Je suis la reine et autres histoires inquiétantes – Anna Starobinets

Je suis la reine [500 large]Le recueil démarre fort avec Les Règles, ou la dérive d’un enfant à travers la lourde pathologie psychiatrique des troubles obsessionnels compulsifs. Mais certains évènements  viendront conforter sa folie jusqu’au drame, ouvrant cette fissure improbable, inattendue, ambiguë, par laquelle s’introduit – peut-être –  le fantastique. À la fois brève, percutante et glaçante, cette première nouvelle ne manque pas de secouer le lecteur.

Plus classique, mais parfaitement cauchemaresque, La Famille  met en scène, dans le tableau de la perte des repères et de la confusion, ou peut-être d’un réel qui obstinément fluctue, les errances d’un individu cherchant en vain son identité.

Dans J’attends , tout commence par quelque chose qui moisit dans le frigo. Et qui ne fait peut-être pas que moisir. Nous ne dévoilerons pas le contenu au lecteur : qu’il sache seulement qu’après un départ évoquant de classiques horreurs lovecraftiennes, cette nouvelle se révèle en définitive fable douce-amère, tableau, une fois encore ambigu, de l’altérité et de la folie.

L’Agent , nouvelle variation de récit sur le récit, met en scène un narrateur qui souhaiterait être écrivain mais doit se contenter d’exécuter les scénarii qu’il reçoit. Conte spéculaire, exploitant avec habileté le thème du double (double du narrateur et double du récit) et la mise en abîme, L’Agent  apparaît comme une variation noire et astucieuse sur des procédés classiques.

Métamorphoses encore avec la nouvelle donnant son titre au recueil, mais aussi parasitisme au sens biologique du terme, avec un animal peut-être finalement plus intelligent, sinon plus manipulateur que l’homme lui-même. Pas ici d’ambigüité à la Franz Kafka, mais une horreur de plus en plus explicite qui, si elle commence elle aussi avec des aspects relevant de la psychopathologie, révélera in fine une abomination bien réelle. Un exercice sans aucun doute périlleux sur le plan de l’écriture, car une telle thématique aurait pu tirer la nouvelle vers le fantastique bas de gamme des métrages sans finesse ou gratuitement horrifiques. Mais ce récit – le plus long du recueil –est sauvé par une construction astucieuse et une progression sur une très longue durée, avec nombre de détails qui prennent sens ou trouvent développement des années plus tard,

Avec L’ Eternité selon Yacha, Anna Starobinets vient terminer ce volume dans un même univers urbain, dans les mêmes prisons ou impasses familiales et professionnelles (il fallait inventer ce praticien épousant des insuffisantes cardiaques mourant à tour de rôle ) dans cet univers sans futur et sans issue, ou un individu se réveille un matin sans pulsations cardiaques et continue à vaquer à ses occupations – ou tout au moins à essayer –  après avoir été déclaré mort. Un individu dont l’étrange destin sera, à sa manière, de survivre éternellement jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul homme sur terre. Mélange de désespoir de poésie, moins pessimiste pourtant, et moins férocement sinistre que les autres nouvelles, L’Eternité selon Yacha  clôt le recueil sur une note douce-amère.

À l’évidence, Anna Starobinets a lu, compris, et assimilé les classiques de ce fantastique noir et sobre qui s’est développé au long du vingtième siècle. En une demi-douzaine de nouvelles, et avec une économie de moyens qui n’est pas sans évoquer certains récits de Richard Matheson, elle entraîne le lecteur sur les frontières troubles de la psychopathologie et du fantastique. Usant d’une prose fonctionnelle et discrète, mais surtout efficace, elle  développe, sur arrière-fond  d’urbanisme froid, grisâtre, sans âme, et parfois déliquescent, un éventail de terreurs anciennes et modernes qui, sans révolutionner le genre, apparaît de très bonne tenue.

Anna Starobinets

Je suis la reine et autres histoires inquiétantes

Traduit du russe par Raphaëlle Pache

Couverture : Ekely / Sean Habig

 

Les éditions Mirobole sur eMaginarock :

La chronique des « Furies de Boras »

 

 

 

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