Entretien avec Einar Selvik, Wardruna

Le prochain Wardruna arrive bientôt ! Afin de vous faire patienter, nous avons pu nous entretenir avec le maître à penser derrière Wardruna, Einar Selvik. Il nous parle de sa passion, du dernier album et bien d’autres choses encore. Un entretien qui vous donnera probablement envie d’en savoir plus sur la culture scandinave.

Merci beaucoup de prendre le temps de répondre à mes questions aujourd’hui !

Einar :  Avec plaisir.

Je voulais savoir comment vous étiez devenu musicien spécialisé dans les anciens instruments et l’histoire scandinave ?

Einar : Je crois que mon intérêt pour l’histoire et la musique sont là depuis mon enfance. J’ai eu ma première batterie à l’âge de 7 ou 8 ans et depuis lors, j’ai eu envie d’apprendre d’autres instruments et d’écrire de la musique. Donc l’intérêt a toujours été la. J’ai beaucoup joué de musique de genres différents mais principalement du Metal depuis mon adolescence. Aussi loin que je me souvienne, j’ai eu l’envie de faire quelque chose qui correspondait plus à ma personnalité et à mes passions. J’ai réalisé que j’avais besoin de créer ce projet que je nourrissais depuis plusieurs années. Je me suis lancé tout simplement. Wardruna est né de ce besoin. Je voulais éviter que quelqu’un interprète ces antiques thèmes sur de mauvais postulats : il fallait que ce soit avec les instruments adéquats, le langages et les sonorités appropriés. Voilà, ce qui m’a fait vraiment me lancer. Cela est également né de ma passion pour l’histoire et de ces magnifiques anciens instruments.

Comment avez vous rencontré les autres membres ?

Ils sont arrivés plus tard, au fur et à mesure. Le premier enregistrement de Wardruna a été fait en 2002. Entre le moment où j’ai commencé le projet et 2002-2003, j’ai passé beaucoup de temps à apprendre à jouer de ces instruments, à en créer certains et à apprendre comment enregistrer, car je n’avais jamais fait cela avant. Cela m’a pris beaucoup de temps. Je crois que j’ai dû travailler 3-4 ans sur le projet avant d’inclure quelqu’un d’autre.
Plus tard, j’ai commencé à travailler l’enregistrement avec le chant de Lindy Fay Hella et aussi avec Gaahl. En 2009, peu de temps avant la sortie du premier album on a eu ce “début performance” à la télévision nationale norvégienne. Ensuite j’ai inclus d’autres musiciens.
Ce fut un long processus pour réussir à impliquer d’autres personnes. A la base, c’est surtout moi.

J’aimerais savoir quel est votre processus créatif ? Comment vous rassemblez les éléments : est-ce à partir d’un mot, d’un son ou autre chose. Comment ça marche ?

Cela peut venir de différentes façons. Parfois, la thématique elle-même est source d’inspiration. D’autre fois, c’est l’instrument que j’entends ou vois qui est en cause. Ou encore, c’est comme vous dites, cela peut-être un mot ou un son, ou même un concept. Je crée aussi beaucoup lorsque je suis dehors et que je marche. Je réfléchis mieux de cette façon. Et quand j’entends de la musique. Pendant les périodes de création, il y a beaucoup de marche.

Vous marchez beaucoup dans la nature, en forêt ?

Oui. La nature a un rôle. L’absence de nature également. Cela rend plus proche d’elle car cela provoque le besoin. Donc le processus créatif n’est pas nécessairement lie à la nature, mais oui, souvent ça l’est.

Le prochain album de Wardruna est intitulé Skàld. Cela reprend des morceaux crées pour la série Vikings. Est-ce une demande des fans ou alors vous avez une autre motivation?

Les deux je dirais. Mais je dois vous corrigez sur un point. Seulement certaines des chansons sont issues de Vikings. Les autres sont mes versions solo de titres de Wardruna. En résumé, c’est une compilation de mes chansons solo, basée sur du matériel live, c’est à dire mes performances live depuis  environ 4-5 ans. Évidemment il y a eu énormément de demandes.
J’avais en tête le projet de sortir un album comme ça, depuis quelques temps déjà. Cela était difficile parce que c’est un format si minimaliste et si difficile à rendre sans que ce soit ennuyeux à écouter. C’est pour cela que nous avons décidé d’enregistrer en studio dans les conditions d’un live pour capturer l’énergie d’un show live plutôt que d’essayer que ce soit parfait. On a opté pour une expression plus brute et je crois que c’est pour cela que ça fonctionne.

Cela a du être très difficile de mettre cela en place ?

Oui bien évidemment. Enregistrer live en studio c’est compliqué et exigeant. Tu dois jouer correctement et bien, et en même temps, faire comme s’il y avait du publique en face de toi. Le but est quand même de donner la sensation d’une performance live et de rendre toute l’atmosphère et l’énergie qui s’en dégage.
Cela a demandé beaucoup de travail et d’énergie. Je suis plutôt satisfait du résultat. J’ai eu aussi le plaisir de travailler avec un bon producteur en studio. Oui … je crois que cela a sorti le meilleur de moi-même.
Je crois que c’est un produit fait pour les fans de Wardruna. C’est vraiment différent des albums et morceaux habituels : c’est très minimaliste. Cela parlera peut-être plus aux personnes qui connaissent déjà les morceaux, mais on ne sait jamais. Ce sera intéressant de voir comment cet album va être accueilli.

A cause du titre de l’album, je me demandais si cela signifiait que vous aviez commencé des recherches sur les bardes scandinaves et la musique ou bien c’est arrivé juste comme ça ?

Pour moi cet album est un hommage à l’ancien, au savoir faire, à ce fantastique savoir faire des anciens bardes. C’est une forme d’art que je suis encore très loin de pouvoir maîtriser et comprendre en termes de talents poétiques. La manière dont la musique et la poétique étaient interprétées est inconnue, on ne peut que faire des suppositions. C’est un hommage et aussi une approche scaldique moderne de l’ancien et du nouveau.

Quel est votre sujet de recherche favoris ces derniers temps ? Celui dont vous pourriez parler pendant des heures ?

Aaaaah … Rire… Il y en a tellement. Mais mon principal sujet est le côté ésotérique de la culture scandinave (Norse). Et aussi la poésie. Mais si je devais en choisir un seul, je dirais le côté ésotérique des anciennes traditions. C’est ce qui me fascine le plus et ce qui m’inspire.

J’ai lu justement une de vos interviews et vous y parliez surtout d’ésotérisme. C’était vraiment passionnant. J’ai alors réalisé que ce sujet et la nature étaient fortement connectés dans le monde du Metal scandinave : il y a beaucoup de groupes qui en font une thématiques très très récurrente. Je me demandais si c’était une tendance spécifique au Metal Nordique. Est-ce que à votre avis, c’est quelque chose que seul les pays avec un héritage celte ou scandinave ont ?

Non, pas du tout. Mais je crois que nous sommes plus proches de nos anciennes traditions que certaines autres cultures. La raison principale est que nous avons pu les conserver plus longtemps que dans le reste de l’Europe, avant l’énorme bouleversement culturel causé par le christianisme. On nous a laissé tranquille quasiment 1000 ans plus longtemps que dans certaines autres parties de l’Europe. Et aussi, parce que le christianisme est arrivé par le haut : le passage du paganisme au christianisme n’est pas un mouvement populaire. Cela signifie que les gens ont continué à faire coexister les deux systèmes. On retrouve ici et là des preuves que les anciennes traditions sont toujours vivantes.
De mon point de vue, toutes les anciennes traditions, coutumes et les cultures, sont liées et formées par leur environnement et la nature qui les entourent. La musique suit le même chemin. La musique traditionnelle notamment, d’où qu’elle vienne, et pas seulement scandinave, a des racines dans la nature et dans le mystique naturel. Je ne crois pas que ce soit une spécificité scandinave, non.

Je me posais cette question car on ressent cette connexion plus fortement quand on écoute ces groupes, c’est moins flagrant ailleurs, par exemple en France.

Évidemment, mais si vous vous rapprochez des cultures plus indigènes, celles qui sont plus proches de leurs racines pré chrétiennes, vous le trouverez forcément. En France, vous avez une tradition de ballades qui est issue d’autres idées. Nous les avons aussi en Norvège.
Cela étant dit, ici, nous sommes plus proches de l’obscurité, de la mélancolie, plus proche de la nature. Vivre dans une nature aussi expressive a créé des liens très forts. Dans l’ancien temps la nature n’était pas perçue comme maintenant c’était quelque chose que l’on combattait, il fallait la domestiquer pour pouvoir survivre. De nos jours, nous nous sommes tellement éloignés de la nature que nous pouvons nous permettre une vision romantique.

J’ai lu que Wardruna signifie “gardien des runes” mais que cela pouvait avoir d’autres significations. J’aimerais en savoir un peu plus sur vos croyance, sur les runes.

C’est un vaste sujet! (Rire)
En ce qui concerne le nom Wardruna, il a effectivement plusieurs significations. Il y a plusieurs strates. La façon dont je travaille avec la musique et les noms fait que je laisse toujours énormément de place pour l’interprétation personnelle, pour l’auditoire et pour ceux qui expérimentent la musique, plutôt que de prêcher une certaine vérité. Ce n’est pas mon but. La vérité et la réalité sont deux choses différentes. La réalité est tellement subjective : on a tous notre version de la réalité selon comment on perçoit la vérité.
Pour moi, étudier comment les anciens tout autour du monde, que ce soit les scandinave ou les autres traditions, ont codé le monde à travers les âges, comment ils ont ajouté leur filtres. C’est passionnant. Quand on voit des choses dans les anciennes cultures qui sont exactement les même choses que la physique quantique de nos jours. C’est fascinant.
Dans Wardruna, je me focalise plus sur la corrélation entre les traditions orales et graphiques. L’oralité parce que la culture nordique était une tradition orale, mais aussi à cause de la sorcellerie. Dans la sorcellerie on retrouve une relation d’échange – on prend et on donne- entre le verbal et le graphique. Les formes écrites et verbales de sorcellerie sont liés aux formes de chant extatique. On retrouve aussi cette forme dans les traditions en lien avec les runes et aussi dans le Seiđr. Il y a tellement de choses fascinantes et passionnantes.

J’ai vu que vous aviez un projet Ivar Bjornson et il y a même une date annoncée pour janvier en France. Pourquoi avez-vous fait un second album ? Avez vous senti qu’il y avait des choses à partager, à faire connaître sur la culture scandinave, car à l’origine ce projet est une commande ?

Oui. Ma collaboration avec Ivar a débuté par une commande émanant du gouvernement pour la célébration des 200 ans de la constitution norvégienne. Je crois que nous avons apprécié travailler ensemble. Nous avons été sollicité par le Festival International de Bergen au sujet de l’écriture d’un nouveau volet. Nous avons été très inspirés, tous les deux, par la thématique dont nous avons discuté, avec l’organisation du festival. Nous avions envie de lui donner vie. La décision a été facile à prendre.

Qu’est ce que vous pensez de cette “mode” du viking. On le voit partout, a la télé, dans les arts notamment les tatouages, dans la mode. Est ce que cela vous ennuie ou au contraire cela vous donne envie de promouvoir encore plus la culture et les traditions anciennes pour éviter des mauvaises interprétations ?

Et bien, je n’aime pas le mot viking. Je ne l’ai jamais aimé et je ne l’utilise jamais. Le mot “Norse” est plus approprié selon moi. Viking est un mot excluant et il me semble totalement aberrant de définir une culture sur les faits d’une minorité qui a existé sur une période très brève. En revanche, je dirais que même si pour certains c’est une mode, pour d’autre la culture viking est une porte vers leur propre culture. La culture pré-chrétienne, quelle soit ibérique ou gaélique, peu importe. Comme je le disais nous avons pu conserver nos traditions bien plus longtemps alors c’est une sorte de portail vers d’autres cultures pré-chrétiennes, car elles se ressemblaient toutes. Alors je comprends pourquoi c’est si populaire. Pour quelques personnes c’est une mode mais pour bien d’autres cela va bien plus loin, c’est plus profond. Je préfère me focaliser sur cette dernière option, sur ces gens-là. De cette manière, je ne me sens pas agacé par les séries télé qui font des erreurs. Finalement,  si on veut vraiment savoir, on finit toujours par démêler le vrai du faux : l’information n’a jamais été autant accessible que maintenant. Je ne suis pas inquiet à ce sujet.
Il y a un autre effet positif à cela : ce ne sont plus seulement des gens de droite ou des personnes qui récupèrent ces faits historiques à des fins politiques, qui s’intéressent à ce sujet. Maintenant cela va au delà, nous reprenons possession de nos traditions, petit a petit. Ici, en Norvège, les gens osent enfin être fier de leur culture, c’est énorme. Les enfants l’apprennent également à l’école, enfin!
Cet intérêt de masse a bien plus d’effet positifs que de négatifs.
Ce n’est que mon avis personnel, évidemment.

Vos concerts sont tellement intenses et vous semblez tous tellement concentrés que je me demandais si vous aviez un rituel avant chaque concert, ou une préparation spécifique ?

Oui tout à fait. Comme vous le dites c’est très personnel et intense. C’est la raison pour laquelle je ne veux pas le faire trop souvent, car c’est épuisant et en même temps très enrichissant. Oui, il y a des choses précises que je fais pour me mettre dans le bon état d’esprit et me préparer à ce qui va venir. Oui c’est quasiment un rituel.
L’une des raisons pour faire un rituel étant de vous mettre dans le bon état d’esprit, de vous protéger, par exemple un joueur de football qui touche l’herbe avant d’entrer ou un acteur de théâtre qui dit ou fait certaines choses. Oui, j’ai ma routine et j’ai mes habitudes avant d’entrer sur scène, des choses que j’aime faire car cela dit à mon corps et tout mon être ce qui va arriver, cela me prépare.

Par exemple, vous pourriez nous citer une chose que vous faites ? Si je puis me permettre de demander.

(Rire)
Il y a des choses que je fais, des choses que je dis… Je marche beaucoup, c’est une manière de me préparer. Je crois que je n’ai pas envie d’être plus précis sur ce sujet.

Je comprends, merci pour ce petit détail.
Ma dernière question, si vous aviez un super pouvoir lequel serait il et qu’en feriez vous?

Je n’en ai pas la moindre idée… (Rire). Je suis désolée. Vraiment je ne sais pas.

 

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