Tous les amateurs d’imaginaire connaissent le mythe de Beowulf, qui a d’ailleurs donné quelques lamentables adaptations cinématographiques. Eh bien John Gardner se propose de nous faire vivre l’histoire du point de vue de Grendel, le monstre de l’histoire. Véritable retournement de situation littéraire, ce roman étonnant va séduire plus d’un lecteur.
La couverture de Lasth représente assez bien la folie qui imprègne les pages de ce roman, avec un monstre qui demande juste à vivre alors qu’il est traqué, humilié,… Bref, cette image vient placer immédiatement le lecteur dans le contexte qu’il va découvrir dans ce livre. La présentation de l’éditeur est assez bien faite pour donner réellement envie :
Le Grendel de John Gardner est à la saga de Beowulf ce que l’Ulysse de James Joyce est à L’Odyssée d’Homère. Dans les deux cas, il s’agit d’une complète trahison. Cette violence faite au texte original n’est rendue possible que par une claire compréhension de l’œuvre, et se justifie par un impératif supérieur, celui de la création littéraire. Chez John Gardner, l’acte de réécriture se double d’une dette jamais acquittée à l’égard de son frère dont il est le meurtrier.
Xavier Mauméjean.
Grendel, qui narre l’épopée de Beowulf du point de vue du monstre, s’est imposé en moins de quarante ans comme un des grands classiques de la fantasy anglo-saxonne. Court, brutal, d’un humour ravageur, ce conte philosophique frappe le lecteur avec la force d’une comète, dans l’éblouissement.
L’histoire de Grendel est émouvante, éprouvante et excessivement morale. Ce sont les points que je note en priorité suite à ma lecture. Rien à redire du point de vue stylistique en tout cas, tout est orchestré de main de maître et la traduction est elle aussi excellente. Mais il ne va pas falloir s’arrêter aux prémices littéraires pour comprendre le sens véritable de ce roman à la portée philosophique impressionnante.
Car qu’est-ce qu’être un monstre ? John Gardner pose cette question au lecteur, au regard de sa propre expérience malheureuse avec son frère. Hanté, il se voit comme un monstre. Mais ceux-ci n’ont-ils pas droit à la rédemption ? Leur Némésis doit-elle toujours les vaincre ? Autant de concepts jetés comme des bouteilles à la mer par un auteur de grand talent.
En tant que spécialiste de la littérature médiévale, on ne peut pas dire qu’il soit hors-jeu dans les descriptions qu’il fait tout comme dans l’univers qu’il crée. Cette profondeur scénaristique vient appuyer un propos bouleversant.
Rares sont les romans qui me font me sentir différent après leur lecture. C’est pourtant le cas de Grendel. Le mythe de Beowulf, la réutilisation du monstre en tant que personnage principal (fait rare, il convient de le signaler), la profondeur scénaristique est la plus belle manière de faire passer son message pour John Gardner : les monstres aussi sont « humains ». Ils peuvent douter, se repentir, craindre,… Et finalement le propos de John Gardner n’est-il pas que c’est Beowulf le monstre ? Celui qui refuse de voir la nature au-delà du corps est finalement hideux lui-même… Bref, un roman troublant, inimitable, que je ne peux que conseiller au lectorat adulte comme une référence incroyable en matière d’imaginaire.
Grendel
John Gardner
Lunes d’encre
Denoël
17 €