Blanche – Hervé Jubert

Je connaissais Hervé Jubert de nom, ayant d’ailleurs certains de ses romans dans ma PAL, mais je dois avouer que c’est avant tout la superbe couverture de cette intégrale, signée Alexandra V. Bach, qui m’a donné envie de me plonger dans sa trilogie Blanche. L’auteur nous emmène ici dans un Paris de la fin du XIXe siècle agité qui voit, au siège des Prussiens, se succéder l’épisode de la Commune… Si nous ne sommes pas dans un livre d’histoire romancé, force est de constater que l’auteur a su parfaitement utiliser des éléments de notre histoire pour donner du relief à son récit ; la petite histoire s’imbriquant alors fortement et parfaitement dans la grande. Aux côtés des références historiques, les lecteurs découvriront également de nombreuses références culturelles, artistiques ou des références à des découvertes scientifiques, certaines étant encore à leur balbutiement.

Mais ce qui fait le charme de cette trilogie, c’est avant tout ses deux protagonistes forts et, chacun à leur manière, attachants que nous apprenons à découvrir au fil de leurs aventures : Blanche, une jeune fille de dix-sept ans, et son oncle commissaire de police, Gaston Loiseau. Très proches l’un de l’autre, Blanche est un peu la fille spirituelle de Gaston duquel elle a hérité un certain sens de la déduction et une forte appétence pour les intrigues policières. Deux caractéristiques qui ne siéent guère à une personne de son rang, mais que son oncle tend à encourager sur le plan intellectuel et à décourager quand il s’agit d’impliquer sa nièce physiquement dans ses enquêtes. Une attitude contradictoire qui ne découragera pas Blanche de se lancer dans les enquêtes qui suscitent son intérêt. Il faut dire qu’en avance sur son temps, elle refuse de se cantonner aux tâches que la société de l’époque juge acceptable pour une femme. Enquêter, interroger des témoins ou encore assister à des dissections lui sont interdits ? Pas de souci, il lui suffit de faire ça discrètement !

C’est d’ailleurs un point qui m’a parfois frustrée. L’auteur a, en effet, fait le choix original de nous proposer un duo qui n’en est pas vraiment un. Gaston évoque régulièrement ses enquêtes devant sa nièce, qui le harcèle bien souvent de questions, sans pour autant lui donner toutes les informations afin de protéger sa “sensibilité”. Quant à Blanche, si elle aide son oncle, elle le fait en toute discrétion de manière à ce qu’il ne découvre jamais l’étendue de son implication. J’aurais, pour ma part, adoré voir ce duo d’enquêteurs travailler main dans la main, mais contexte historique oblige, cela aurait probablement manqué de crédibilité… À noter que l’auteur n’a pas non plus oublié de doter sa trilogie de personnages secondaires hauts en couleur qui mériteraient de revivre sous sa plume dans d’autres aventures. Je pense notamment à l’un des collègues de Gaston, Arthur Léo, qui essaie de moderniser les méthodes d’investigation de la police française ou à Émilienne, la meilleure et seule amie de Blanche, qui ne manque pas de fougue…

Les trois tomes, bien que différents les uns des autres en termes d’intrigue, partagent des points communs comme celui de nous mettre sur la piste de tueurs ayant un certain panache et sens de la mise en scène. L’auteur nous propose, en effet, des tueurs atypiques qui ne manquent pas d’originalité dans leur manière de tuer ou de marquer le corps de leurs victimes. Je rassure néanmoins les âmes sensibles, il ne tombe pas non plus dans le gore et la profusion d’hémoglobine même s’il n’est pas avare en détails morbides. Il y a indéniablement un côté assez théâtral dans le style de Hervé Jubert qui se perçoit d’ailleurs dès les premières pages de chaque tome. Il commence ainsi chacun d’entre eux avec une scène énigmatique et marquante qui happe tout de suite l’attention des lecteurs. Mais ce n’est qu’en suivant les protagonistes dans leurs enquêtes que ces scènes finissent par s’éclairer, et nous prouver que l’auteur a un véritable talent pour nous offrir des intrigues complexes et riches dont il est bien difficile de dénouer les fils.

En conclusion, portée par une jeune fille intelligente et pugnace que l’on voit devenir femme et un commissaire qui a dédié sa vie à son travail, cette trilogie ravira les amateurs d’enquêtes complexes qui s’ancrent dans un contexte historique réel tout en flirtant, même si ce n’est que légèrement, avec le fantastique. La plume fluide de l’auteur et l’alternance de chapitres courts apportant un dynamisme certain au récit devraient, quant à elles, convaincre les plus récalcitrants à se lancer dans ce pavé qui vous offrira de belles heures de lecture.

Cette intégrale comprenant les trois tomes de la trilogie (ainsi qu’une nouvelle), je vous propose une chronique plus détaillée de chaque intrigue.

  • Tome 1 : Blanche

Ayant raté le train conduisant sa famille en province à l’abri des Prussiens bien décidés à assiéger Paris, Blanche ne reste pas désœuvrée et aide son oncle, commissaire de police à résoudre son enquête. Celui-ci est, en effet, confronté à la mort d’un homme portant un étrange tatouage… Une enquête qui se révélera pleine de mystère et qui sera l’occasion rêvée pour Blanche de mettre ses talents d’enquêtrice au service de la justice. Mais en toute discrétion puisque même si Gaston aime que sa nièce joue au détective, il ne tient pas à la mettre en danger. Ce sont donc deux enquêtes en parallèle que nous suivons, celle officielle du commissaire et celle, officieuse de son intrépide de nièce. Et je dois dire que l’enquête de Blanche m’a bien plus intéressée, son oncle ayant tendance à stagner notamment en raison de certaines certitudes qui l’empêche d’aller plus loin que les apparences. A l’inverse, Blanche ne néglige aucune piste et n’adhère pas à la thèse soutenue par son oncle. Celui-ci est, en effet, persuadé que le meurtrier est un apprenti de 14 ans que toutes les preuves désignent comme coupable. Néanmoins, comme Blanche, le lecteur comprend très vite que son seul tort est d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment… Devant cette évidence, l’entêtement de l’oncle Gaston ne peut qu’agacer d’autant que la vie d’un innocent est en jeu. Rappelons qu’en 1870, la peine de mort n’est pas qu’un lointain et honteux souvenir. Blanche prend heureusement à cœur d’innocenter Victor et d’en profiter, au passage, pour mettre en application toutes les connaissances scientifiques et d’investigation qu’elle a acquises au fil des années. Elle m’a d’ailleurs impressionnée par sa capacité à se jeter dans la mêlée pour collecter les indices et à assembler des informations, à première vue, disparates. Ses connaissances lui seront certes utiles, mais il lui faudra néanmoins requérir l’aide de tierces personnes que ce soit de manière indirecte comme avec l’oncle Gaston ou de manière plus directe avec sa grande amie Émilienne, un photographe en quête d’actions, un chirurgien…

Son enquête sera donc rythmée par des rencontres et des découvertes, certaines plus inquiétantes que d’autres. D’ailleurs, j’ai adoré la petite mention de l’auteur à un célèbre tueur en série qui défraiera la chronique de l’autre côté de la Manche. Hervé Jubert n’hésite pas non plus à faire une petite incursion du côté de la magie noire et de l’occultisme conférant ainsi à son récit un côté ésotérique et une noirceur qui raviront les amateurs du genre. Les mélomanes devraient, quant à eux, apprécier les multiples références à un opéra que je confesserai ne connaître que de nom. C’est peut-être mon seul point de frustration ! Je pense que connaître cette œuvre apporte une tout autre dimension à ce récit mené d’une main de maître par l’auteur, à moins que ce ne soit par Blanche. Avec cette jeune fille à la détermination inébranlable, il est quelque peu difficile de déterminer qui mène vraiment la danse.

Enfin, si l’enquête se révèle très intéressante en soi et permet de constater, une fois de plus, que les apparences sont parfois trompeuses, le contexte historique dans lequel elle se déroule revêt également une certaine importance. Nous sommes ainsi complètement immergés dans ce Paris de 1870 en état de siège avec des conséquences directes pour l’enquête de Blanche et de son oncle : moyens financiers et humains limités, désorganisation des forces de l’ordre et de l’autorité politique… C’est donc un huis-clos à la taille de Paris que Hervé Jubert nous propose, une idée aussi originale que plaisante. Sans nous donner un cours d’histoire ou s’appesantir dessus, l’auteur évoque également, en filigrane, les conséquences de cet état de siège dans la vie des Parisiens : isolement pour ceux qui n’ont pas pu ou voulu fuir Paris, bombardements, pénurie alimentaire et alimentation de substitution peu ragoûtante, menace d’une famine, évolution des moyens de communication et de transport, velléités de révolutionner l’ordre établi avec notamment les Communards…

  • Tome 2 : Blanche et l’Œil du grand khan

Alors que je me suis plongée dès les premières lignes dans le premier tome, j’ai éprouvé quelques difficultés à m’immerger dans cette deuxième aventure. J’ai, en effet, eu le sentiment que l’histoire était un peu confuse ou, du moins, qu’elle était un peu plus difficile à appréhender… Si j’ai retrouvé le même plaisir à lire la prose de l’auteur, je n’ai donc pas tout de suite ressenti la même excitation à suivre le déroulement de l’enquête ou plutôt des enquêtes. Celles-ci mèneront Blanche et son oncle sur la piste d’un bijou volé supposé détenir un dangereux pouvoir et sur les traces d’une organisation criminelle dont les chefs se font, un à un, décapiter.

Comme dans la précédente aventure, Blanche et Gaston Loiseau suivent chacun leurs propres pistes puisque le commissaire ne tient pas à impliquer sa nièce dans ses affaires criminelles. C’est d’ailleurs toujours aussi amusant de voir à quel point il sous-estime non pas son intelligence, mais sa capacité à affronter des situations dangereuses et difficiles. Loin d’être la jeune fille innocente que sa famille imagine, Blanche continue ainsi à impressionner le lecteur par sa témérité et son intelligence. Cependant, j’ai trouvé que dans ce tome, elle mettait un peu de temps à vraiment s’approprier l’enquête, un peu comme si elle était absente. Cela s’explique, entre autres, par sa désagréable rencontre avec une reine de l’hypnose que je vous laisserai le plaisir de découvrir. Étant intéressée par cette pratique, j’ai apprécié que l’auteur l’utilise dans son intrigue d’autant que ce n’est pas si courant que cela en littérature. Au-delà de l’hypnose qui a maintenant fait ses preuves, une pratique un peu plus ésotérique, le magnétisme, viendra faire immixtion dans l’enquête. Si on ajoute à cela un soupçon de fantastique, on peut dire que l’auteur a réussi à nous proposer une intrigue auréolée d’un certain mystère, et qui ne manquera pas de stimuler l’imagination des lecteurs.

A noter également que l’amour va faire son entrée dans la vie de notre jeune enquêtrice. Est-ce que son prétendant va, lui aussi, prendre sa dulcinée pour une douce jeune fille un peu originale ou, au contraire, va-t-il se rendre compte de son amour des enquêtes policières et la soutenir dans sa passion ? Quoi qu’il en soit, Blanche, fidèle à elle-même, ne se laissera pas distraire par ce béguin qui pourrait d’ailleurs se révéler parfois utile… J’ai apprécié que cette histoire d’amour naissante ne transforme pas une fille intelligente en une parfaite nunuche. Et puis, je dois reconnaître que la romance reste très en retrait par rapport aux investigations de Blanche et de son oncle, ce qui n’est pas pour me déplaire.

En ce qui concerne Gaston, comme Blanche, je l’ai trouvé un peu moins percutant dans son enquête, mais il faut bien avouer que l’auteur l’a plongé au cœur d’une intrigue complexe dont il est bien difficile de démêler les fils. Hervé Jubert n’hésite pas à malmener son enquêteur qui, en s’attaquant à une puissante organisation criminelle implantée clandestinement en plein Paris, va finir par se retrouver dans une position fort délicate… Plus que jamais, le soutien de sa nièce se révélera indispensable, car si Blanche ne brille pas en début de récit, elle se rattrape par la suite et nous prouve de nouveau ses talents de détective.

Enfin, le contexte historique du récit est encore très bien exploité puisque l’on se retrouve dans le Paris d’après le siège des Prussiens et l’épisode de la Commune qui ont laissé de profondes séquelles dans la ville et dans le cœur des habitants. Une proche de Blanche en subira d’ailleurs les conséquences…

  • Tome 3 : Blanche et Le Vampire de Paris

Dans ce dernier tome, Gaston est aux prises avec un tueur énigmatique et insaisissable qui a l’étrange manie de laisser ses victimes exsangues ! Mais cette bizarrerie n’est pas la seule puisque l’on découvre une signature assez atypique : une sangsue logée dans le nombril des victimes.

Ce tueur, surnommé Le Vampire de Paris, va défrayer la chronique et susciter l’intérêt d’un reporter américain fouineur dont les articles seront un peu un pied de nez à la police… Enjoints à résoudre cette enquête au plus vite par leur supérieur, Gaston Loiseau et son collègue fraîchement promu, Arthur Léo, ne ménageront donc pas leur peine bien que leur avis quant à l’identité du tueur finisse par diverger. Il en ira de même pour les méthodes d’investigation puisque Gaston n’hésite pas à utiliser des stratagèmes à la limite de la moralité pour attraper le tueur, ce que n’approuvera pas Léo… Pour ma part, j’ai aimé découvrir un commissaire alerte, vif et prêt à tout pour mettre derrière les barreaux ce tueur démoniaque, ou fou, à moins que ce ne soit les deux. L’auteur se plaît à plonger les lecteurs dans un récit baigné de mystère en les laissant douter, un certain temps, de la nature fantastique ou non du tueur. En me fiant aux deux tomes précédents et à leur tonalité, je me suis assez vite forgée une opinion qui s’est d’ailleurs avérée exacte. Cela ne m’a néanmoins pas empêchée d’aimer cette ambivalence qui rend la lecture prenante et haletante même si cette fois, j’ai finalement assez vite deviné l’identité du Vampire de Paris.

En favorisant l’action et le suspense et en limitant les descriptions, l’auteur immerge complètement ses lecteurs dans ce troisième tome qui, pourtant, ne laisse pas forcément une grande place à son héroïne. Blanche, maintenant âgée de 20 ans, va vivre un événement majeur qui va changer sa vie, ce qui la conduit à être un peu en retrait dans cette dernière aventure. Je vous rassure, Blanche reste Blanche c’est-à-dire une femme curieuse et intelligente qui ne résiste pas à l’envie d’élucider les mystères que la vie peut mettre sur son chemin, à l’instar de Camille. D’une grande beauté, cette blanchisseuse, supposément analphabète, va requérir son aide pour lire une lettre qui lui est adressée et dans laquelle, un homme lui fixe un rendez-vous. Cette première rencontre sera suivie d’autres puisque Camille semble être liée à une enquête qui, en plus d’intéresser son oncle, retient toute l’attention de Blanche. Le personnage de Camille est intéressant, car assez contradictoire : alors que la jeune femme est décrite comme assez naïve et frêle, le lecteur ne peut s’empêcher de ressentir un certain danger émanant d’elle…

Si j’ai apprécié de voir Blanche évoluer dans sa nouvelle vie et utiliser ses connaissances scientifiques pour mener ses investigations, je n’ai pas retrouvé cette héroïne intrépide et un peu inconsciente, mais tellement passionnante, des débuts ! À la place, nous découvrons une femme dont le nouveau statut va, progressivement, la pousser à questionner certaines de ses attitudes passées et notamment ses prises de risques inconsidérées. Alors à défaut de nous époustoufler dans cette dernière aventure, Blanche gagne finalement en maturité et, dans une certaine mesure, en crédibilité…

Cette évolution du personnage, certes un peu frustrante, ne signe-t-elle pas finalement à la perfection la fin d’une épopée riche en enquêtes, en dangers, en rebondissements, en aventures, en amitiés et en mystères ?

Blanche
Hervé Jubert
ActuSF (2018)
880 pages
17.90€

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