Rêveur, ce guide décrit une cité maintes fois évoquée par Lovecraft mais à peine esquissée, inconnue. En dépit des graves conséquences qu’il eut pour ses auteurs, nous publions l’ouvrage tel quel. Aussi, si tu commences à rêver de Kadath, à arpenter ses rues, à visiter ses temples, à rencontrer ses habitants, méfie-toi, lecteur, ton équilibre mental est en danger!
Les éditions reprenant, illustrant, exploitant l’oeuvre du maître Lovecraft sont légion et toutes ne sont pas indispensables, exception faite des écrits mêmes de l’auteur. Les vrais connaisseurs de Lovecraft savent d’ailleurs juger très vite si la lecture de tel ou tel ouvrage saura leur apprendre quelque chose de plus ou pas. Avec Kadath, le guide de la cité inconnue, la magie est bel et bien présente. Si se promener dans les rêves, les visions et les cauchemars de H.P. Lovecraft est à la fois une aventure et un traumatisme littéraire pour beaucoup, leur mise en image et en texte relève du défi. Cette épreuve qui en effraierait plus d’un, même un thésard ayant consacré des années d’études à l’oeuvre du maître, les éditions Mnémos l’a réussie avec un brio qui force l’admiration.
De prime abord, le livre est déjà séduisant : un grand format, des pages couvertes jusque dans les marges, une reliure cartonnée, une illustration de couverture énigmatique et prometteuse, oeuvre de Nicolas Fructus, un papier épais et une qualité d’impression devenue rare.
Ce guide initiatique de Kadath l’inconnue, cité à la croisée des contrées du rêve, propose au lecteur aguerri de visiter la ville qui hanta H.P. Lovecraft et ses écrits, ce lieu à la limite de la conscience qui reflète à la fois les peurs et les fantasmes d’un homme mais aussi l’imaginaire commun à tous les hommes. Une cité qui ressemble à un labyrinthe aux mille merveilles et aux mille pièges, emplie d’habitants qui peuvent ressembler à nos proches, nos voisins, des passants, des inconnus, des créatures de l’ombre prêtes à bondir sur le visiteur imprudent, des lieux mystiques qui vivent dans la mythologie de Lovecraft comme dans l’ensemble des mythologies et donc dans les croyances païennes devenues mondes de l’imaginaire et du fantastique, des êtres de légende, bienveillants ou malveillants mais toujours avides et trop séduisants… Tout est là, tout est disséqué par les auteurs talentueux de ce guide unique en son genre.
A travers quatre personnages attachés à Kadath par les écrits de Lovecraft ou les créateurs de ce livre, le Saigneur, Aliénor, l’Innomé (ou Lovecraft lui-même tel qu’il se voyait en rêve) et Carter, on peut donc arpenter la cité mystérieuse et tenter d’en percer les mystères.
Guide est le terme approprié puisqu’il est suggéré au lecteur, dans des encarts en marge des pages ou en fin d’ouvrage, des lieux de villégiature, de repos, de restauration au même titre que les endroits à éviter car peuplés de danger comme les Shantaks, animaux gardiens, le climat ambiant, la monnaie utilisée sur place… On a aussi accès à des repères fantasques tels que les offrandes à faire en chaque occasion et les lieux où en faire l’acquisition, les fondements de l’économie ou de l’administration de Kadath. Toutes ces découvertes « touristiques » sont titrées par genre, folies ou mythes, et classées par ordre de grandeur dès lors qu’il s’agit de les comparer entre elles : pour les folies, le 0 est sans danger aucun et le 5 est mortel ; pour les mythes, le 0 est la connaissance qui ne causera aucun dommage et le 5 est le fascinant, le plus proche du l’onirique absolu.
Kadath ou pas Kadath ? Ce sera au lecteur de décider de tout. Par quel chemin arpenter la cité, quelles découvertes privilégier ? Le choix est ouvert car l’ouvrage est construit comme la cité, en une sorte de labyrinthe amusant et fascinant. Pour être plus précis : le lecteur peut parcourir ce livre suivant plusieurs axes différents. Le chemin auquel invite chacun des quatre personnages est différent et mêlé à celui des autres. On peut ainsi choisir de ne suivre le parcours que d’un des personnages à la fois et donc sauter des pages pour ne s’attacher qu’à ses pas et son point de vue mais on peut aussi choisir de lire une page après l’autre, mêlant dans notre esprit les points de vue de chaque personnage sur un même lieu, une même rencontre. Le jeu est infini et respecte le monde de H.P. Lovecraft avec superbe. Le méandre est omniprésent et son fil conducteur est la force de la curiosité qui aide le lecteur à traverser les représentations et extrapolations tirées des rêves écrits par Lovecraft : quels en sont les lieux, les personnages marquants, les raisons de son attrait ? Toute parcelle trouvée dans les récits de H.P. Lovecraft est étirée, décryptée pour donner naissance à une image à la fois globale et détaillée, une carte. Et ce ne fut sans doute pas chose facile pour les auteurs tant il est certain que H.P. Lovecraft demeura vague sur le sujet, se contentant d’esquisser une vision qui devait être si claire pour lui mais condamnée à rester floue pour ses lecteurs. La colline du songe premier, les goules, la carrière aux merveilles, la tour souterraine des Shantaks, le gouffre intérieur, la nécropole des bâtisseurs, l’autel des puissances, la pyramide noire, le souk des horreurs, la cité sans nom, la tour du saigneur… Depuis les souterrains jusqu’aux plus hautes collines, les Eminences, et vers le port du Bout du Monde, le lecteur explore enfin la cité de Kadath avec des compagnons de route dont il peut croiser les mots et les visions pour obtenir une image tangible de Kadath l’impalpable.
Aussi précieuses que les mots, les images de Nicolas et Alexis Fructus invitent à l’émerveillement et au frisson. Pleines pages, esquisses, brouillon, cartes vues du ciel, dessin des rues, l’ensemble est harmonieux, tout en teintes voguant entre noir, gris, bleu, blanc, bruns, montrant ici un lieu, ici un habitant, ici le conteur de la page, ici une créatures à éviter, là l’inquiétante silhouette d’une divinité crainte et adorée de Kadath, là l’obscure périple que représente l’exploration des souterrains ou le vertige d’une montée vers un château, sur une des Eminences… Posées sur des pages déjà colorées d’un gris-brun qui leur sert de cadre, ces illustrations sont invitation, indices et curiosité visuelle tout à la fois.
Travail étonnant, atypique et génial, ce guide de Kadath est né des connaissances expertes de Raphaël Granier de Cassagnac, de David Camus, de Mélanie Fazi, de Laurent Poujois, de Raphaël Gazel, de Frédéric Weil, de la créativité plastique de Nicolas Fructus et bien évidemment de l’imagination incomparable de Howard Phillips Lovecraft.
Kadath, guide de la cité inconnue
Collection Ourobores
Illustration Auguste Philistin alias Nicolas Fructus
Editions Mnémos
Parution 18 novembre 2010
36 €