Phobia : quelles sont les peurs que l’on peut éprouver ou rencontrer, les peurs les plus communes, mais aussi les autres ? Quatorze nouvelles pour cinq euros, une anthologie pour le prix d’un bock en terrasse, et dont l’achat apparaît de surcroît comme une bonne action, les bénéfices étant reversés à l’Association Européenne contre les Leucodystrophies, difficile de résister. Plutôt que d’écrire les yeux fermés qu’il y a du bon et du moins bon, comme on peut le faire de toute anthologie, nous avons préféré commenter brièvement chacune de ces nouvelles, les examiner comme autant d’indices, autant de pièces à conviction, et donner notre verdict pour chacun des suspects. Avec au final un bilan plus que positif.
Nicolas Beuglet “ Le Refuge”
Une randonnée en solo dans un parc naturel américain peut réserver bien des surprises. La nature y est enchanteresse, mais également impitoyable. Les évènements auxquels sera confronté le promeneur défieront l’entendement. Hélas, la narration n’est pas optimale. S’il est précisé en introduction que “ce témoignage étant extrait d’une lettre n’ayant pas vocation à être publiée, le titre et la mise en page sont le fait de l’éditeur”, les tirets cadratins placés n’importe où, le séquençage peu cohérent, une écriture qui manque de liant, un « deus ex machina » (l’épouse de l’auteur, dont il n’a jamais été fait mention préalablement, et qui n’a aucune raison d’être là) laissent rêveur. Restent tout de même une étrangeté spéculaire, un fantastique sibyllin, un trouble tenace qui finit par atteindre son but.
Verdict : mis à l’épreuve
Jean-Luc Bizien “Lésion fatale”
Jeu de mots pour le titre, noms invraisemblables, mais évocateurs, pour les protagonistes. Inutile de dire que le lecteur soupçonne rapidement quelque entourloupe métafictionnelle, et qu’il ne sera pas déçu. Potache ? Un peu. Mais il fallait tout de même y penser. Une nouvelle anecdotique et astucieuse, légère et plaisante, qui, en faisant sourire, atteint son but.
Verdict : acquitté
Armelle Carbonel “ Lis mes nuits ”
L’écriture d’Armelle Carbonel est incontestablement particulière. “Et je me réveille en sursaut, le buste projeté vers l’avant par l’impact de mon cœur bondissant. L’environnement me paraît familier, rassurant, sans toutefois conscientiser mon esprit.” Peut-on écrire ainsi ? “L’espace d’une seconde, mon courage manque se rétracter.” Est-ce vraiment fluide, même pour un lecteur qui n’est pas vraiment un puriste ? Est-il prudent de faire dire à sa narratrice “Entre deux pages, d’écriture vomitive, je fais couler un café”, au risque qu’un chroniqueur légèrement sarcastique s’exclame, d’accord avec l’auteure : “ c’est exactement ça !”. Ce serait à la fois facile, excessif, un peu injuste. Mais cette nouvelle essayant de mêler crime, littérature et psychiatrie n’atteint pas son but.
Verdict : reconvoquée pour un nouvel interrogatoire
Sonja Delzongle “Phobia”
Phobie de fin du monde pour Sonja Delzongle avec personnages et points de vue multiples pour une apocalypse crainte, rêvée, et partiellement annoncée. À la différence de la nouvelle précédente, “Phobia” est servie par une écriture particulièrement fluide et soignée. Hélas, la soumission inconditionnelle aux clichés-qu’il-faut-mettre-partout-peu-importe-qu’il-n’y-en-ait-pas-besoin, ce tic d’atelier d’écriture qui fait placer ici un couple d’homosexuels ou là une scène de ménage sans que cela n’ait aucun rapport avec l’histoire vient incontestablement gâcher une nouvelle qui, dépouillée de ses scories, aurait pu être très belle. Autre regret, une invraisemblance qui aurait pu être évitée – l’astronome étant la seule à comprendre qu’un astéroïde géant qui se dirige vers la terre risque de la détruire – vient hélas rompre la suspension d’incrédulité nécessaire. Une belle qualité d’écriture, mais un récit trop bancal pour convaincre.
Verdict : travaux forcés, du talent, mais condamnée à mieux faire
Damien Eleonori “De l’ombre à la lumière”
Il y a hélas en France une très forte et très douteuse tradition voulant que les anthologistes placent leurs propres rossignols dans les recueils dont ils ont la charge. On aurait tort, pourtant, de reprocher à Damien Eleonori d’avoir cédé à la tentation car son texte méritait d’être lu. Qui connaît cet étrange phénomène qu’est la paralysie du sommeil aura dès les premières pages l’attention attirée sur quelque mystère neurologique, puis l’oubliera, et se laissera manipuler. Une étonnante nouvelle entre thriller, psychiatrie et fantastique, qui garde une pleine cohérence et réserve une belle surprise.
Verdict : acquitté
Johana Gustawsson “Dans le ventre de la bête”
Une personnalité torturée et complexe, une lente bascule du policier à la psychiatrie. Nous n’en dirons pas plus pour n’en pas trop révéler au lecteur. Un récit joliment construit et qui fait mouche.
Verdict : acquittée
Nicolas Koch “ 1 + 1”
De la psychiatrie encore avec cette phobie des mathématiques portée à son plus haut degré, une affection incurable qui est vécue comme une malédiction et exposera sa victime à d’autres déboires encore. Une histoire qui flirte avec l’abominable.
Verdict : acquitté
Mickaël Koudero “ La mort, tout le temps”
Belle plume encore avec Mickaël Kourdero qui transporte le lecteur dans les tranchées de la seconde guerre mondiale. Phobie de la mort, belle puissance d’évocation, visions de pans cauchemardesques d’un futur qui n’aura rien à envier aux bourbiers de 14. Seul regret, la mise en relation avec les attentats de novembre 2015 qui nous apparaît assez artificielle et pas entièrement cohérente – le récit n’en avait nul besoin. Une nouvelle qui donne en tout cas envie de lire d’autres œuvres de l’auteur.
Verdict : acquitté
Chris Loseus “ Du bruit au plafond”
Nous ne révélerons rien au lecteur. Belle, très belle phobie, et joliment décrite qui plus est. Mais fallait-il ajouter ce petit paragraphe explicatif en fin de nouvelle ? Ne valait-il pas mieux conserver une note de mystère ?
Verdict : acquitté
Ian Manook “Raymond”
Truculent et jubilatoire, ce récit sous forme d’un dialogue à multiples retournements de situation est mené d’un bout à l’autre de main de maître. Plus truand que moi tu meurs : savoureux, inattendu, achevé.
Verdict : acquitté
Eric Maravélias “Je t’aime à la phobie”
Récit d’un être perdu qui après une longue phobie des femmes en rencontre une qu’il aime trop. Un portrait crédible et un récit poignant pour une fin douloureuse.
Verdict : acquitté
Maud Mayeras “ Tue”
On est dans une époque de tolérance et de lutte contre les discriminations, une lutte dans laquelle le polar n’est pas en reste. C’est donc l’homophobie et ses ravages qui sont ici dénoncés, à travers un récit âpre et cruel dont l’originalité n’est pas le point premier mais qui néanmoins atteint sa cible. Non pas en un seul coup, mais à plein chargeur.
Verdict : acquittée
Olivier Norek “ Verdict”
Mention spéciale pour « Verdict », enième dénonciation des dérives télévisuelles et du voyeurisme morbide des spectateurs, mais originale et très réussie. Une très légère anticipation, un récit parfaitement construit qui laisse peu à peu deviner au lecteur ce dont il s’agit vraiment. Une vision noire de l’humanité qui se suffirait à elle-même, mais l’auteur a su, de surcroît, lui trouver une fin percutante qui en fait un récit « à chute » à plus d’un titre.
Verdict : acquitté, avec les honneurs
Niko Tackian “ Bisou”
Méfiez-vous des chats, surtout quand ils se mettent à sourire comme le chat du Cheshire, ils ne veulent pas forcément votre bien. Entre crime et vengeance féline, un récit noir du début à la fin.
Verdict : acquitté
Phobia
Anthologiste : Damien Eleonori
Auteurs : voir ci-dessus
Couverture : Sylvie Corriveau / Shutterstock
Editions J’ai Lu