Bagdad, la grande évasion ! – Zaad S. Hossain

« Le colonel Bradley est fort mécontent de votre absence de résultats et de rapports. Pas plus tard que l’autre jour, nous avons parlé de vous passer en cour martiale devant un brunch de calamars grillés. »

Nous sommes en Irak, et plus particulièrement à Bagdad, durant l’occupation américaine. Saddam, pendu, n’est plus qu’un souvenir, mais les débauchés du Moukhabarat, son ancien service secret, n’ont pas perdu tout pouvoir. Un pouvoir que se disputent les Américains, l’armée du Mahdi de Moqtada Sadr, les anciennes forces spéciales de la Garde Républicaine, un imam fanatique et sadique déterminé à se présenter aux élections, sans compter factions et groupuscules de confessions diverses et trafiquants en tous genres.

On l’aura compris, on l’aura vu en suivant l’actualité depuis plus de quinze ans : Bagdad n’est rien d’autre qu’un semblant d’ordre en proie à un perpétuel chaos. Dans cette ville marquée chaque semaine par des attentats et sillonnée par des bandes armées, Saad Z. Hossain met en scène une brochette de personnages aux destins convergents : Kinza, un irakien qui a tout perdu, famille comprise et son complice Dagr, économiste et mathématicien comme lui reconverti dans de multiples trafics ; Hoffmann, un marine américain vaguement trafiquant, semi-déserteur et semi agent spécial disposant de tous pouvoirs, Hamid, ex-tortionnaire de Saddam ; et enfin le Lion d’Akkad, un dément tueur en série qui n’est peut-être pas tout à fait coupable de ses crimes.

Dans cette ville de tous les dangers, beaucoup tournera autour d’une mystérieuse montre druze que tous convoitent et dont certains pensent qu’elle n’est qu’un mythe, une montre qui semble cassée mais produit un rythme que le mathématicien Dagr pourrait bien déchiffrer, grâce à sa passion pour la cryptographie et la stéganographie, et sa bonne connaissance d’Al Kindi, célèbre mathématicien du neuvième siècle.

« Puis il donna à Hoffmann un gros téléphone satellite permettant de contacter directement le pilote de l’hélicoptère d’attaque Apache AH 64-A réservé au colonel Bradley, lequel appareil était prétendument équipé de canons de mitrailleuses plaqués or et d’un bar à whisky dans la cabine arrière. »

Reste qu’il est bien difficile pour le mathématicien et son complice, pourchassés par un groupe de fanatiques qui veulent leur peau et pire encore, de trouver un moment pour se poser. Sans parler du fait qu’ils sont eux aussi du genre plutôt rancunier, et qu’après avoir fait la rencontre d’une poignée de sorcières et d’un individu enfermé dans une bibliothèque secrète depuis une vingtaine d’années, ils décident, de manière tout à fait suicidaire, et façon « horde sauvage » de Sam Peckinpah, d’attaquer l’armée privée d’un mollah qui a fait torturer un de leur amis. C’est dire qu’il y a un temps pour l’étude, et un temps pour la vengeance. Contre toute attente, ils parviendront à s’en tirer – pour découvrir qu’ils ont encore bien d’autres factions à leurs trousses.

Pour décrire au mieux l’ambiance d’une ville où tout se résout par les explosifs et les munitions, l’auteur s’est assez soigneusement renseigné sur les armes. Hélas, après un long sans faute il finit par trébucher sur un détail basique, imaginant à plusieurs reprises l’hélicoptère d’assaut Apache AH 64 emmener trois personnes et pourvu d’un siège à côté du pilote, alors qu’il s’agit d’un appareil strictement biplace, avec pilote et mitrailleur disposés en tandem. Mais on lui pardonnera cette maladresse, tout comme la liberté qu’il prend avec le personnage historique d’Avicenne (dont il s’excuse dans ses notes finales, avant d’achever son ouvrage par une note de remerciements sarcastique qui n’est pas sans évoquer celle par laquelle Rui Zink termine « L’Installation de la peur », également aux éditions Agullo), dans la mesure où le rythme est tel que l’on n’est pas vraiment porté à prêter attention à chaque détail.

« De chaque jarre montait une vibration presque imperceptible, un susurrement d’ailes de guêpes allant toujours en s’amplifiant. »

Beaucoup d’Histoire, beaucoup de poudre et d’artillerie, donc. Pour autant, la note fantastique est loin d’être secondaire dans ce roman qui n’en est pas à une menace trouble près, pas à une ambiance inquiétante près. Ce ne sont pas seulement Sabeen, l’empoisonneuse-séductrice à la solde d’un Avicenne, alias Ibn Sina, né durant l’été 980 mais toujours bien vivant, ou la secte très fermée et cryptiques des Druzes et de leur roi Al Hakim, traçant un chemin secret et mystérieux depuis des millénaires, ou le docteur Sawad et ses successeurs, dont les travaux à la Frankenstein semblent établir un pont impossible entre la génétique la plus moderne et les secrets de Jabir Ibn Hayyan, alias Geber, né avant Avicenne, mais aussi d’autres magies encore, insondables, incompréhensibles, non pas des djinns ou des fantômes mais des âmes, peut-être, enfermées dans des jarres, des magies suffisamment inquiétantes pour laisser entendre que les plus grands pouvoirs ne sont pas forcément ceux des technologies les plus sophistiquées..

« Votre prof, votre banquier, l’agent de recouvrement, le flic, l’armée. Tous disparus. Vous ne comprenez pas ? On est libres. Terminé les promotions, les régimes de retraite, fini le hamster et sa putain de roue ! Je vais jouer du lance-roquettes en plein centre-ville. On va siffler la fin de cette saleté de match. »

Si la température a déjà monté très fort à plusieurs reprises, Saad Z. Hossain, entre magies, complots, retournements d’alliances et surprises diverses, est décidé à jouer les énervés jusqu’au bout. Son final, il le construit à la manière hollywoodienne, avec infiltration par nos personnages jusqu’au boutistes d’un quartier de Bagdad transformé en forteresse et défendu à la fois par des mercenaires, des fanatiques et des anciens du Moukhabarat. Mais, contre un ancien tortionnaire décidé à en finir en beauté, un Lion d’Akkad qui ne veut plus reculer, un Kinza qui veut mettre un point d’orgue à toute cette histoire, un prof de maths de plus en plus agacé, une sorcière, un américain dément et une mitrailleuse « dont les canons étaient une telle drogue que l’hélico de combat finissait presque toujours par tuer tout le monde », pas sûr que les plus nombreux et les plus infâmes aient vraiment toutes les chances de l’emporter. Une scène surréaliste d’anthologie viendra agrémenter une symphonie guerrière survoltée entre toits et ruelles, où l’on plombe et dézingue sans faiblir jusqu’à ce qu’il ne reste plus – ou presque –  que cendres et poussière.

Inutile de le préciser : le lecteur aura avalé les trois-cent-soixante-dix-pages de « Bagdad, la grande évasion !»  sans s’ennuyer une seconde. Tout à tour horrifié, fasciné, effaré ou séduit, il aura arpenté en long et en large, de jour et de nuit, un Bagdad en partie réaliste et en partie imaginaire. La ballade, même si elle n’est pas de tout repos, en aura valu la peine. Après les éditions Piranha, qui ont offert il y a peu aux lecteurs francophones un « Frankenstein à Bagdad » oscillant lui aussi entre réalisme et fantastique, et avec lequel ce roman a plus d’un point commun, « Bagdad, la grande évasion !», apparaît comme une belle découverte et une publication originale pour les éditions Agullo.

Zaad S. Hossain

Bagdad, la grande évasion !

Traduit de l’anglais (Bengladesh) par Jean-François le Ruyet

Les éditions Agullo sur eMaginarock :

« L’Installation de la peur », de Rui Zink

http://www.emaginarock.fr/linstallation-de-la-peur-rui-zink/

« L’Organisation » de Maria Galina

http://www.emaginarock.fr/lorganisation-maria-galina/

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