
Avec ce premier roman, Christophe Guillemain nous embarque dans un récit aux personnages forts et attachants où les monstres ne sont jamais ceux qu’on croit. L’Enterrement des étoiles est un bestiaire à la fois sublime et horrifique dans une atmosphère gothique de fin du monde.
Ce qui frappe dès les premières pages, c’est le talent de conteur de l’auteur qui arrive à poser une atmosphère sans abuser de descriptions. Le style alterne ainsi entre une poésie qui contraste avec les horreurs qui se déploient devant nous et une brutalité qui restitue la froideur d’un ciel sans étoile. Car dans ce monde, la rébellion du traître, figure honnie depuis trois cents ans, a conduit à l’extinction des étoiles et la perte de ce paradis qu’Abracax avait pourtant promis aux hommes. Mais une prophétie vient d’être énoncée et le destin d’un homme, non de tous les hommes, est sur le point de changer…
Si cette histoire de prophétie peut sembler commune, l’auteur se démarque en la détournant et en l’ancrant dans un jeu de dupes et de faux-semblants où tout semble illusion. Au fil de la lecture, on développe ainsi cette impression que tout est plus complexe qu’il n’y paraît et que les figures traditionnelles du bien et du mal se mélangent pour former une vérité dont on désire ardemment démêler les fils. Il est question ici de prophétie détournée qui finalement porte en son sein sa propre vérité et réalité, de trahison, de rébellion, d’une quête d’un paradis perdu qui n’a pourtant jamais été celui des hommes…
Entre la création d’un mythe et la croyance en un dieu unique, une bataille aux enjeux supérieurs où les motivations des anges ne sont guère plus louables que les ambitions des hommes, l’idolâtrie béate devant un supposé élu avant même qu’il ne réalise le moindre acte de bravoure, l’antagonisme entre un paradis céleste et un enfer terrestre qui est rejoué avec une certaine originalité, notamment dans la nature de ses belligérants… la religion est là en trame de fond, sans jamais pourtant s’imposer. Elle s’éclipse derrière ce qui fait la force de ce roman, un univers fascinant et des personnages aux premiers abords simples, qui cachent pourtant une subtile complexité.
On pourrait regretter un personnage féminin un peu stéréotypé, mais il est finalement à lui seul le symbole d’entités se sentant supérieures, des êtres élus qui pensent mériter la lumière quitte à sacrifier le monde et tous les mal-nés l’habitant pour atteindre une félicité et un paradis perdus. Après moi le déluge, une devise que nos anges déchus pourraient porter en étendard, du moins certains d’entre eux, d’autres se cachant derrière une foi aveugle, dépourvue de réelle compassion, en un dieu dont le silence apparent devient assourdissant.
Entre ceux animés par une jalousie ridicule au regard des événements et ceux rongés par des envies de domination bien peu angéliques, tous les personnages ne sont pas aimables, bien au contraire. Mais j’ai aimé la galerie hétéroclite de personnages proposée par un auteur qui varie les personnalités, les faiblesses et les forces de chacun. Certains personnages m’ont, en outre, étonnée par les secrets qu’ils cachent, leur véritable nature ou tout simplement par la manière dont ils nous rappellent que rien n’est jamais tout blanc ni tout noir.
L’auteur nous réserve ainsi quelques surprises et retournements de situation, tout en évoquant non sans subtilité des thèmes comme le regret et la rédemption, notamment à travers un personnage qui est probablement celui qui m’a le plus touchée. J’ai aimé le voir lutter pour retrouver ses souvenirs et un passé qui se dérobe à lui, et réfréner ses appétits pour faire plaisir à une fillette terriblement attachante victime de l’errance, une étrange maladie qui transforme le sang en sève et le corps en écorce.
Il y a des petits airs de freak show dans ce roman où certains mal-nés sont victimes d’étranges manifestations physiques à l’instar de la plupart des membres du Cabinet des Merveilles de Todestre auquel appartient notre élu. Le vieux Todestre est un personnage mystérieux dont il faudra du temps et de la patience pour comprendre les motivations et son rôle dans une histoire qui se déroule comme une longue pièce de théâtre dont on attend avec impatience le dernier acte. Mais si j’ai été captivée par les oppositions qui se dessinent, les différentes trajectoires individuelles et la manière dont elles se télescopent dans une intrigue complexe aux contours parfois flous, j’ai parfois ressenti un certain détachement durant ma lecture.
Je pense que cela tient en partie au côté parfois nébuleux de certains événements et comportements, et le découpage en trois parties du roman qui a le mérite de dynamiser la lecture, mais qui m’a fait parfois perdre la vue d’ensemble. Néanmoins, au fil des pages et des révélations qui tombent souvent plus durement qu’un couperet, j’ai fini par saisir le véritable enjeu du roman et réaliser que tout était pensé pour amener jusqu’à un final qui s’emballe et permet de recoller tous les morceaux du puzzle. À l’image de ce roman de fantasy où rien n’est ce qu’il paraît être, la fin est tout en nuances avec ce sentiment qu’il y a plus de perdants que de vainqueurs, mais que la lumière a néanmoins réussi à trouver un chemin à éclairer.
Quant à l’univers, il présente le paradoxe d’être restreint tout en étant vaste : restreint par ses contours, vaste par le champ des possibles qu’il ouvre. On notera également un réel effort d’originalité dans la construction de ce monde, la mythologie entourant la chute des étoiles et d’un héros tombé de son piédestal, le pouvoir de création du Verbe et ses vertigineuses implications, et des personnages campant des rôles loin d’être aussi définis qu’on pourrait le penser. Vous verrez ainsi que les monstres ne sont pas forcément ceux que l’on pense… Certaines créatures comme le vampire sont également repensées donnant une nouvelle vie à un mythe que l’on pensait éculé et essoufflé. L’auteur fait, en outre, preuve d’une réelle audace dans une association inattendue mettant un point final à une histoire qui commence dans la rébellion et se termine par le renouveau.
En conclusion, premier roman de Christophe Guillemain, L’Enterrement des étoiles nous plonge avec habileté dans une ambiance de fin du monde où l’impression d’avoir été plongé dans l’horreur d’un cauchemar éveillé se mêle au plaisir d’avoir découvert un imaginaire puissant soutenu par une plume mêlant poésie et brutalité. Un roman de fantasy ancré dans un univers sombre où les apparences sont trompeuses, les voiles de la vérité difficiles à déchirer et le destin en marche forcée. Prophétie ou manipulation, la frontière est parfois mince, mais peu importent les moyens, pourvu qu’il y ait la fin !