Le Prince des Ténèbres est un titre assez pompeux qui pourrait laisser croire qu’on a deviné de quoi il s’agit dès sa lecture. Et bien non. Les éditions Kurokawa ont offert au lectorat français une petite perle du manga des années 2000 avec cette série de 10 tomes tous aussi haletants les uns que les autres.
Andô est un lycéen banal si l’on excepte le fait qu’il est orphelin et gère seul son quotidien et celui de son frère cadet Junya. Mais sous des dehors passe-partout, Andô cache une grande maturité et un secret. Quand il était petit, il pensait avoir un don, celui de faire dire aux autres ce qu’il voulait, mais n’ayant pu le prouver à ses copains, il avait été critiqué et rejeté. De cette époque, il a retenu une lourde leçon : mieux vaut agir et parler comme tout un chacun, se fondre dans la masse pour éviter les problèmes et surtout le rejet. Devenu orphelin suite à un accident, Andô a plus que jamais appliqué cette règle de survie sociale. Mais ce choix ne le rend pas heureux pour autant et il se laisse parfois aller. C’est à cause de cette capacité à observer les autres pour mieux entrer dans leur jeu qu’il va mettre le doigt sur un engrenage. Depuis quelques semaines, un groupe de justiciers s’est taillé une belle réputation. Les Grasshoppers et leur chef Inukaï sont devenus, grâce à quelques exploits publics, des gens que la population de la ville respecte plus que les autorités. Fasciné comme les autres par le charisme et le courage d’Inukaï, un jeune homme de son âge ou presque, Andô décide qu’il peut lui aussi cesser de regarder ailleurs quand une injustice est commise devant lui. Mais il découvre bientôt la sombre réalité : Inukaï n’est pas un héros, il ne cherche qu’à utiliser au mieux une réputation taillée de toute pièce pour obtenir le pouvoir sur la ville.
Andô ne sait que faire. Partout, il entend vanter cet homme et son groupe mais lui connaît son vrai visage, celui d’un diable. Dès lors, Andô va devoir choisir entre fermer les yeux comme il l’a toujours fait ou agir contre ces imposteurs. Le choix de la sécurité lui apparaît plus séduisant jusqu’à ce qu’il découvre que ce don qu’il croyait être le fruit de son imagination infantile existe bel et bien. Il peut faire dire aux autres ce qu’il veut. Mais en quoi cela peut-il l’aider à combattre Inukaï et ses nombreux partisans ?
Après avoir hésité, j’ai décidé de vous présenter cette série non pas avec une critique d’ensemble mais tome après tome, tout simplement parce qu’elle est trop riche pour se contenter d’une seule chronique.
Le Prince des Ténèbres est d’abord un roman de Kentârô Isaka qui a rencontré un franc succès au Japon lors de sa publication. A tel point que l’idée de l’adapter en manga parut couler de source dans un pays qui aime la littérature au moins autant et peut-être plus qu’en France. L’idée semble simple mais fut sans doute un réel défi tant pour son auteur qui dut remanier son écrit pour en valoriser les dialogues que pour la mangaka Megumi Ôsuga. Le challenge était de rendre l’ambiance, la richesse de l’intrigue et des personnages, même secondaires, d’adapter le tout pour un lectorat adolescent ou jeunes adultes et donc de transposer le(s) héros dans la peau de gens de leurs âges. Car tout est important dans ce récit. Chaque détail est un indice, chaque pensée et/ou mouvement du premier héros, Andô, est une pièce du puzzle.
Dans ce premier tome, on découvre donc Andô, qui n’est désigné que par son nom de famille alors que son frère cadet a un prénom, Junya Andô. D’emblée, Inukaï est présenté comme son ennemi naturel car il n’a lui aussi qu’un nom de famille et cela restera le cas tout au long de la série. Ce parti pris est intéressant et même s’il est simple, il impose le premier axe de lecture du Prince des Ténèbres : le conflit entre ces deux personnages que tout oppose. Andô veut une vie paisible, discrète, anonyme au possible alors qu’Inukaï veut briller, prendre le pouvoir par la popularité et prend tous les risques pour y parvenir. L’un est dans l’ombre et l’autre dans la lumière, telles les deux facettes du Yin et du Yang, ils ne sont pas foncièrement bon ou mauvais l’un comme l’autre, ils opposent simplement deux système de pensée et de conception de l’existence. La mangaka Megumi Ôsuga a rendu parfaitement cet antagonisme. Andô est banal, brun, nonchalant, son physique se perd dans la masse, il ne porte même pas de vêtements excentriques en dehors de l’école comme nombre de jeunes Japonais, il est même plus banal que son cadet. Inukaï a les cheveux longs, clairs, il arbore l’uniforme bien taillé de son groupe de justiciers et une confiance en lui qui transparaît continuellement sur son visage. Le dessin de Megumi Ôsuga est dynamique, il use à loisirs des trames, met en valeur les personnages autant que leur environnement proche, plongeant le lecteur dans un contexte développé comme un personnage à part entière. En effet, on découvre que l’enjeu est le contrôle de la ville et de sa population. Et ce contrôle passe par ses rues, ceux qui y passent, ceux qui y vivent, ceux qui y font régner leur loi. En représenter le cadre est donc vital.
Avec ce premier tome, on plonge très vite dans une histoire qui promet du suspense, des retournements de situation surprenants, des menaces pouvant venir de tous bords. Car si Andô a un don, d’autres pourraient être dans le même cas que lui. Quel camp choisiront-ils ? Quel est le but réel d’Inukaï ? Jusqu’à quelles extrémités est-il prêt à aller pour parvenir à ses fins ? Andô pourra t-il être à la hauteur ? Car son don est loin d’être un pouvoir de super héros…
« Quand on plonge trop longtemps son regard dans l’abîme, l’abîme nous regarde. »
Le Prince des Ténèbres T. 1 – Kôtaro Isaka & Megumi Osuga
Editions Kurokawa
Prix : 6.50euros