Tant Thomas Bauduret, à qui cette anthologie de nouvelles fantastique a été confiée, que son partenaire Christophe Thill manifestent une boulimie difficile à contrôler quand ils ont la lourde tâche d’être anthologistes pour les éditions Malpertuis. En effet, par définition, une anthologie n’est pas extensible à l’infini et il faut bien faire des choix parmi tous les textes qui peuvent être soumis à un appel à textes. Là où on peut trouver couramment dix à douze textes au maximum, chez Malpertuis cela se traduit souvent par plus de vingt textes. A cela deux raisons principales : la première est la volonté de cette maison de présenter le plus de points de vue possibles dans une même anthologie, la seconde réside dans son désir de promouvoir de nouvelles plumes aux côtés de talents déjà révélés. La quatrième de couverture de Malpertuis I est alléchante :
Que faire lorsque le monde se dissout autour de vous et que seule votre parole subsiste encore ? Est-il possible d’aimer au point de subir une terrible métamorphose ? Que peut devenir un golem égaré dans le monde moderne ? Que feriez-vous si vous croisiez un vampire au rayon des surgelés ?
Vingt et une nouvelles tentent de répondre à ces questions, et bien d’autres encore, à travers le prisme du fantastique…
Ce sont donc vingt-trois – et non vingt et un – textes et auteurs qui ont été mis en avant dans cette anthologie Malpertuis I parue en 2009 qui se veut être un panorama de la nouvelle fantastique année par année. Les éditions Malpertuis ont bien l’intention d’éditer cette anthologie dans leur collection Brouillards chaque année sous la direction de Thomas Bauduret. C’est Jean-Michel Calvez qui ouvre le bal avec une nouvelle intitulée La Porte. Rien à voir avec une novella de l’ami Berrouka. Il est ici question d’un objet de la vie courante qui se trouve mêlé à une affaire de mort suspecte. A moins qu’il ne s’agisse d’un complot généralisé, bien entendu. Une belle nouvelle, bien noire. Avec V comme…, Benoit Giuseppin nous sert une histoire classique sur la relation ambiguë entre un prédateur et une proie ainsi que les possibles renversements de situation qui peuvent en découler. La nouveauté ici est l’introduction d’un troisième personnage et le déplacement de perspective est assez réussi.
Sylvie Miller nous présente Ceux du marais. Cette histoire nous parle d’une ruralité surfaite, mais où les terreurs ancestrales propres à la terre persistent et prennent des apparences peu conventionnelles pour le genre. Bien racontée, on regrettera cependant le format, car l’art du récit semble ici brimé par le format nouvelle. Dans Fais-moi confiance, Nico Bally nous offre une nouvelle très courte, mais hilarante. Puis c’est Laurent Fétis qui nous emmène dans une boîte de nuit où nous pourrions bien croiser un Golem de dancefloor. Il s’agit de l’histoire de ce golem qui nous est contée. Une thématique et un traitement classique malgré l’originalité des circonstances.
AOC Dealu-Mare par Romano Vlad Janulewicz laisse de prime abord perplexe tant le titre et le patronyme de l’auteur peuvent nous faire imaginer un mélange culturel qui peut-être passionnant ou exagéré. A la lecture, on découvre un texte qui relève de l’exotisme vampirique. Il en fallait bien un dans cette anthologie fantastique. Nicolas Kempf nous transporte en compagnie d’un alpiniste sur un des pics de la Cordillère des Andes. Quand ce dernier fait une mauvaise chute et se retrouve coincé, il appelle d’abord les secours puis il découvre cette cité légendaire qu’est La Cité de neige. Hallucination ou révélation ?
C’est au tour de Patrick Eris de nous proposer Le miracle du fusain ou comment l’œuvre peut survivre à l’artiste, même de la façon la moins ordinaire qui soit. Lucie Chenu nous raconte ensuite Les disparus de Saint-Bosc. Si des enfants réussissent par leur imaginaire à quitter la dure réalité, seront-ils toujours heureux pour autant ? Surtout si cela se fait sous l’égide d’une fillette morte ? Une vision réussie. Avec L’appel de la lune, John Everson nous montre comment une vieille dame va sauver un homme de la déchéance en lui redonnant une dignité. Il va aussi en profiter pour instiller avec un art consommé du récit quel étrange lien unit cette vieille dame à la lune et à l’attraction que cet astre peut parfois exercer sur certaines personnes. Une nouvelles brillante et subtile.
Comme une étoile filante, c’est ainsi que Clara Williams nous décrit la prodigieuse carrière d’un artiste parti de bien bas. Une visite du mythe de Faust, sans intervention démoniaque – quoique –, mais avec des humains et leurs faiblesses. Superbement cynique. Sophie Bataille nous propose Noirescence, un texte d’une grande noirceur où on se demande constamment où l’auteur veut bien nous emmener. Une histoire étrange et décalée. Jess Kaan prend le relais avec Merlignies, un récit improbable qui met en avant la tradition d’Halloween, mais sous le regard d’un personnage inattendu. Pour sa part, le Rémois Brice Tarvel nous propose La poupée crucifiée. Cette dernière est un souvenir qui hante un homme. En fait, il ne sait même plus ce qu’il a bien pu faire à son amie quand il était encore enfant. Depuis ce jour il souffre et quand les hallucinations commencent, c’est à une lente descente vers la folie qu’il est convié. A moins que ce ne soit la réalité. Une nouvelle de bonne facture sous la plume de ce bel auteur.
L’Erdre et le loup d’Ophélie Bruneau nous entraîne dans une sorte de mix des X-men chez les loups-garous. Un texte distrayant, mais léger. François Fierobe nous emmène sur Les Chemins de Khtâr où nous explorerons, sous l’égide d’un savant, les différents textes qu’ont pu laisser les érudits sur cette cité au fil des siècles. Les descriptions de la cité aux mille bibliothèques se précisent peu à peu. Un mode de narration original qui ne sied qu’à la nouvelle relativement courte pour ne pas lasser le lecteur. L’auteur a respecté ce principe et c’est une des œuvres remarquables de cette anthologie tout comme la suivante. Avec La petite fille au Mort, Claude Mamier nous intègre à cette famille recluse derrière ses murs et ses barbelés de peur que les Morts ne s’attaquent à eux. Jusqu’au jour où la fillette reçoit un Mort comme un don du ciel et là les choses vont se gâter. Une brillante interprétation de la thématique zombie.
Je guéris le cancer, tel est le propos que Guillaume Suzanne place dans la bouche d’un clochard. Le héros est, lui, presque en phase terminale. Il va tenter sa chance. Le seul hic est qu’il ne souhaite pas se faire rouler par un vulgaire clodo. Belle analyse. Puis c’est Jacques Fuentealba qui nous raconte l’histoire de cet homme bafoué par une femme à qui il ne peut résister. Il est tellement fou d’elle qu’il pourrait bien aller jusqu’à devenir un simple Chien de garde. Le style de l’auteur assure à ce récit un charme qui en fait une réussite. Et je n’évoque même pas la mise en perspective finale qui est une des meilleures de cette anthologie. Jean-Pierre Planque nous propose Peau douce, peau froide, un texte adulte et bien mené, mais pour lequel je n’ai découvert le motif de sa présence dans cette anthologie que dans le dernier paragraphe. Se faire avoir dans les dernières lignes, quel pied !
Sophie Dabat nous promet tout un programme. En effet Plume d’ange (Annonciation, court-bouillon, putréfaction) est une vision jouissive de ces parasites célestes qu’on appelle les anges. Et si avec leurs plumes on pouvait fabriquer des remèdes ? Ils deviendraient alors rudement utiles, à moins qu’il n’y ait des effets secondaires, bien sûr. C’est ensuite au tour de Léo Henry de nous proposer Ephrasis où l’auteur nous montre les méthodes insidieuses des vampires pour manipuler les mortels. Une belle réussite. C’est Brian Hodge qui vient conclure cette anthologie avec son Béni soit le péché. Et si la voie de l’élévation se trouvait par le recours et l’épreuve des différents péchés ? Pas les petits, bien entendu, mais les capitaux. Une approche très intéressante.
Cette anthologie dirigée par Thomas Bauduret remplit sa fonction avec brio, à savoir nous présenter un panorama complet du fantastique contemporain. La liste et les courts CV des auteurs à la fin de cet ouvrage, nous montrent l’ambition honorable de permettre à de nouveaux écrivains d’apparaître dans cette anthologie aux côtés de valeurs sûres et parfois internationales. Je dois cependant reconnaître avoir de plus en plus de mal à distinguer les genres et cela me semble être une obsession propre à certains éditeurs ou anthologistes que de s’enferrer dans un système de classification systématique des textes alors qu’étendre leur périmètre à toutes les littératures de l’imaginaire, y compris en incluant les incursions transgenres, permettrait une richesse extraordinaire en terme de création. Espérons que les choses changeront un jour. Je vous recommande donc cet ouvrage unique.
Malpertuis I
Anthologie dirigée par Thomas Bauduret
Couverture illustrée par Nemo Sandman d’après un cliché de Thomas Bauduret
Editions Malpertuis
Collection Brouillards
2009
16,00 €