Conan le barbare – Basil Poledouris

Il existe bien peu de bandes originales « parfaites » dans le petit monde de la musique de film, et chacun aura sans doute son petit favori sur cette question purement subjective. Aussi vais-je permettre de me montrer subjectif au possible. Oui, je considère que Conan le Barbare est l’une de ces partitions parfaites.

Que peut avoir de parfait une musique de film ? Voilà un constat difficile à faire. À mes yeux, cela se définit à travers deux points essentiels : sa capacité à me trotter en tête et sa faculté à illustrer son film, y faire naître des émotions, sublimer les images du réalisateur. Généralement, les partitions remplissent l’un ou l’autre de ces critères. Conan le Barbare rentre dans cette catégorie un peu à part des musiques de légendes dont l’écoute seule est un bonheur, elle qui soutient avec maestria la moindre partie de la pellicule du film de John Milius.

Une performance rare orchestrée par Basil Poledouris, cet américain d’origine grec quasi inconnu avant l’année 1982. L’adaptation cinéma du personnage de Robert E. Howard débarqua cette année-là pour faire de Arnold Schwarzennegger une star – il enchainera dans la foulée Terminator et Commando, deux autres succès. Basil Poledouris a offert une participation éblouissante à ce film d’un genre un peu à part, l’Heroic Fantasy, qui n’avait à cette époque pas aussi bonne presse qu’aujourd’hui.

L’ouverture, sur Prologue/Anvil of Crom, nous rappelle les paroles du magicien qui raconte l’histoire du film et la légende de son maître Conan.

S’ensuit le thème principal de Conan le Barbare, basé essentiellement sur les cuivres. C’est la première touche épique de cet album haut en couleur : un thème certes solennel, mais très enlevé, brutal et violent à l’image de l’univers décrit par le film et du personnage de Arnold Schwarzennegger.

La deuxième piste est un morceau incontournable d’une puissance rare : Riddle of Steel/Riders of Doom. Elle est introduite par le motif qui suivra longtemps Conan dans les passages solitaires où le héros accomplira sa destinée. Un thème calme, assez ample et majestueux grâce aux violons. La piste s’enchaine par l’une des plus belles adaptations du travail de Carl Orff (Carmina Burana) dans une deuxième partie illustrant l’attaque menée par le méchant : Thulsa Doom.

C’est un déchainement de la chorale latine aux accents guerriers. À travers ce morceau, Poledouris traduit toute la barbarie de cet univers moyenâgeux. Soutenue par les cuivres, encore, la chorale laisse planer une ambiance à la fois terrifiante et terriblement fascinante, à l’occasion du massacre du village de Conan. La piste ne cesse de gagner en intensité, et dans un ultime crescendo écrit sa légende. Car rarement j’ai pu voir telle ouverture pour un film de Fantasy, inégalable par son intensité violente et son étonnant potentiel jouissif. La musique y transfigure la dramaturgie alors que les dialogues sont presque absents.

Avec The Gift of Fury commence une série de pistes d’ambiance où l’on ressent fortement l’influence musicale d’un Dies Irae de Mozart. Ce sont ici les cordes qui prédominent, et l’ajout de sonorités crispantes et métalliques (Column of Sadness/Wheel of Pain) participent énormément à la mise en place d’une ambiance axée Moyen-âge, doté d’une certaine noblesse, mais aussi d’une étonnante brutalité. Cette quatrième piste, qui illustre le vieillissement de Conan et son dur labeur, est portée par un thème assez merveilleux qui pointe bien le gain de puissance du personnage, passé d’un frêle enfant au statut de guerrier musclé et impressionnant. Atlantean Sword parachève de plonger l’auditeur dans ce monde qui ne demande qu’à être parcouru.

 

C’est ce que nous propose justement Theology/Civilization, thème entrainant et, c’est le cas de le dire, entêtant. Il accompagne Conan et son ami mongol dans leur voyage à travers ces pays désertiques. Calme, enjoué, il gagne beaucoup d’ampleur dans sa deuxième partie grâce au travail merveilleux des violons. Repris deux fois, le motif a le don de vous transporter par sa simple combinaison d’accords pour vous porter, loin, très loin, dans cet autre monde… le monde de Conan.

On pourrait rapprocher cette piste de The Search au leitmotiv tout aussi entêtant, mais emprunt de bien plus de majesté. Et puisque nous sommes dans un film d’aventure, on ne peut échapper au traditionnel love theme rattaché à la romance entre Conan et Valeria. Sur la fin de la piste intervient le motif rattaché à Conan, joué par les violons, qui apporte une touche particulière d’émotion à l’ensemble.

The Orgy se place dans ce prolongement, le titre illustrant l’orgie qui se déroule chez Thulsa Doom avant que nos héros n’arrivent. Une ambiance de fête, intrigante et mystérieuse, où l’on ne demande qu’à se laisser porter par les bois.

 

The Funeral Pyre amorce un nouveau virage, et nous ramène à la mort de Valeria. Dramatique et poignant, l’éloge musical funèbre fait au personnage reprend le love theme évoqué juste auparavant. La fin, avec son love theme devenu épique, illustre l’allumage du bûcher et le déchirement provoqué par la mort de Valeria. Tout est alors prêt pour nous offrir un déchainement de violence, une vengeance attendue, qui intervient dès la piste suivante.

C’est en effet tout le propos de Battle of the Mounds Pt. 1 qui s’ouvre sur un rapide crescendo avant que l’orchestre n’explose. Puissante, cette montée en pression gagne en intensité avec l’omniprésence des percussions. La chorale signe ici son retour par la grande porte, d’abord accompagné par les cuivres. Interrompue un bref instant par le motif de Conan, elle reprend de plus belle une déclinaison de Riders of Doom.

Le CD se conclue de manière abrupte sur une dernière piste, Orphans of Doom/The Awakening, qui laisse place à l’émerveillement d’un chœur féminin accompagnant la fin de Thulsa Doom et de son culte. Le CD se termine sur l’association cuivres/percussions dans le plus pur style du film d’aventure, en une ultime explosion finale.

 

La BO de Conan le Barbare ne serait toutefois pas si marquante sans cette alchimie qui s’est accomplie entre la musique et les passages qu’elle illustre. Le film de Milius fêtera ses trente cinq ans en 2017, et fleure bon à certains endroits l’œuvre des 80’s. La bande originale de Poledouris a pourtant conservé toute sa force et porte littéralement le film.

Les quinze premières minutes, à peine entrecoupées par le narrateur et les dialogues du père de Conan, sont un régal dans ce soutien que va puiser le film dans sa musique : ce qui ne passe pas suffisamment à l’écran va chercher de l’énergie dans la splendide partition de Poledouris. Ce qui rend le film, même plus de trente ans après, tout à fait regardable.

 

Conclusion

Basil Poledouris a réuni pour Conan la quintessence même de ce que l’on veut entendre dans une musique de film épique : chœurs, ballades entrainantes, déclinaisons mystérieuses et envoûtantes, elle touche au cœur le fan comme le profane par cette étonnante capacité à nous surprendre de piste en piste. Un voyage absolu dans l’Imaginaire.

 

Conan Le Barbare

Basil Poledouris

Editions Milan

 

Nota : Un autre CD est sorti en 1992 chez Varèse et comporte seize pistes. Deux intégrales sont disponibles : un réenregistrement complet en double CD édité par Tadlow en 2010 et la version intégrale du film en 3 CDs chez Intrada en 2012. Mais je fais ici la fiche du CD Milan, réédité en 1999 puis 2003 et disponible à petit prix.

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