Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter Iron Maiden, groupe de heavy metal légendaire issu de la New Wave Of British Heavy Metal durant les années 70. Le succès, planétaire, ne s’estompe pas et chacune de ses nouvelles offrandes discographiques est attendue tel le messie par les millions de fans (dont je fais partie) à travers le monde. Il aura fallu patienter six longues années entre The Book Of Souls paru en 2015 et Senjutsu qui a donc été livré à la communauté des admirateurs de la bande à Eddie (la célèbre mascotte du groupe) le 3 septembre dernier.
Le groupe s’est souvent plu durant ces dernières années à ouvrir ses albums avec des morceaux aux introductions à ambiance qui plantent un décor, un thème, une couleur particulière et que l’on retrouve en fil conducteur. C’était le cas sur The Book Of Souls ou bien encore sur The Final Frontier (2010). Senjutsu ne déroge pas à la règle et démarre sur un titre dont l’esprit général demeurera campé sur des sonorités asiatiques. Normal quand on découvre l’artwork de l’album (superbe et soigné, comme d’habitude chez Maiden) dont on se doute très fortement de l’orientation artistique. Son titre ? Senjutsu ! Asiatique on vous dit ! Ce premier morceau débute les hostilités de façon originale avec ses sonorités guerrières. Ce sentiment nous est grandement insufflé par les parties de batterie de Nicko McBrain assez tribales dans le genre et qui le resteront quasiment tout du long. L’atmosphère est sombre avec un chant de Dickinson telle une menace sous-jacente. Une bataille imminente peut-être ? Après renseignements, il s’avère que le terme “Senjutsu” comporte effectivement un rapport avec l’art guerrier. J’ai particulièrement apprécié ce morceau d’ouverture car j’y ai noté une véritable originalité de composition et le rendu presque cinématographique proposé par les musiciens s’avère convaincant. Une introduction parfaite au reste de l’album. Stratego, loin d’être mauvais, reste cependant à mon goût très (trop) classique pour du Maiden. L’originalité de mise sur le tout premier titre retombe un peu ici. Le fan de base ne sera donc pas désorienté. La faute à un refrain manquant à mon sens un poil d’originalité et d’accroche. Dommage car le pré-refrain est, lui, prometteur. On y retrouve tous les ingrédients de la recette Maiden dont les fameuses guitares harmonisées et qui viennent ici accompagner le chant. Il est à noter également la présence quasi permanente de nappes de claviers. Sur ce point, la réussite n’est à mon avis pas toujours au rendez-vous. Je dirais même que la systématisation de leur emploi peut s’avérer pénible. C’est bien simple, sur Senjutsu on en retrouve partout ! Et pas seulement sur ce Stratego qui s’en taille une bonne part du (British) lion durant le refrain. Le père Steve Harris s’est totalement lâché pour le coup. Car c’est bien lui qui en est à l’origine (et qui en joue), très influencé qu’il est par le rock progressif des années 70. À l’écoute de l’album, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que Maiden ne faisait plus du heavy metal mais bien du heavy progressif. Nulle critique sur ce point. Juste une constatation car le groupe évolue et c’est normal. Ce sentiment, en demi-teinte sur la première moitié de l’album, prendra tout son sens dans sa seconde partie. En attendant, nous voilà en présence d’un Maiden droit dans ses bottes (de Trooper !) et qui nous sert en guise de premier single l’une de ses meilleures compos depuis un bon moment : The Writing On The Wall. L’intro à elle seule s’avère très originale avec sa guitare flamenco. Le titre devient rapidement très mélodique et entraînant avec des parties de guitares électriques jouées à l’unisson fort originales. Immanquablement, on a envie de taper du pied, à l’image de cette grosse caisse de Nicko qui marque le tempo en début de morceau. Des sonorités de banjo se font même entendre ! Une première chez Maiden ! Et bien évidemment, une bonne chanson est une chanson qui comprend un refrain marquant. C’est ici le cas avec un Bruce Dickinson décidément increvable d’album en album malgré ses 60 ans révolus. En dépit d’une longue intro acoustique particulièrement sombre, Lost In A Lost World qui suit se révèle finalement assez rythmé mais dans un style plus classique que le titre précédent. Composée par Steve Harris, la construction du morceau en elle-même demeure du pur Maiden avec cette batterie qui colle au débit des guitares et de la basse. On retrouve l’élément musical emblématique du groupe : les guitares harmonisées. Et comme c’est très (trop) souvent le cas depuis un bail chez Maiden, on a droit à un thème de base répété jusqu’à plus soif et qui peut devenir lassant sur la longueur. De manière générale et après avoir écouté ce nouvel album un bon paquet de fois, je m’aperçois que ce sont surtout les tics de composition propres à certains compositeurs qui se révèlent légèrement pénibles à la longue. Certains passages-clés tels ces outros calquées sur les intros en arrivent à devenir presque prévisibles. C’est dire ! Quoi qu’il en soit, Lost In A Lost World ne brille malheureusement pas par sa folle originalité. Il faudra attendre Days Of Future Past pour en retrouver (et comme par hasard, le compositeur n’est pas le même…). Les parties de guitares sont moins stéréotypées que le traditionnel thème surjoué et le refrain plus original également avec une ligne de chant magnifiée par Dickinson. Bien entendu, tout cela n’engage jusqu’à présent que mon analyse propre. Libre à chacun d’avoir la sienne. Time Machine ne fait que confirmer ce que j’ai déjà mentionné à propos de Lost In A Lost World. Nous avons donc de nouveau droit à un titre certes sympa mais dont l’originalité ne sera pas de mise. Du Maiden traditionnel et qui ne sort pas de sa zone de confort.
Le second CD (ou disque vinyle) nous prend aux tripes avec en son début un morceau poignant : The Darkest Hour. Il y est question de batailles particulièrement sanglantes durant la Seconde Guerre Mondiale (en gros, Dunkerque et le Jour J). L’ambiance générale n’est donc pas à la fête. Autant le dire tout de suite : c’est une réussite totale. Tout y est : une intro / outro sur fond de bruits de bords de plage, des arpèges de guitare aux sonorités très mélancoliques (appuyés par des nappes de claviers jouées à bon escient), des soli magnifiques et bien entendu le chant de Bruce qui, sans en faire des tonnes, complète avec classe cette atmosphère triste et sombre qui plane tout le long du morceau. Un titre fort. La particularité indéniable de ce Senjutsu réside en sa longueur (tout comme précédemment The Book Of Souls d’ailleurs) puisqu’on dépasse les 1h20 de musique. Et il faut s’accrocher pour “endurer” ce qui va suivre : 3 titres entièrement composés par Steve Harris et qui dépassent tous les 10 minutes ! Il m’aura fallu bien des écoutes pour parvenir à m’en imprégner et comprendre où le leader de la Vierge de Fer essayait de nous embarquer. Death Of The Celts n’est, dans l’esprit, pas très éloigné d’un titre comme The Clansman (album Virtual XI). On y retrouve ce côté épique et “cavalcadant” propre aux meilleures compos de Steve Harris. La séquence musicale centrale est longue et devrait à mon avis faire un malheur en live. On sent le titre taillé pour les foules. Les soli se succèdent, le tout dans une atmosphère assez joviale et qui donne envie de danser. Ambiance celte oblige, on se dit que les cornemuses ne sont plus très loin ! Comme sur Death Of The Celts, The Parchment reprend cette recette de l’intro semi-acoustique d’abord appréhendée de douce manière avant que le titre ne s’emballe véritablement. Dans l’ensemble, il s’agit d’un morceau assez sombre à l’écoute avec, comme sur le titre Senjutsu, une espèce de sentiment de menace enfouie quelque part et bien renforcée par la ligne mélodique du chant. Les sonorités orientales très appuyées par les nappes de claviers sont omniprésentes. Le tempo général demeure bien assis. Mais sur la partie finale, les musiciens se lâchent. Le rythme s’accélère et les soli affluent. Puis l’outro reprend le thème initial (décidément, cette méthode est une constante chez Steve Harris). Enfin pour conclure (ou nous achever, c’est selon), nous avons droit à un ultime morceau long et fourni. Et pour la troisième fois d’affilée (!), le groupe nous propose (impose) une longue intro semi-acoustique très douce à grand renfort de nappes de claviers. Le titre démarre soudainement et surprend, même si le chant met beaucoup de temps à arriver. Hell On Earth (le bien nommé) reste au global et à mon avis un peu dans la même veine que The Parchment, c’est-à-dire tour à tour tout en ambiance puis soudainement plus rythmé et explosif, soli de guitares à l’appui. Les sonorités orientales sont encore une fois de mise mais restent cependant plutôt bien ficelées. Les deux derniers titres de Senjutsu, bien que différents, présentent donc tout de même plusieurs points communs dans leur construction et leur ambiance. Ils ne s’appréhendent pas facilement et demandent énormément d’écoutes et d’attention. Malgré tout et au final, l’auditeur a bien du mal à s’y retrouver et à retenir une mélodie ou une accroche digne de ce nom là où un Death Of The Celts finissait par nous faire sauter à pieds joints. Il n’en demeure pas moins que ce sont des morceaux bien écrits et bien peaufinés même si on peut leur reprocher une similitude générale un peu trop marquée.
Vous l’aurez compris, Senjutsu est un (double) album qui ne s’apprivoise pas d’une traite. Il vous faudra presser la touche lecture de votre platine moult fois avant de commencer à pouvoir cerner les dix titres qui le composent, notamment sur sa seconde partie. Certains pourront peut-être reprocher au groupe de ne plus proposer de compos phare et mémorables tel qu’il en écrivait dans les années 80 ou même un peu plus récemment comme au début des années 2000. Mais il faut bien comprendre que cette époque est définitivement révolue et que les membres du groupe, eux, évoluent. Et donc la musique avec. En ce qui me concerne, je ne peux que louer cette volonté de la bande à Steve Harris de tenter des choses qui correspondent désormais à leurs aspirations et inspirations actuelles sans pour autant totalement larguer le fan de base. Senjutsu demeure donc et quoi qu’on en pense un très bon album de heavy metal, composé par un des maîtres du genre en la matière. Il n’est certainement pas dénué de tout défaut et comprend notamment quelques tics d’écriture et une utilisation des claviers qui, à mon sens, peut paraître souvent surprenante, envahissante, voire irritante. Ceci dit, malgré quelques titres plus dispensables et moins originaux, le fan y trouve globalement son compte. Et c’est bien là l’essentiel.