De tous les mythes dont écrivains et conteurs d’histoires se sont emparés afin de nous réjouir de nouvelles sagas, de nouveaux rêves, le vampire est peut-être le seul qui doive presque tout à l’art et aux genres de l’Imaginaire.
Bien que ses glorieux ancêtres hantent nos traditions populaires les plus antiques, ceux-ci n’ont rien de commun avec le dandy en frac qui se pourlèche les babines sur les écrans ou les étals des librairies. Spectres transylvaniens, ou miroirs où se reflètent nos visages à peine
déformés, c’est la plume ou le pinceau de nos créateurs qui ont tracé les contours de son visage, narré ses mœurs, ses coutumes, inventé ses craintes et joué sur ses désirs autant que les nôtres.
Le vampire est notre créature autant que notre prédateur favori. Et il est libre. Fascinant.
C’est peut-être cette liberté qui a décidé onze auteurs, que rien dans leur œuvre ne destinait à rencontrer le vampire, à enfin franchir le pas et nous livrer leur version du vampire moderne, du vampire trans, post ou même méta humain.
Pour fêter les dix ans du festival de Sèvres et, comme lui, marier tous les genres de l’imaginaire, Ugo Bellagamba, Simon Bréan, Philippe Curval, Olivier Gechter, Thomas Geha, Raphaël Granier de Cassagnac, Marianne Leconte, Christian Léourier, Olivier Paquet, Timothée Rey et Christian Vilà ont pris leur plume de Science-fiction à rebours, à contre-emploi ; ils ont contemplé l’amour monstre dans les yeux et l’ont planté tel un drapeau face aux feux du soleil.
D’ordinaire traité par des auteurs spécialisés dans le fantastique, le thème du vampire est ici décortiqué par des auteurs de science-fiction qui nous permettent de découvrir les créatures de la nuit sous un nouveau jour.
De mon point de vue, le problème de cette anthologie est, comme souvent dans ce genre d’exercice, la différence de style entre les nouvelles. Cette dernière provoque des réactions très contrastées qui amènent un sentiment de frustration vis-à-vis de l’ensemble du recueil, entre les nouvelles que l’on a adorées et celles que l’on a pas ou peu aimées.
Passons chacune en revue.
Pire que le vent, de Philippe Curval : cette nouvelle démarre bien l’anthologie dans le sens où la notion de vampirisme arrive sur le tard. L’idée générale est sympathique, malheureusement le style de l’auteur gâche l’ensemble. Très haché, avec parfois des manques dans la narration (absence de passages de transition entre les scènes aggravée par un manque d’espace entre les paragraphes), il en devient presque désagréable.
Quelques moments dans la vie d’un homme d’affaires, de Christian Léourier : de sa plume toujours juste, Christian Léourier nous raconte la vie d’un homme d’affaires qui devient l’homme à tout faire d’un vampire. Une histoire intéressante où, finalement, viennent s’imbriquer deux formes bien distinctes de vampirisme.
Trou noir contre vampire, de Olivier Paquet : on ne peut avoir d’existence que si l’on existe sur les réseaux sociaux. De ce postulat, Olivier Paquet tire un récit sombre, pourtant teinté d’une note d’optimisme, où un vampire très particulier va affronter un adversaire auquel il ne s’attendait pas. Un récit efficace et bien mené.
Femme fatale, de Marianne Leconte : une femme vampire particulièrement sanguinaire arpente la ville avec sa moto. Un récit glauque, teinté d’érotisme malsain, qui ne m’a pas du tout emportée.
Les Ravageurs, de Christian Vilà : un auteur de BD, vampire de son état, vit une passion dévorante avec sa voisine, une sympathique veuve. Autour de leurs rapports se battit une histoire où l’on entrevoit la cause du vampirisme (je dis entrevoit, car l’explication n’est pas très claire et je garde un doute sur ma compréhension de la chose). Une histoire agréable dans un style fluide et efficace.
Les miroirs de l’éternité, de Simon Bréan : ici, les vampires sont les victimes, ce qui donne au récit un ton très différent du reste de l’anthologie. La science-fiction est ici très présente et, même si l’on aurait aimé avoir plus d’informations sur les extraterrestres, le récit n’en demeure pas moins percutant et très bien mené.
Icare Hermétique, d’Ugo Bellagamba : l’être humain a imaginé une nouvelle forme de punition. Les criminels sont transformés en vampires pour travailler sur des mondes inhabitables. Incisive, taillée au scalpel, cette nouvelle percutante ne laisse pas indifférent.
S’il te plaît, désenzyme-moi un inMouton !, de Timothée Rey : une nouvelle écrite en alexandrins avec un vocabulaire riche et de nombreuses notes de bas de page. J’ai totalement décroché et n’ai pas réussi à la finir.
La cure, d’Olivier Gechter : ici, nous découvrons le vampire thérapeutique, celui qui, par son sang, permet aux humains d’affronter le voyage spatial sans – trop – souffrir des effets des radiations. Cela donne un récit très intéressant, emporté par une plume dynamique et précise qui nous transporte littéralement vers une fin forcément appétissante. Mon second coup de cœur de l’anthologie.
Le vampire et elle, de Thomas Geha : la nouvelle la plus courte et, peut-être, la plus frustrante du livre. Quatre pages pour découvrir un vampire, dans un paysage post-apocalyptique, qui créé une compagne. Qui sont-ils ? Où vivent-ils ? Quelle est leur situation ? Celle de leur monde ? Bref, des tonnes de questions sans réponses. Si le style est poétique, je n’ai pas accroché à l’histoire, trop floue à mon sens.
Beaucoup y ont cru, de Raphaël Granier de Cassagnac : mon coup de cœur de cette anthologie. Humoristique, volontiers moqueuse envers les créatures démoniaques, cette histoire jure beaucoup par rapport aux autres textes mais son côté décalé m’a conquise, d’autant que le style de l’auteur est en parfaite harmonie avec son sujet. Une manière idéale de clore la thématique.
Cette anthologie permet donc de découvrir des styles très différents, parfois frustrants, parfois attirants, et la diversité des histoires et des points de vue sur le vampirisme en science-fiction apparaît comme une bouffée d’air frais dans le traitement habituel qui en est fait. Si la thématique vous tente, n’hésitez donc pas à voyager dans cet autre paysage vampirique.
Vampires à contre-emploi
Anthologie dirigée par Jeanne-A Debats
Éditions Mnémos
212 pages
16 euros
Merci pour ce billet c’est très instructif !