La Cité lumineuse (Les Ecriveurs tome I) – Frédéric Mars

Lara Scott vit à Hometone, une île volcanique « constamment emmitouflée sous sa chape de cendres et de vapeur », et qui, coupée du reste du monde, ne figure sur aucune carte. Nul ou presque hormis ses habitants n’en a jamais entendu parler, et l’on en comprend vite la raison : ainsi que le découvre Lara en prenant conscience de ses propres pouvoirs, nombre de ses résidents sont dotés d’une aptitude étrange : ils sont capables d’ « écrire » la vie des individus du monde extérieur. Si ces derniers venaient à le savoir, ils ne tarderaient pas à venir sur l’île demander des comptes.

Adolescente moyenne, jolie mais sans plus, pas sportive pour deux sous, affligée d’une peu commune dysgraphie qui la fait écrire à l’envers, Lara, orpheline de mère, prend conscience de ses pouvoirs lorsque sa demi-sœur essaie de la noyer. Dès lors, accompagnée par un mentor du nom de Will Oberthür, elle s’en va de découverte en découverte : cité souterraine des Ecriveurs, bibliothèque de Livres de Vie, ascenseurs métamorphiques et peut-être même vivants, tablette lui permettant d’observer l’existence spontanée des « Ecrits » qui lui sont assignés et dont elle peut modifier l’existence, et bien d’autres surprises que nous ne révélerons pas ici.

C’est donc sur un rythme rapide, et sur trois tableaux à la fois – une série de découvertes, de questionnements et de prises de conscience, l’enquête sur les origines de la disparition de sa mère, et une dangereuse et palpitante expédition dans le monde extérieur, qui lui permet de sauver l’une de ses « écrits », la jeune Emily qu’elle ramène sur l’île au grand dam du Conseil des Ecriveurs – que Frédéric Mars précipite son héroïne, qui n’a guère le temps de souffler, et à peine celui de reprendre ses esprits. Esprits qu’elle ne perd jamais très longtemps, car les péripéties auxquelles elle est confrontée ne l’empêchent pas un seul instant de réfléchir.

Car, en effet, la découverte de ses pouvoirs ne va pas sans susciter de questions. Quelles sont les limites dans lesquelles il est possible d’influer sur l’existence de personnes envers lesquelles on dispose de ces étonnantes prérogatives ? Pourquoi n’écrit-on les vies que d’un pourcentage infime de la population mondiale, et laisse-t-on les autres à la merci des aléas et des drames de la vie quotidienne ? L’humanité est-il définitivement scindée en deux – les Ecrits dune part, les Ecriveurs de l’autre – ou bien les Ecriveurs ont-ils leurs propres Ecriveurs ? Est-il possible de s’écrire mutuellement ? Est-il moral de s’affronter par Ecrits interposés, lors de combats de Free-Fight à la fois populaires et sanglants ? Et l’amour, dans tout ça ? Quelle est donc cette règle étrange qui veut que l’on ne puisse plus être un Ecriveur si l’on tombe amoureux ?

Des questions au passage, donc, beaucoup de questions, non seulement de logique, mais aussi de morale et d’éthique. Frédéric Mars prend soin de ne pas accumuler les péripéties sur le mode décérébré mais d’associer à tout évènement un questionnement cartésien ou philosophique qui est aussi celui des interrogations et des découvertes de l’adolescence, d’un parcours qui apparaît, pour reprendre une formule classique, axé sur le mode initiatique. Le mentor Will Oberthür, le sage du nom de Philéas Flok et quelques autres personnages de la Cité des Ecriveurs prennent soin de ne pas donner trop de réponses :  à l’héroïne trouver ses propres solutions, à elle de trouver son chemin, de se faire ses opinions.

Mais si elle est l’héroïne, c’est aussi, on s’en doute, parce que ses pouvoirs naissants la conduiront plus loin que les autres. Plus douée, plus rapide, plus futée, elle ne tarde pas à jouer les trouble-fête et à aller plus loin que bien des Ecriveurs de niveau supérieur. Et d’autres questions de se poser : que faire lorsque l’on découvre qu’un petit groupe de ses propres Ecrits se doute de quelque chose, et se rassemble autour d’un écrivain de type habituel pour essayer de faire la lumière sur ceux qu’ils soupçonnent de les manipuler et qu’ils nomment les Marionnettistes ? Que faire lorsque l’on découvre dans le monde extérieur un renégat aux pouvoirs étranges ? Et quels pouvoirs peut conférer la connaissance de toutes les histoires, non seulement celles qui ont été écrites, mais aussi celles qui ne l’ont pas été ?

On se laisse facilement emporter par ce récit riche et enlevé, qui, en trois-cent-cinquante pages d’une écriture simple et aérée, sans recherche particulière mais efficace, conduit à une fin ouverte et suffisamment intrigante pour donner envie de lire la suite à venir des aventures de Lara Scott. Bien des questions restent en suspens, mais l’on a déjà appris beaucoup, et c’est cela qui compte. On ressortira de ce roman ravi de savoir qu’il n’existe pas seulement sept merveilles en ce monde mais bel et bien sept cents, on rêvera de la mystérieuse et très onirique Galerie des Sept Cents Portes, on ne considérera plus tout à fait les ascenseurs de la même façon, et, à chaque fois que l’on éprouvera dans la vie de tous les jours cette mystérieuse impression de « déjà-vu », à laquelle l’auteur donne une explication élégante, on frissonnera en songeant à ce qu’elle signifie.

Les Ecriveurs – T1 La Cité lumineuse

Frédéric Mars

Collection BAAM

Editions J’ai Lu

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