Les Fragmentés (Unwind) – Neal Shusterman

Couverture édition précédenteDans une société traumatisée par la Seconde Guerre civile, la charte de la vie vient d’être signée. Elle stipule que l’on peut “fragmenter” un adolescent âgé de treize à dix-huit ans. La fragmentation consiste à “résilier” un enfant rétroactivement sans mettre fin à sa vie.
Connor, Risa et Lev se retrouvent tous les trois sur la liste fatale. Leur seule échappatoire : fuir, se cacher, survivre alors qu’ils sont traqués par les Frags, la police des fragmentés.

Alors que MsK publie en France ce mois-ci Les Déconnectés (la première suite des Fragmentés), j’en ai profité pour découvrir le premier volume des aventures de Connor et Risa. Et autant avouer tout de suite que ma surprise a été grande. Car, au-delà d’une écriture très classique et d’une histoire assez convenue (dans son déroulement), la thématique sociétale peinte par l’auteur a résonné curieusement avec mes pires craintes.
Rarement une dystopie aura su me mettre aussi mal à l’aise que celle-ci. Ce que dépeint Shusterman, ce n’est pas une société qui sacrifie ses enfants s’ils ne réussissent pas à sortir du lot, à la Battle Royale, mais une société qui a perdu tout sens des responsabilités au point de se mentir à elle-même au sujet de son fonctionnement. Là où d’autres assument l’horreur de leur éthique eugénique — la plupart du temps à travers une violence exutoire — Neal Shusterman décrit une société qui se voile la face.

Car ces Fragmentés ne sont pas tués par la société. Incapables en tant qu’individus de rendre service à la société, ils sont en fait “recyclés” pour lui rendre service… morceau par morceau. Ils deviennent — à l’image d’ailleurs des avions qui composent le Cimetière dans lequel les fuyards finissent par atterrir — des réserves de pièces de rechange dont la particularité est de conserver une infime conscience de leur vie antérieure. Bons à rien en tant qu’individus, mais tellement utiles en tant que pièces détachées !

Je n’évoquerai pas les volontaires, ces décimés (de la décimation, c’est-à-dire la prise d’un dixième d’un groupe dans un but quelconque) qui, au nom de la religion, vont au sacrifice avec gloire et sens du devoir… Mais la scène de fragmentation, dans la dernière partie du livre, est d’autant plus choquante qu’elle est sobre : le personnel hospitalier qui se succède pour chaque prélèvement agit par automatisme, signifiant par là-même la normalité de leur intervention.

Neal Shusterman est très doué pour dessiner les contours d’une société abjecte et terrifiante. Ses meilleures pages ne sont pas celles consacrées aux aventures des héros, mais bien celles évoquant les éléments dystopiques à proprement parler : Connor racontant l’épisode du nourrisson trouvé devant la porte de ses parents ; les échanges entre Lev et le pasteur Dan ; l’évocation par l’Amiral de la naissance de la Charte de la Vie.

À côté de cet univers si dérangeant, les (més)aventures des héros semblent un peu pâles. Non pas que l’on s’ennuie, mais le lecteur boulimique que je suis retrouve au fil des pages des gimmicks propres à cette littérature américaine pour Young Adults. Un peu trop de situations déjà lues, d’étapes incontournables, de personnages stéréotypés qui, sans nuire à proprement parler au récit, l’affaiblissent. Une exception notable : l’escapade de Lev et de CyFi, tranche d’humanisme subtile et bien plus brillante qu’elle n’y paraît.

Pour terminer, doit-on lire ce livre ? Absolument. Mais en toute connaissance de cause. Et, bien que la collection MsK soit destinée aux “ados, grands ou petits”, je le déconseille fortement aux jeunes ados. Ma fille aînée, dans sa treizième année, attendra quelques temps pour le découvrir…

Couverture réédition 2013

A noter que MsK ressort le premier volet à l’occasion de la sortie du second, agrémenté d’une nouvelle couverture plus attirante et surtout augmentée d’une nouvelle supplémentaire (la traduction de Unstrung, novella digitale publiée par l’auteur entre le premier et le deuxième opus de sa série).

 

 

 

Les Fragmentés (Unwind)
Neal Shusterman
Traduction : Emilie Passerieux
MsK

13,50 €

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