Après un premier roman accrocheur de par la qualité de son écriture, de sa structure et de ses personnages, Feldrik Rivat prolonge l’aventure d’Erkan, l’héritier maudit de la lignée des rois d’Almenarc’h.
Erkan reprend conscience de lui-même dans un lieu isolé, sans aucun souvenir des évènements consécutifs à son exil et la suppression de sa mémoire. Egaré dans un monde qui ne ressemble en rien à ses dernières réminiscences, il n’a qu’une seule certitude : sa mère vient de mourir en lui laissant un lourd fardeau. Mais quel est-il ? Peu à peu, alors qu’il tente de rentrer en Almenarc’h, Erkan sombre de plus en plus souvent entre sommeil et inconscience, visite des corps, des esprits, des espaces temps différents, toujours dans la souffrance, faisant sien des instants de vies d’autres êtres. Cela a-t-il un lien avec son Epreuve pour devenir Sage Guerrier ? Ou bien avec l’étrange don reçu de sa défunte mère ? Parvenu aux ruines de sa précieuse cité, Erkan doit se résoudre à l’inacceptable : tout ceci n’est pas un caprice de ses censeurs chargés de lui faire passer l’Epreuve. Des évènements graves dont il n’a aucun souvenir se sont produits. Grâce aux mémoires laissées par Siham et à la rencontre d’un homme venu de Saham pour le trouver, Erkan reprend le voyage de sa destinée…
Retrouver l’univers des Kerns de l’Oubli est un vrai plaisir. L’évasion, la vraie, à la fois littéraire et imaginative, est rare dans l’univers de la fantasy, plus encore lorsqu’elle trace son chemin sous la plume d’un auteur français. Grâce à une écriture acérée et à une remarquable maîtrise structurelle qui veut que chaque chapitre s’attache aux pas d’un personnage, offrant une vision à la fois globale du monde des Kerns et centrée sur la richesse d’une pléiade de protagonistes très différents les uns des autres mais ayant tous un rôle bien précis dans le récit, Feldrik Rivat réussit le pari de nous transporter dans un monde mélange de références bien connues et d’un imaginaire bien à lui.
Les codes sont là, ceux qui, intemporels, permettent de mettre en place des bases confortables pour l’auteur comme pour le lecteur : un héros jeune et inexpérimenté en quête de lui-même qui se retrouve plongé jusqu’au cou dans une épreuve périlleuse à laquelle il ne saurait échapper, une magie ancestrale, une cité pleine de mystères et riche d’une destinée fascinante, un magicien vrai méchant, un glorieux père etc… Mais l’imaginaire de Feldrik Rivat s’impose sur cette confortable assise. Si dans le premier tome, on ne faisait qu’approcher la trame des vies passées et présentes qui se croisent et s’influencent au-delà des règles établies, de la logique humaine rabâchée, Les Larmes du Désert use pleinement de ce fil conducteur franchement bien trouvé. L’idée n’est pas nouvelle mais beaucoup d’auteurs s’y sont cassé les dents. La rigueur de Feldrik Rivat encouragée par un chapitrage intelligent au cœur duquel la voix de chaque personnage est différente, ils se content à la première personne et ont leur langage propre, sert de repère pour mieux plonger avec Erkan dans les vies antérieures : les siennes, celles de ceux dont les esprits lui sont désormais ouverts même malgré eux, ou encore de ceux qui sont morts depuis des ères, rien ne lui échappe et aide le lecteur à poursuivre l’aventure à ses côtés. On comprend mieux son parcours, sa destinée, celle d’Almenarc’h, de Cataxak, des rois maudits, leur lien avec ce Dieu qui semble bien le responsable de tant de maux et cette voix maléfique qui le poursuit d’une faim dévorante… Les réponses ne sont pas toutes données, il faudra bien reprendre le voyage pour un troisième et dernier tome mais certaines clés sont en main.
Notons également que les incursions d’Erkan dans ces mémoires et souvenirs se font essentiellement à travers son sommeil. Les rêves comme portes ouvertes ce n’est pas nouveau non plus, cela recèle d’autant de pièges que de réussites mais la métamorphose du principe du rêve en évasion sous le couvert du sommeil donc du relâchement de la conscience d’Erkan est une franche astuce qui fonctionne.
Nombre de personnages attachants qui avaient pris la vedette au héros Erkan dans le premier tome ayant disparu du récit, on retrouve un Erkan plus charismatique d’autant qu’il est redevenu maître de lui-même, de ses pouvoirs, de sa volonté et, un peu, de son destin. A travers lui, on explore l’étendue de la magie des Sages Guerriers et le fait est qu’elle est également assez surprenante de par l’originalité de ses manifestations. Si notre héros de nouveau au centre de l’action en est redoré, on passe tout de même par de nombreuses pages durant lesquelles il s’agace et nous agace un peu, égaré qu’il se trouve dans un monde transformé et entêté à croire qu’il s’agit d’un mauvais tour de ses juges d’Almenarc’h…
C’est en revanche avec un plaisir malin que l’on retrouve Cataxak, un autre personnage important et marquant, le monstre au sens propre comme au figuré, rescapé de la catastrophe qui clôture le premier tome mais plus décidé que jamais à obtenir ce qu’il pense lui être dû. Physiquement, il est bien différent des méchants sorciers de la Fantasy. Digne représentant de son espèce, on en apprend bien plus sur son passé, ses motivations, à tel point qu’il conserve sa place d’opposant absolu du héros. Un vrai méchant !
Face à ce duo d’antagonistes, Cardanapak l’homme de Saham, conseiller, guide à la place de ceux qui ne sont plus là, épaule Erkan tout en accomplissant sa propre mission, affronte nombre de dangers avec pour seul but le salut de son peuple. Attachant, déterminé bien que moins puissant, presque un homme comme les autres au milieu des siens, il est la conscience éveillée de ceux qui ne sont plus, il suit le chemin qu’ils ont tracé pour lui faute d’avoir pu le parcourir en leur temps.
Autour de ce trio central se greffent des réfugiés de la cité engloutie avec leur cortège de nobles et autres généraux étouffés d’orgueil, un groupuscule d’illuminés assassins pour leur bonne cause, les habitants et rois de pays mitoyens de la grande Almenarc’h déchirés par les appétits de Cataxak, les ambitions des uns et les leurs, le passé trouble et tragique d’Obédaï, un des ancêtres d’Erkan, une conquête devenue mère et une séduisante apparition aux longs cheveux blancs qui demeure mystérieuse… De quoi ressentir les changements qui se dessinent pour le meilleur et le pire autour d’Erkan et du royaume qui n’attendait que lui, Saham.
La mise en page souligne tant la richesse des dialogues que celle de la forme même du récit, grâce à une typographie choisie, une présentation des chapitres élégante et nominative. La qualité papier et d’impression ajoute au plaisir de lecture, de même que l’excellente interprétation de ce que sont les maîtres de l’Ararak tels que Cataxak par l’illustrateur Alexandre Dainche pour la couverture.
Moins riche en personnages mais recentré sur son héros, Les Larmes du Désert explore le secret de Saham, de son peuple, d’une quête qui dépasse les simples aspirations d’un jeune homme confronté à lui-même et à son monde. Une suite qui accroche plus encore et laisse présager un tome final encore meilleur !
Les Larmes du Désert
Les Kerns de l’Oubli T.2
Feldrik Rivat
Editions de l’Homme Sans Nom
Illustration : Alexandre Dainche
1er octobre 2013
19,90