Entretien avec Olivier Paquet

 

Entretien par Thomas RIQUET 

Bonjour Olivier, et merci de prendre quelques minutes pour répondre à mes questions. Pourrais-tu tout d’abord te présenter à nos lecteurs et nous expliquer comment tu en es venu à l’écriture ?

J’ai un parcours de bon élève, même s’il était un peu tortueux : littéraire chez des scientifiques, scientifique chez des littéraires.  Au final, j’avais vraiment une mentalité de chercheur, curieux pour des tas de domaines, sans être dilettante, le hasard a fait que je n’ai pas pu concrétiser cela, mais la science-fiction me permet de combler ce besoin. Quand j’écris, je me documente, j’explore, j’expérimente, je fais perdurer cette fibre de recherche, même si mon domaine est plus dans les sciences humaines que dans les sciences physiques.

Concrètement, mes premiers pas dans l’écriture ont été rapides, j’avais bien écrit quelques textes pour moi, à l’adolescence et vers vingt ans, mais c’est vers la fin des années 90 que j’ai envoyé mon premier texte pour publication à Jean-Claude Dunyach. C’était un peu bizarre, car je lisais Galaxies et Bifrost et je préférais le ton de cette dernière, mais avoir croisé la route de Jean-Claude constitue encore aujourd’hui, la grande chance de ma vie d’écrivain. Il m’a fait travailler, et m’a ouvert bien plus de pistes que si j’avais soumis ailleurs mon premier texte. J’en ai tiré ma première leçon : le plus important, c’est l’éditeur, celui qui discute du texte avec vous. Tant qu’une bonne relation n’existe pas avec lui, difficile d’avoir des résultats.

 

Attaquons directement dans le vif du sujet avec ton dernier roman, Les Machines fantômes. D’où t’es venue la première idée de ce livre ?

Au départ, c’est un rêve, vraiment. J’adore le mangaka Naoki Urasawa, et son fameux Monster, et j’ai rêvé d’un nouveau titre de lui que je découvrais. En me réveillant, je me suis aperçu que cet inédit n’existait pas, mais j’avais la trame globale de l’histoire qui allait en faire un thriller divisé en chapitres centrés sur un personnage différent. Après, cela fait longtemps que je travaille sur les Intelligences artificielles, surtout dans les nouvelles, avec une tonalité très contemporaine, mais je n’avais jamais écrit de roman d’anticipation, ce que Xavier Mauméjean appelle « le futur dans dix minutes ». Et j’ai tout de suite compris que Les Machines fantômes étaient l’occasion de franchir ce cap. Une forme de science-fiction qui n’apparaît pas comme telle, qui s’infiltre dans notre quotidien le plus intime.

 

Parmi la galerie de personnages que tu développes, lequel ou laquelle est ton/ta préféré(e) ? La chanteuse pop, le trader, le militaire, la gameuse, ou bien Joachim ?

C’est difficile de choisir, parce que lorsque je mets en scène chaque personnage dans « son » chapitre, je l’aime tout à fait. Cependant, je crois que c’est la gameuse qui m’a le plus touché. J’ai longtemps joué à World of Warcraft, j’ai connu des joueuses et observé à quel point c’était parfois difficile pour elles d’avoir une place dans un univers très masculin. Je me souviens du moment ou Blizzard voulait que sur ses forums, les utilisateurs utilisent leur nom véritable et pas un pseudo ; parmi les adversaires de cette décision, on trouvait beaucoup de femmes qui souhaitaient avoir le choix de ne pas révéler leur identité réelle. En plus, il y a toujours cette question avec les jeux vidéos de la différence entre le virtuel et le réel, entre l’avatar et l’individu physique. Je tenais à montrer que dans nos vies, nous endossons aussi des rôles, nous nous identifions à d’autres et qu’on peut difficilement prétendre être authentique. Les rôles dans les jeux, on les retrouve dans la vie réelle, mais ils sont plus honnêtes dans les jeux. C’est toute cette complexité que je voulais rendre, tout en cherchant à ne pas trop déformer la communauté des joueurs.

 

Et concernant ces personnages, comment les as-tu créés ? D’où te sont venues les idées pour créer leurs archétypes, leurs passés et leur lien avec l’histoire ? T’es-tu basé sur des personnes que tu connais ?

Le plus souvent, je découvre les personnages pendant que je les écris. J’ai besoin de « vivre » avec eux pour comprendre leurs motivations. Quand ils ont une réaction un peu forte, je vais alors essayer de remonter dans leur passé pour trouver le déclencheur, le motif. Après, les choses sont assez claires. Par exemple, une fois que j’ai décidé de m’intéresser au monde du trading, j’avais un embryon de personnage, mais je devais savoir pourquoi il allait révéler son secret ultime, son lien avec les machines, la séduction était le motif le plus évident, et ainsi de suite, de fil en aiguille, Adrien est apparu. Je savais ce qu’il voulait, ses failles, ses angoisses, la victime parfaite pour Hans/Joachim.

Pour ce dernier, c’est plus particulier. Je savais dès le départ qu’un chapitre lui serait concerné qui détaillerait son enfance et pendant longtemps, je me suis posé la question de l’écrire d’abord, ou au moment nécessaire. Mais là aussi, j’avais besoin de le faire vivre, de voir les crimes qu’il était capable de commettre pour imaginer son enfance, la rendre aussi monstrueuse que nécessaire pour que ses actes fassent sens. Une fiche de personnage ne m’aurait pas aidé pour aller aussi loin.

 

Comment travailles-tu lorsque tu écris ? Fais-tu tout d’abord un ensemble de recherches avant de te plonger dans l’écriture, ou bien est-ce que tu te lances directement sur ton idée ?

Les deux. Je me nourris tout le temps de documentaires, films, livres, essais, qui forment un arrière-plan général de thèmes que je brasse. C’est informel, vague et flou et tant mieux. Quand je me mets à écrire, alors là je vais me documenter de manière plus précise, souvent pendant l’écriture, quand je sais exactement ce qu’il me faut, quitte à perdre des heures.

Par exemple, pour le premier chapitre qui traite du trading. À l’origine, il y a le film de J.C Chandor Margin Call, qui est une sorte de huis clos lors de la crise des subprimes. J’avais été fasciné par cet univers de gens qui se croient maîtres du monde mais dépassés par leurs créations. Je voulais parler d’eux et en même temps, j’ignorais beaucoup de ce qui se passe dans le trading haute fréquence, ce qui est manipulé par les algorithmes. J’ai donc lu quelques livres, y compris « le trading pour les nuls ». En plus, comme j’utilise le « je » pour ce chapitre, je ne pouvais pas trop expliquer les concepts, il fallait donner l’impression que mon personnage maîtrisait bien plus que moi les marchés, que le lecteur se sente dépassé sans qu’il perde totalement pied (sachant qu’il n’y a qu’un seul chapitre sur ça). Bref, jouer les équilibristes, mais c’est ça être auteur : on jongle.

 

Tu en es maintenant à ton huitième roman. Quel est ton préféré de tous et pourquoi ?

Le préféré est toujours le dernier, en général, et aussi là en particulier. J’essaie de ne pas me répéter, d’explorer d’autres choses, et avec Les Machines fantômes, j’estime avoir réussi à montrer une autre facette de mes possibilités. Après, chaque roman est une réponse à un questionnement personnel, j’écris pour comprendre des choses, en explorer la complexité et être surpris. Alors chaque roman est mon préféré dans sa manière d’aborder la question que je me posais. Je peux trouver des faiblesses à mes précédents ouvrages, mais leur utilité pour moi, elle existe toujours, elle ne disparaît pas avec le roman suivant.

 

La science-fiction n’est pas forcément un genre très mis en avant actuellement malheureusement. Que dirais-tu à un lecteur pour le pousser à s’intéresser à ce genre ?

C’est surtout la science-fiction littéraire qui n’est pas très mise en avant. Le genre, on le voit partout, au ciné, dans les séries, BD, mangas. La littérature de science-fiction est particulière parce qu’il faut accepter de ne pas tout comprendre tout de suite, accepter de s’immerger dans un monde aux règles différentes du nôtre. C’est pour ça que le meilleur moment pour lire de la SF, c’est à l’adolescence, quand on a besoin d’autres modèles, que ça bouge. Des œuvres accessibles pour le grand public, il y en a, que ce soit Des fleurs pour Algernon ou Bradbury. Tout le monde peut trouver le livre de SF qui lui plaira, parce que c’est un genre varié, qui va de l’aventure basique, jusqu’aux œuvres conceptuelles et aux cathédrales littéraires. Ce qui est compliqué, une fois qu’on y a goûté, c’est d’être autonome dans un rayon SF, de chercher par soi-même ce qui va nous plaire. Il ne faut pas se décourager, on peut se planter, ne pas finir un livre trop compliqué. Mais c’est un peu comme pour toute littérature, si après avoir lu un Marc Lévy, vous lisez Ulysse de Joyce, la marche sera sans doute trop grande, mais il y a toute une palette d’œuvres entre ces extrêmes qui peuvent convenir. Pareil en science-fiction, ce n’est pas une littérature difficile, mais il faut avoir l’esprit curieux.

 

Ton roman traite énormément de la question des IA. Est-ce quelque chose que tu crains, une éventuelle prise de pouvoir de ces entités ?

Si les IA sont vraiment des machines, avec un comportement de machine, je n’ai pas trop de crainte. Je n’ai pas peur de mon grille-pain. Le gros problème des IA, des algorithmes qui brassent beaucoup de données personnelles, c’est la trace humaine dans leurs programmations. Quand un humain est raciste, l’impact de son attitude dépend de sa place dans la société, et il peut être remplacé par un autre individu non raciste. Quand un algorithme possède un biais raciste (que ce soit conscient ou non), non seulement l’impact est multiplié par la puissance de calcul, mais aussi par notre sentiment que la machine est « neutre ». L’humain dans la machine m’angoisse plus que la machine en elle-même. Pour défendre les armes à feu, certains Américains répètent que ce n’est pas l’arme qui tue, mais le bras qui la tient, mais tant qu’on ne sépare pas le bras de l’arme, c’est bien elle qui tue.

J’ai la conviction que la Technique comme la Nature, sont des entités moralement neutres : un arbre, un chat, un frigo, cela n’a pas de position morale. En revanche, la morale importe pour nous, humains, et dans notre rapport aux machines, elle nous impose une responsabilité, vis-à-vis de l’usage ou de l’élaboration. De la même façon que nous avons une responsabilité vis-à-vis de la Nature (pour notre survie et celle d’autres espèces), nous en avons une envers la Technique. Les objets existent, ils ne vont pas disparaître comme ça, alors qu’en faisons-nous ? Les IA sont formidables si nous savons pourquoi nous en avons besoin, pas comme des objets magiques qui vont résoudre tous nos problèmes.

 

Sur quels projets travailles-tu actuellement ? Déjà un nouveau roman en préparation ?

Comme j’ai été victime d’un accident de la circulation récemment, j’ai un peu de mal à me remettre à écrire, mais j’ai un projet de nouvelle qui aurait une tonalité historique et se déroulerait du côté de Cordoue. J’ai de la doc, il me faut l’énergie pour l’écrire.

 

Quelles seront tes prochaines dates de dédicaces, ou de rencontre avec les auteurs ?

Ne pouvant pas trop me déplacer pour l’instant, je suis un peu scotché à Lyon, mais pas mal de choses se précisent pour 2020, notamment dans des salons généralistes. Je laisse la communication de ces salons faire les annonces en temps et en heure, mais j’aurai un printemps bien rempli en tout cas.

 

Merci pour toutes tes réponses et à bientôt au détour d’un salon !

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