Tu as proposé avec La Sonde et la Taille une dernière aventure du roi Conan, vieillissant mais toujours puissant. D’où t’es venue l’idée de reprendre ce héros mondialement connu ? Et n’est-ce pas un peu stressant de se retrouver face aux critiques des fans du Cimmérien ?
L’idée m’est venue après avoir constaté un fait très simple, mais qui me pose problème évidemment en tant qu’auteur de romans fantastiques : la littérature fantastique ne se vend pas bien en France. La fantasy, elle, se vend très bien. J’ai donc décidé d’écrire un texte de fantasy, ce qui était loin d’être évident pour moi, car, 1/la concurrence est rude, 2/ c’est un genre avec lequel je n’étais pas forcément à l’aise, 3/ il fallait que je trouve un sujet qui corresponde à ce que j’aime faire en fantastique horrifique, c’est-à-dire pousser tous les curseurs du genre à fond. L’hypothèse d’une relecture de Conan s’est présentée assez vite, car l’univers de Howard me permettait de travailler sur des thèmes qui me tiennent à cœur, celui de la violence notamment. A partir de là, j’ai lâché totalement les rênes, c’est-à-dire que je n’ai réfléchi ni à la façon dont les fans de Conan pourraient recevoir le bouquin (de toute façon n’importe quel hommage ou relecture est fondamentalement casse-gueule), ni aux filtres que je devrais éventuellement mettre en place ou aux susceptibilités que je devrais ménager. Si on commence à écrire un livre dans l’optique de ce qu’en attend le lecteur, à mon avis, on se coupe de ce qui fait tout le plaisir d’écrire, c’est-à-dire livrer de soi. C’est pourquoi je suis extrêmement reconnaissant envers Gilles Dumay d’avoir décidé de publier ce texte, d’autant qu’il y a des années que je voulais travailler avec lui.
Comment t’es venue l’histoire de ce roman ? Car finalement elle est assez atypique, montrant un Conan sur la fin de sa vie, alors qu’il est plutôt habituellement montré dans toute sa puissance guerrière. Et qu’est-ce qui t’a séduit initialement avec lui, au point de te faire écrire un roman ?
Pour finir de répondre à ta première question et embrayer sur la seconde, les retours des fans sont dans l’ensemble très positifs, donc je suis content. De toute façon, un personnage comme Conan n’appartient à personne. Bien sûr, certains voudraient que tout reste éternellement en place, que les idoles soient intouchables, qu’on les respecte au point de les fossiliser, etc. Or c’est précisément le statut d’idole que j’interroge dans mon bouquin. Conan est l’archétype du personnage badass, hors-norme, sans peur et sans reproche. Je voulais qu’il reste ce qu’il est, droit, intègre, digne d’admiration, mais je voulais aussi le rendre plus proche de nous et de nos ambivalences, de nos failles, de nos doutes, de notre peur de la mort. Sacha Guitry disait : mourir ne doit pas être bien difficile, puisque tout le monde y arrive. Je ne suis pas d’accord. Mourir, c’est-à-dire apprivoiser l’idée de la mort (la sienne ou celle des autres) est très difficile. C’est même sûrement ce qui est le plus difficile dans une vie, car ça n’arrive qu’une fois ! J’ai voulu confronter Conan à cette difficulté. C’est donc aussi une forme de tragédie que j’ai essayé de montrer : que faire face à l’épuisement du sens ? Courir après la fortune et les belles femmes, c’est assez pauvre symboliquement comme sens à l’existence. Quelle place reste-t-il pour la sensibilité ? Conan marche vers son destin, qui est le destin universel de chaque homme et de chaque femme, c’est à dire sa propre mort, mais il n’a plus à sa disposition les moyens symboliques habituels pour l’affronter sereinement : l’appui de sa communauté, la certitude que la fin de son individualité ne signera pas la fin de son appartenance à un lieu, à des traditions, etc… En gros, j’ai radicalisé sa solitude : c’est le dernier de sa race, tous les clans cimmériens ont été décimés lors de guerres précédentes entre le Sud et les Royaumes du nord. Conan va donc essayer de trouver du sens à son existence essayant de sauver son fils adoptif, Colin, un enfant physiquement handicapé et intellectuellement déficient. Aristote décrit la tragédie comme « l’imitation d’une action noble, conduite jusqu’à sa fin”. A la fin de mon roman, malgré la souffrance, la vieillesse et la maladie, Conan a retrouvé une forme de droiture, il a pris parti pour le faible.
Prévois-tu de revenir pour d’autres aventures du Cimmérien, antérieures à La Sonde et la Taille évidemment ? As-tu encore des choses que tu veux montrer de lui ?
Non, j’ai dit tout ce que j’avais à dire sur Conan. Didier Graffet, pendant la préparation de la couverture, a fait une remarque à Gilles Dumay qui m’a interpelé. Il a dit que j’avais en quelque sorte tué le mythe. Je pense au contraire que je lui ai redonné un coup de jeune ! La fin est ouverte, et on peut supposer plusieurs péripéties possibles. Certes, dans mon roman, Conan a 83 ans, il est proche de la mort. Mais il y a longtemps maintenant que Conan est entré dans le domaine du Mythe, où tout est possible. C’est un personnage mythologique au même titre que Robin des Bois, Zorro ou Superman. Or le propre du mythe, c’est d’être éternel. N’importe qui peut reprendre l’histoire où elle a été laissée et imaginer ce qu’il veut : une rencontre avec un nécromant qui rajeunit Conan, et c’est reparti pour un tour ! Ou bien il arrive devant Crom qui le renvoie sur terre, etc… Le principe des héros, c’est qu’ils ne meurent jamais. Par contre, comme je me suis fait très plaisir à écrire de la fantasy, qui correspond bien à mon style d’écriture, et si Gilles Dumay me fait confiance pour mon prochain texte, je vais continuer dans ce genre, c’est clair !
Merci d’avoir répondu à toutes mes questions et à bientôt au détour des pages de tes romans !
Je suis très heureux que tu m’aies demandé cette interview, car c’est toi qui avait fait paraître la toute première critique de mon premier recueil de nouvelles fantastiques publié chez Malpertuis, Contes des nuits de sang (il y a plus de dix ans déjà !)