MY OWN PRIVATE ALASKA ou MOPA est un petit ovni que je découvre à la réception de leur album. J’avoue n’avoir jamais rien entendu d’eux et c’est avec une oreille totalement neuve que j’entre dans leur univers. Et c’est en effet un univers rien qu’à eux. Ce groupe toulousain au style quasi inclassable s’est construit une jolie place sur la scène metal moderne depuis 2007. Ils sortent ainsi le 30/09 prochain leur second album après un premier album datant déjà de 2010 et un dernier EP en 2021, ainsi qu’un changement de line-up. Découvrons ensemble cette curiosité sur la scène des musiques extrêmes.
MOPA débute en 2007 à l’initiative de trois musiciens, screamo sur un duo piano/batterie. Simplicité volontaire et interprétation audacieuse dans une période plutôt marquée par l’apogée du nu métal. Le groupe propose un premier EP et un premier album Amen en 2010, produit par Ross Robinson (LIMP BIZKIT, KORN, DEFTONES, FEAR FACTORY, etc.). Et honnêtement, première surprise qui me pousse à creuser l’histoire de ce groupe dont je ne soupçonnais pas à la première écoute qu’elle fut si riche. Après un enregistrement à Los Angeles et un travail de post-production avec ceux qui ont fait les plus gros albums de la scène nu metal qui m’ont bercée ado, succèdent tournées et premières parties avec des monstres de la scène metal. Le groupe se sépare en 2014 et se reforme avec le line up actuel en 2020. Le concept initial est conservé bien qu’enrichi, toujours pas de guitare ni de basse, un duo de clavier accompagne la batterie et le chant pour un style qui flirte entre metal moderne, metalcore, post-metal et post-hardcore sans qu’il soit possible de le définir réellement. Si je devais résumer, c’est une rencontre mélancolique et hurlée entre musique classique et métal. Dresscode minimaliste, jeu assis, le quatuor défie les codes et propose un projet très atypique qui m’a largement intriguée.
Mélancolie froide, poésie évidente, voyage musical, hurlements et lamentations, piano martelé, autant d’ingrédients qui font que ce projet se dirige doucement mais sûrement vers ce qui fait la recette d’un joli projet post-metal/post-hardcore. Ovni musical beaucoup trop particulier pour rentrer dans les cases des autres groupes de musiques extrêmes. La recette semble avoir privilégié l’introspection cette fois-ci : voir moins grand que par le passé, être plus proche de soi-même, de son projet artistique. Projet plus confidentiel, moins surproduit sans doute mais peut-être plus à même de toucher le public concerné. Les mélodies au piano sont très belles, il y a un énorme travail sur la cohérence artistique et l’atmosphère, et le recours au scream renforce l’intensité des morceaux. Il est par contre indispensable d’écouter l’album avec un bon système de son tant l’orchestration peut être un peu exigeante et parfois le mixage un peu brouillon. J’ai personnellement trouvé le piano souvent trop présent et très martelé, parfois aussi trop électronique et mécanique dans sa sonorité. Si l’intensité de jeu est évidente et au service de l’ambiance, j’aurais aimé un équilibrage un peu plus subtil, d’autant plus qu’il y a deux claviers. Le chant s’étouffe aussi des fois, supplanté par le piano. Je ne suis pas toujours très fan du chant non plus sur les parties clean. Je pense qu’il y a un équilibre à trouver sur les prochains albums et un travail qui peut être affiné pour conserver ce désir évident d’intensité dans le jeu et ce débordement d’émotions, sans que cela n’impacte la qualité de l’écoute. Peut-être que l’intégration d’éléments plus organiques pourraient également apporter quelque chose. Il en ressort malgré tout une interprétation sincère et tourmentée, pleine de sensibilité et d’audace aussi de proposer un projet aussi atypique sur la scène métal. J’avoue être curieuse également d’entendre ce que donne l’interprétation en live.
L’album commence avec le morceau « From Gold To Stones » qui dépeint l’expédition vaine de chercheurs d’or en Alaska, une métaphore des quêtes et des épreuves de la vie. Partir avec l’espoir du succès et ne revenir qu’avec une maigre récompense. Le morceau s’ouvre immédiatement sur un cri et le piano dans une mélodie et une rythmique très tourmentées. Il y a quelque chose de lancinant. Les passages plus atténués permettent de laisser un peu de place au chant clean. Le morceau est sorti en single et s’accompagne d’un clip déjà disponible. La mélodie progresse vers une montée très lyrique, toujours plus haut.
« Ka Ora » démarre plus sobrement, chant clean et piano, avant que la batterie ne se rajoute. Le morceau dépeint l’histoire d’un prisonnier enrôlé pour combattre contre son propre camps, une sorte de métaphore sur le fait que les personnes ne sont ni bonnes ni mauvaises par essence. La chanson propose des pauses plus calmes et épurées au piano, apportant un peu de douceur et de respiration à des morceaux globalement très longs. La batterie adopte une rythmique plus martiale aussi et le piano fuse à la fin.
Le morceau suivant « Innocent, Innocent » traite du poids des traumas et des blessures familiales, du besoin de s’en extraire et de les guérir pour avancer. Le groupe indique avoir travaillé avec des adolescents sur ce titre autour d’un projet socio-culturel. L’atmosphère est plus sombre et mélancolique, moins tourmentée et empressée, illustrée dans un clip, le single étant sorti plus tôt.
L’attaque de « We’ll All Die (But You’ll Die First) » est plus brute, on reprend l’agitation des morceaux précédents. L’ajout de nombreux effets accentue cette atmosphère. Chanson violente, pleine de colère et de désir de vengeance, illustrée par un clip sorti il y a quelques mois.
Avec le morceau « Touch Again », le groupe a souhaité raconter l’histoire d’une amie, son agression et comment parvenir à trouver une nouvelle force pour s’en sortir. L’introduction est plus douce, le chant plus déclamé, la progression du piano semble dépeindre le travail effectué sur soi.
L’album se poursuit avec le morceau « Burn, And Light The Way ». L’histoire de la chanson est un peu confuse pour moi. Le morceau se termine sur un passage volontairement très confus également où les sonorités organiques et électroniques se mêlent avec violence.
« Question Mark » adopte une posture plus classique en traitant de la recherche vaine du divin, thématique un peu convenue mais somme toute efficace de l’absurdité des dieux et des messies. C’est le morceau le plus long de l’album, 7 minutes avec beaucoup de variations et de parties de piano seul. Il y a également beaucoup de chant clean.
L’album se termine par « All The Lights On » également déjà illustré par un clip. La mélodie adopte une atmosphère de finitude, le rythme martelé symbolise les épreuves. La chanson parle de l’aide apportée lorsque l’autre sombre, de la nécessité de continuer à être présent malgré les épreuves. Le titre est très court par rapport aux autres sur l’album, et prend la forme d’une dernière complainte avec des refrains longuement screamés et accompagnés d’une mélodie progressant rapidement au piano, avant une toute dernière envolée.
Il y a quelque chose d’émouvant dans la sincérité de ce projet et de leur démarche. Qu’il s’agisse du jeu, de l’atmosphère, de la dynamique de leur reprise et de leur formation atypique, tout est construit pour proposer une identité très singulière et audacieuse. On est sur des compositions qui plairont aux amateurs de post-metal et post-hardcore à n’en pas douter, pleines de maturité et d’introspection. Je regrette cependant un peu la qualité du mixage qui à mon sens ne permet pas de profiter pleinement de la complexité des morceaux, des effets et fait perdre sa subtilité au jeu du piano. De même, le chant disparait un peu trop par moments. Le son en ressort parfois un peu brouillon, un peu trop, partout en même temps et on perd en clarté. Je saisis cependant pleinement l’envie de délivrer les émotions, avec brutalité et force parfois, l’envie de hurler le désespoir ou la détresse, de courir sans s’arrêter à la vitesse où les doigts parcourent les touches de leurs claviers. Il y a, à n’en pas douter, une grande force et une grande sincérité dans leur travail dont le potentiel mérite d’être exploité au mieux. MY OWN PRIVATE ALASKA a réussi à revenir avec un joli projet cohérent, plein de justesse, personnel et audacieux, qui mérite d’être écouté. Et on leur souhaite que cette dynamique créative retrouvée leur permette de produire encore de belles choses sur la scène post-metal et post-hardcore.