La Fileuse d’argent – Naomi Novik

Naomi Novik est une autrice dont la renommée a traversé l’Atlantique : de mon côté je ne connaissais que deux de ses titres, Déracinée et La Fileuse d’argent, et de nom uniquement. C’est donc avec un grand plaisir et beaucoup d’attentes que j’ai commencé par ce dernier.

 

“Déterminée à sauver sa famille du naufrage financier, Miryem reprend avec succès l’activité de prêteur de son père, mais elle attire rapidement l’attention du roi des Staryk, une créature effroyable qui exige d’elle l’impossible. Wanda, fille de ferme miséreuse aux prises avec un père violent et alcoolique, lutte pour sa survie et celle de ses deux frères. Et quoiqu’elle vive dans les ors du château, Irina connaît un sort à peine plus enviable : son père, le duc, entend la marier sous peu à un homme connu pour son extrême cruauté. Trois femmes, trois destins, mêlés dans le blizzard surnaturel d’un hiver qui menace de geler toute vie sur son passage..”

Rien de mieux pour me tenter que les destins mêlés de trois femmes si différentes au cœur d’un hiver sans fin !

Commençons par parler de cet hiver justement. Un hiver d’inspiration russe et une façon de raconter qui m’ont rappelé un petit peu ceux de Katherine Arden dans l’Ours et le Rossignol – que je recommande très vivement d’ailleurs. On retrouve ici aussi un aspect de conte raconté au coin du feu, avec d’effrayantes créatures qui n’existent que pour emmener les enfants méchants et qui s’évanouissent au fond des tempêtes de neige. Et disparaissent également des esprits. C’est un aspect très important de cette histoire qui est déstabilisant dans les premiers chapitres : les Staryks, ces créatures que chacun connaît et craint pour les raids et les pillages menés dès les premières neiges, s’effacent pourtant des pensées de tous les témoins à chacun de leur passage.

La fantasy de ce monde est originale et bien mise en place. Tout se joue sur la frontière floue entre deux mondes : celui des mortels sans pouvoir, le monde du soleil, à la merci des démons et du roi de l’hiver, et le royaume de celui-ci. Autour des différents échanges, on comprend qu’il en existe encore d’autres, mais ce sont dans ces deux là que se passe notre histoire. Il y a d’ailleurs une petite partie très bien racontée et intrigante où l’autrice joue avec ce chevauchement de mondes.

Concernant les créatures qui y vivent, les Staryks, j’ai eu beaucoup de difficultés à les imaginer. Les descriptions physiques ne sont pas évidentes à projeter ; cependant, il y a des développements autour de leurs mœurs et coutumes qui sont très importantes pour le fond du récit. J’ai eu du mal à accrocher au début avec ce peuple, vraiment représenté comme les “méchants” de l’histoire : ce côté manichéen disparaît assez rapidement lorsque le voile se lève sur la complexité de leur monde. En revanche, on découvre aussi un démon dans le monde des humains qui, de mon point de vue, n’est pas assez développé. Le lecteur a très peu d’éléments sur le monde d’où il vient ou sur ses objectifs et ses raisons d’agir. C’est dommage compte-tenu de l’opposition mise en place entre cette créature et le roi de l’hiver.

De l’autre côté, le monde du soleil est bien défini et s’approche d’un contexte suffisamment connu du lecteur pour que toutes les règles qui le régissent soient claires. Que ce soit le contexte historique, géographique, politique ou religieux, tout est amené avec facilité et la magie s’y assimile très facilement.

 

C’est là qu’arrive cependant le premier point un peu mitigé de cette lecture : la longueur de la mise en place. Il faut plus de 150 pages, particulièrement denses, pour venir finalement au bout de ce qu’annonce le résumé pour chacun de nos trois personnages principaux. Alors certes, il s’agit d’un one-shot, l’univers est soigné, complexe, les trois jeunes femmes bien campées dans leurs histoires respectives. Cependant, l’alternance des narrateurs – essentiellement narratrices d’ailleurs – au cours d’un même chapitre et non de chapitre en chapitre, n’aide pas à donner le rythme et cela peut se montrer frustrant.

Pour ma part, seule Myriem m’a vraiment intéressée sur cette première partie : elle a une intelligence froide et pragmatique et est très astucieuse. Le seul intérêt ne réside pas là : c’est dans les parties qui la concernent que l’on trouve, au début, le plus de fantasy avec les Staryks, et le poids d’une menace sur ses épaules. Menace ou défi, selon le point de vue, qui sera le point de départ de toute l’intrigue.

Irina de son côté est un peu plus quelconque dans ces premiers chapitres. Fille d’un duc qui s’est remarié, mal aimée, pas assez jolie ni assez riche pour espérer un bon parti, elle ne prend en importance qu’après que les machinations de Myriem fassent entrer la magie dans son histoire. A partir de cet instant, on sent davantage l’intelligence sensible dont elle fait preuve, et elle apporte une petite dimension politique au récit.

Enfin, Wanda représente la domesticité et la pauvreté, aux côtés de Myriem qui s’élève vers la bourgeoisie, et Irina au coeur de la noblesse. Son point de vue présente d’autres problématiques : la survie au jour le jour, la difficulté face à la justice, la peur de ce que l’on ne sait pas nommer, le manque d’éducation. En revanche, la force, la volonté et le courage dont elle fait preuve en font un soutien sans équivalent pour Myriem qu’elle seconde.

Les différentes rencontres et les liens qui se tissent entre ces trois femmes sont très bien amenés, au moment où l’action s’accélère avec la mise en place de leur alliance contre les forces surnaturelles. Une des grandes forces de la plume réside dans les changements qu’elle adopte pour chacun des narrateurs. Au départ, nous suivons uniquement les trois jeunes femmes, parfois dans un même chapitre, et la seule indication du changement de point de vue, en dehors du saut de paragraphe, se trouve dans la plume.

 

J’ai moins apprécié l’apparition de nouveaux narrateurs au cours du récit : ils apportent chacun de nouveaux éléments et un œil neuf, en particulier dans l’action, mais je trouve que cela casse l’aspect “trio”. De plus, et c’est personnel, j’ai eu beaucoup de mal avec le petit frère de Wanda, justement à cause de la plume : elle représente très bien la pensée d’un jeune enfant, et cela m’a moins plu.

Une fois l’intrigue bien mise en place, les destins entremêlés et les éléments de fantasy bien ancrés, il y a une réelle accélération du rythme et j’ai été happée par ma lecture. Je garde une préférence pour le personnage de Myriem, mais les trois jeunes femmes sont intéressantes et l’intrigue passionnante.

Il y a cependant deux autres petits points qui me laissent un petit peu mitigée : j’ai eu du mal à comprendre certains éléments un peu sibyllins liés au monde de l’hiver, et exprimés dans des tournures de phrases que j’ai trouvées difficile à décortiquer. J’ai peur d’être passée à côté de quelques petites subtilités. Et enfin, adepte des fins nuancées, j’ai trouvé que celle-ci manquait un peu de sel.

En somme, une très belle lecture au sein d’un univers original et intéressant, portée par une plume maîtrisée et descriptive et un trio de femmes passionnant. Je recommande ce titre et suis ravie d’en avoir un autre de l’autrice sous le coude.

 

 

 

Titre : La Fileuse d'argent
Série :
N° du tome :
Auteur(s) : Naomi Novik
Illustrateur(s) :
Traducteur(s) :
Format : Poche
Editeur : J'ai Lu
Collection :
Année de parution : 2021
Nombre de pages : 542
Type d'ouvrage : Roman

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