Entretien avec Jérôme Vincent, des éditions ActuSF

C’est l’été, et il est donc temps de faire un petit tour d’horizon des éditeurs de l’imaginaire afin d’en savoir plus sur eux mais également afin de savoir quelles seront leurs nouveautés de la rentrée mais également leurs coups de cœur 2019 !

Bonjour, et merci de prendre quelques minutes pour répondre à mes questions. Peux-tu tout d’abord te présenter à nos lecteurs et nous expliquer comment tu es devenu l’éditeur de ActuSF ?

C’est une longue histoire… :-)
En mars 2000, on a mis en ligne avec des amis un site internet sur l’actu des littératures de l’imaginaire : Actusf.com, donc. Au même moment, nous organisions des concours de nouvelles dédiés aux auteurs et autrices amateurs et amatrices. Et nous avions commencé à publier des anthologies avec les gagnantes et gagnants.
Lorsque nous avons monté la société en 2003, nous avions envie de faire un peu d’édition (sans aucune conscience que ce « un peu » deviendrait une grosse, grosse part de nos activités) dans la droite ligne de ce que vous faisions avec ces anthologies. Puis nous avons ajouté un guide (Le petit guide à trimbaler de la SF étrangère), et un petit livre de Roland C. Wagner qui nous avait fait l’immense honneur de nous confier sa biographie imaginaire de Lovecraft s’il avait vécu jusqu’à l’âge de 101 ans.
Le virus nous avait alors attrapé. Très vite en 2007, nous avons eu le bonheur de publier des recueils : Sylvie Lainé, Jean-Marc Ligny et Thierry Di Rollo. La machine était lancée, on ne s’est plus jamais arrêté (et on souhaite ne jamais s’arrêter).

Et pourquoi ce nom qui n’en est pas un d’ailleurs pour la maison d’édition ? Une référence quelconque ?

À l’époque, ça nous semblait une excellente idée ! On voulait que le nom de la maison d’édition rappelle le site d’actu et inversement. ActuSF à la conquête du monde, ah ah. Bon, assez rapidement on a compris que ce n’était pas un nom très poétique ni très joli. Mais tant pis, c’est le nôtre. Et globalement ce n’est pas un souci…

On voit les éditions ActuSF un peu partout ces derniers temps. Comment expliques-tu cette expansion de la maison ?

Sommes-nous vraiment partout ? :-)
Ce qui est sûr, c’est que peu à peu, notre catalogue s’enrichit et qu’on a fait de très belles rencontres d’auteurs et d’autrices ces derniers mois, avec quelques titres qui ont plu aux lecteurs et lectrices, et nous en sommes ravis. Et puis à cette ligne de fond, on a aussi eu cette année quelques projets un peu fous, comme la biographie de Lovecraft qui n’avait jamais été publiée en France, ou Underground Airlines qui vient d’avoir le GPI et qui, à la base, est un gros coup de cœur de Marie Marquez et d’Eric Holstein.

Quels sont tes coups de cœur de ton catalogue 2019 ?

Voilà une question à laquelle il m’est impossible de répondre. Alors, du coup, je te fais une rapide revue d’effectifs sur nos « inédits ». J’ai adoré que l’on publie en poche en janvier Les Questions Dangereuses de Lionel Davoust, un court roman de cape et d’épée drôle et malin. Du grand art.
En février, dans le cadre des pépites de l’imaginaire, nous avons sorti La Forêt des araignées tristes de Colin Heine, un premier roman steampunk qui contient de belles promesses.

Le gros morceau médiatique de notre année est paru le mois suivant, la biographie de Lovecraft par S.T. Joshi : Je suis Providence. C’est un boulot de titan, précis et érudit, et qui surtout tord le cou à bon nombre d’idées reçues. Et ce fut une belle aventure, avec dix traducteurs et Christophe Thill en directeur d’ouvrage. En avril, nous avons publié Les Secrets d’Éole de Claire Krust, suite et fin de son dyptique de fantasy commencé avec L’Envolée des Enges. Claire est une autrice dont j’aime beaucoup les univers et le style. Ce mini-cycle démonte les mécanismes de la ségrégation et du racisme mis en place par un État contre une partie de sa population. C’est passionnant et terrifiant. On a aussi les reprises de Bios de Robert Charles Wilson, un roman de science-fiction redoutablement intelligent et du Dieu dans l’ombre de Megan Lindholm (alias Robin Hobb), sans doute une de ses histoires les plus sensibles. Et dans notre collection young adult, Naos (qui est partagée avec les Indés de l’imaginaire), ce premier semestre a été marqué par Coup d’État de Valérie Simon, un formidable premier tome de fantasy, et par Rouge Venom, suite et fin de Rouge Toxic de Morgane Caussarieu. Morgane, c’est une très jolie plume pour des vampires qui vraiment, vraiment, ne sont pas sympas ni gentils. Et comment résister à une héroïne qui s’appelle Barbie ? Enfin, pour terminer, il y a eu également Fantasy et Histoire(s), les actes du colloque de fantasy organisé l’année dernière aux Imaginales. C’est un livre qui va très bien avec notre ligne de titres qui explorent les genres de l’imaginaire par le biais de nos guides, de nos monographies, de la bio Lovecraft ou de toute la collection de la Maison d’Ailleurs. J’aime bien avoir des livres qui réfléchissent sur la science-fiction, la fantasy ou le fantastique.

Peux-tu nous en dire plus sur les prochaines parutions à venir pour la maison d’édition ?

On va avoir une chouette fin d’année. D’abord en septembre, nous aurons chez Naos Dans l’ombre de Paris, un roman steampunk décoiffant (avec une jeune japonaise qui va se retrouver avec les rebelles dans les égouts parisiens) de Morgan Of Glencoe. Dans le même temps, nous publierons La Machine de Léandre d’Alex Evans dans la collection Bad Wolf avec une héroïne qui travaille sur une machine pour faire de la magie.

En octobre, je vous annonce un autre très bon roman de steampunk, Les Brigades du Steam d’Etienne Barillier et Cécile Duquenne. Ce sera également le mois du grand retour de Jean-Laurent Del Socorro avec Je suis fille de rage, un roman audacieux autour de la guerre de Sécession. Et puis nous publierons À la pointe de l’épée d’Ellen Kushner. C’est un grand grand roman de fantasy. C’est une réédition, mais avec des nouvelles en plus et du paratexte.

En novembre, on aura Passing Strange d’Ellen Klages, un roman qui déjà eu plusieurs prix et qui nous plonge à San Francisco en 1942 avec une histoire d’amour entre deux jeunes femmes. On est dans une forme de « réalisme magique » avec une frontière très fine entre la réalité et le fantastique. Grand roman ! Et en décembre le retour de Skin Trade de George R.R. Martin en version collector.

Nous aurons également chez Naos un roman vampirique de Mathieu Guibé, Lorsque nous étions morts, sans oublier évidemment l’anthologie des Utopiales, onzième du nom…

Comment sélectionnes-tu tes manuscrits ?

Je vais te faire une réponse classique, mais c’est essentiellement une question de coup de cœur, de roman qui te garde jusqu’au bout de la nuit et pour lequel tu ressens une forme de jubilation à la lecture. C’est parfois un peu inexplicable. Le meilleur, c’est quand on lit un manuscrit et qu’on se dit : « Wahou, c’est trop bien. Il faut qu’on le publie ».

Quel conseil donnerais-tu à un auteur qui souhaiterait rejoindre le catalogue d’ActuSF ?

Aucun. Rigoureusement aucun. On aime les romans nerveux, qui ont des choses à dire, parfois un peu décalés, parfois très construits et malins, qui peuvent aussi prendre leur temps, ou proposer des moments poétiques. Mais il n’y a pas vraiment de règle. Notre ligne éditoriale se fait un peu par devers nous.

N’as-tu jamais pensé à toi-même prendre la plume ?

Ah ah, non. Comme beaucoup, j’ai commis étudiant une ou deux nouvelles et j’ai très vite compris qu’il y avait des gens qui ont des choses à dire et du talent, et que je n’ai ni l’un ni l’autre.

Tu mènes également une double-vie en dehors de l’édition. Comment gères-tu simultanément ces différents aspects de ta vie ?

Pour moi, tout est assez cohérent, au sein d’ActuSF. J’en suis le gérant, cela m’amène à être aussi bien éditeur, que responsable des relations avec le diffuseur distributeur, que journaliste pour les sites internet, que commercial parfois pour proposer de la publicité, qu’animateur de table ronde ou formateur pour des bibliothèques… Il y a une forme de cohérence à tout cela, et parfois quelques nécessités. L’ensemble a du sens et c’est le plus important. Mais toute l’équipe est multitâche. C’est obligatoire chez nous…

Le marché actuel de l’imaginaire me semble, de mon point de vue, complètement surchargé mais dans le même temps en pleine expansion. Quel est ton regard d’éditeur sur la question ?

Nous vivons des temps intéressants, c’est certain.

L’imaginaire n’a jamais été aussi présent dans notre quotidien, que ce soit au cinéma, dans les séries, ou en littérature. Mais pour cette dernière, il y a des difficultés. En gros, on a deux écueils, et ça vaut pour l’ensemble du secteur du livre. Le premier c’est la surproduction. Trop de livres et donc des difficultés notamment pour les librairies de pouvoir tout présenter et tout vendre. Avec un bémol. Il y a moins de parutions chaque année en science-fiction et en fantasy qu’en polar par exemple, qui fait pourtant de plus grosses ventes. Le deuxième écueil, c’est la concurrence des loisirs. On peut tout à fait aimer l’imaginaire, jouer à des MMO, regarder Game of Thrones ou Stranger Things sans pour autant lire des romans. Pendant nos temps de loisirs, nous avons le choix entre plusieurs activités et le livre n’en sort pas toujours vainqueur.
Mais nous avons aussi de nombreux atouts : un lectorat fidèle, des festivals (et parfois de très gros festivals dédiés), plusieurs médias en ligne et, de plus en plus, l’attrait de quelques journalistes.
À nous donc, en tant qu’éditeurs et éditrices, de nous distinguer avec des projets intéressants.

Quel est ton dernier gros coup de cœur littéraire, en dehors de ta maison bien entendu ?

À la vérité, c’est de plus en plus compliqué de lire d’autres romans en dehors des manuscrits que je reçois. Mais je reste un bon lecteur de BD.  Il y a quelques temps, mes dealeuses préférées en la matière (Evelyne et Maëlle de la librairie Momie à Chambéry) m’ont mis dans les mains l’album Un Monde en pièces d’Ulysse et Gaspard Gry. C’est un album qui met en scène une société où les rangs sociaux sont représentés par les pièces du jeu d’échec. Par exemple, les policiers sont les cavaliers, les fous étant plutôt les rebelles. Ils ont mis en place un véritable thriller, redoutablement efficace et intelligent sur le plan sociétal. Un vrai petit bijou que je conseille à tout le monde, et particulièrement à ceux qui aiment la science-fiction.

Merci beaucoup pour tes réponses et à bientôt au détour d’un salon ou d’une dédicace !

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