3 questions à Camille Leboulanger, auteur de Le Chien du Forgeron

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Tu viens de sortir en poche Le Chien du forgeron. Comment t’es venue la première étincelle de ce roman, qui prend à contre-pied le lecteur sur l’image du héros ? Et ce personnage narrateur tout simplement impressionnant, quelle est son origine ?

La première « étincelle », comme tu dis, vient d’assez loin dans l’enfance puisque j’ai pour la première fois entendu parler de cette histoire avec le premier album de Manau, Panique Celtique, en 1997. Par conséquent, ça n’est pas tout jeune… Bien sûr, à l’époque et pendant longtemps, c’était plus le caractère tragique et inéluctable du destin du Chien qui me marquait : vivre anonyme ou bien mourir glorieux. On retrouve le même « choix » (qui n’en est pas vraiment un) chez Achille, dans la mythologie grecque et, à mon sens, on en a encore des figures de nos jours avec les musiciens et les musiciennes qui se crament et meurent jeunes.

Je pense qu’écrire une énième version de la même histoire n’aurait pas eu de sens s’il n’y avait pas eu le dispositif de narration qui permette de l’interroger et de la critiquer… et donc ce narrateur. Je me souviens assez bien de l’endroit et du moment où je me suis soudain dit : « Bon sang, mais c’est bien sûr, le récit doit être porté par un narrateur intra-diégétique ! » (citation non contractuelle). J’ai toujours aimé les narrateurs peu dignes de confiance et auxquels les lecteurs et lectrices accordent tout de même la leur. J’ai donc eu envie de m’amuser avec cela. En tant que personnage, j’ai découvert ce narrateur au fur et à mesure du récit. Je me souviens avoir rencontré mon éditeur Simon pour un rendez-vous de travail (en breton, « apéro ») et lui avoir dit : « Simon, le narrateur vient d’intervenir en personne dans le récit ! ». Il m’a regardé très sérieusement et m’a répondu d’une voix blanche : « Camille, tu te souviens que tu ne peux pas le tuer, alors ? »…

Tu fais de Cuchullainn un anti-héros attachant par moment. Combien de temps as-tu mis à écrire ce roman, à le construire, notamment à travers les recherches que tu as probablement dû faire ?

Au fur et à mesure du travail du roman, je me suis rendu compte de deux choses. Premièrement, que je n’aimais vraiment pas le Chien, en tant que personne. Deuxièmement, que je m’y attachais quand même. C’est toute l’ambiguïté de la figure du personnage principal. Je m’interroge beaucoup sur le concept « d’identification », des liens affectifs qui se créent entre les lecteurs·ices et les personnages. Il me semble que le roman condamne assez nettement le Chien et, malgré tout, ne serait-ce que par l’intimité qui nous est accordée avec lui, un certain attachement se développe. Un libraire, lors d’une rencontre en 2021, a suggéré qu’il y avait dans ce texte quelque chose qui tenait de la chasse au « Chien en moi », et je pense que c’est assez vrai. Je pense même qu’il s’agit de chasser la part du Chien en chacun de nous.

Pour ce qui est du temps d’écriture, ce me semble assez difficile à quantifier exactement, mais cela a dû « prendre » un an, un an et demi, des premières lectures préparatoires au « point final » du manuscrit. Je suis toujours surpris par la fréquence de cette question de la temporalité en écriture, parce qu’il est très difficile d’y répondre exactement. Il y a des textes qui se préparent des années durant, en « sous-marin », sans qu’on les écrive exactement. Il me semble que la phase de « rédaction » n’est qu’une partie (très importante cependant) du processus d’écriture, qui passe pour moi par beaucoup de lectures, de réflexion, de méditations, etc.

Dans ce roman tu égratignes l’image du guerrier mythique, tu le renvoie à sa nature purement humaine, malgré ce que ton protagoniste semble penser de lui. Est-ce une volonté de ta part de briser le mythe, ou bien as-tu simplement souhaité raconter une histoire mythique en la rendant réaliste ?

Je suis certain qu’il m’était impossible de traiter de cette histoire, de ce canevas, de manière « neutre ». J’y applique forcément mes préoccupations, mes questionnements. Nous sommes fin 2022. Comme tout le monde, j’ai pris #MeToo assez fort dans la tête, et ce moment a alimenté de nombreux questionnements intimes. Il continue de les alimenter, d’ailleurs. J’y pense car je viens de regarder le feuilleton The Morning Show (AppleTV, de Mimi Leder, avec Jennifer Anniston, Reese witherspoon et Steve Carrel) qui traite aussi de toutes ces questions de pouvoir, de masculinité, d’emprise. Je ne pouvais pas écrire un « récit héroïque », d’autant qu’il me semble que ceux-ci sont assez problématiques politiquement.

Je trouve plus intéressant d’essayer d’explorer la possible psyché de la figure du Chien. Je me retrouve pleinement dans le terme « réalisme », au sens tel que donné par Maupassant au XIXe siècle, mais aussi comme en parle Ursula K. Le Guin lorsqu’elle en appelle aux « réalistes d’une autre réalité. » Ce caractère réaliste naît pour moi d’un enchaînement de questions et de conséquences. Comment serait organisée une société qui produirait et glorifierait ensuite une personne comme le Chien ? À quoi ressemblait possiblement l’Irlande celtique au premier âge du fer ? Quel degré de vraisemblance chercher à atteindre, et comment ? Quels écarts s’autoriser ? Depuis que j’ai réellement commencé à m’intéresser à la sociologie, je constate qu’elle est un outil précieux pour les écrivain·nes, car elle permet de tenir ensemble le social et le personnel, la représentation et l’émotion, l’extime et l’intime. Je ne cherche donc pas à « briser » le Chien, ni à en faire l’apologie, bien que j’ai peu de goût pour lui en tant que personne. Ce qui m’intéresse c’est de montrer comment et qui : comment les êtres humains interagissent socialement entre elleux, et qui est le produit de ces interactions.

Titre : Le Chien du Forgeron
Série :
N° du tome :
Auteur(s) : Camille Leboulanger
Illustrateur(s) :
Traducteur(s) :
Format : Poche
Editeur : J'ai Lu
Collection :
Année de parution : 2022
Nombre de pages : 320
Type d'ouvrage : Roman

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