Entretien avec Arthur, créateur de jeux de société

Bonjour, et merci de prendre quelques minutes pour répondre à mes questions. Pourrais-tu tout d’abord te présenter et nous expliquer comment tu en es venu aux jeux de société ?

Je m’appelle Arthur Choupaut. En fait, j’ai un peu passé ma vie dans le jeu. Mes parents jouaient déjà à Donjon&Dragons (le 1, même pas encore Advanced!) à l’époque de mes plus anciens souvenirs, et on m’a offert le JDR Star Wars D6 pour mes 10 ans. Je n’arrêtais pas d’emmerder mon grand-frère pour qu’il me fasse jouer à Guilde avec lui.
Avec mon frère et ma sœur, on inventait des nouvelles races jouables pour BloodBowl et on écrivait des scénari de JDR quand on était au collège.
Du coup mon premier jeu de société m’est venu aussi naturellement qu’il est sorti de nulle part. En 2010, l’atelier ALICE de Fontenay-sous-bois (fermé en 2012 pour cause de chasse aux sorcières et débilité anti-rôliste) avait décidé de publier un recueil de JDR en 10 pages dans le thème « rencontre avec l’autre ». En plaisantant sur le sujet que les uns et les autres allaient choisir pour leurs créations, je me suis lancé le défi de parler de la pêche au thon en méditerranée. Du coup j’ai créé « Thons Rouges Accross the Sea ». Un jeu de stratégie sur plateau, donc. Rien à voir avec le thème.
J’ai eu droit à une mention spéciale à la fin du recueil et mon surnom de Perthur a été entériné par les membres de l’atelier que mes créations perturbaient.
Par la suite j’ai créé d’autres jeux, dont Vacances Sibériennes, les Maçons de l’Apocalypse et Procrastination comme jeux de société.
J’ai créé récemment une page « Le tripot de pépère Perthur » sur facebook pour donner des nouvelles de ce que je fais à ceux que ça intéresse.

Tu es créateur de jeux. Pourquoi t’être penché sur la création de nouveaux jeux plutôt que de simplement explorer les territoires déjà découverts par d’autres ?

Je ressens un besoin physique de créer ce que je ne trouve pas. Côté musique j’ai découvert des auteurs qui me parlent complètement, mais côté univers, écriture, jeux… peu de ce qui me passe par la tête a trouvé un écho dans l’existant.
Je continue à essayer la plupart des choses qui me passent sous la main, mais maintenant que je suis un « adulte responsable » j’ai moins de temps à y consacrer.

Lorsque tu as une idée pour un jeu, comment procèdes-tu pour ton processus créatif ?

Déjà, pour moi, un jeu est un jeu. Pas un JDR, un jeu de carte, vidéo, ou que sais-je. Je lui choisis un format en fonction de l’expérience que je veux créer pour qui y jouera. Ensuite, je fais des recherches documentaires si besoin, et en parallèle je réfléchis à l’UX (User eXperience – Expérience utilisateur).
Je regarde si quelque chose que je connais correspond à ce dont j’estime avoir besoin pour mon jeu. Si rien de ce que je connais ne correspond, je crée un gameplay qui va dans le sens de ce que je veux. J’imagine qu’à chaque fois quelqu’un a déjà créé la même chose quelque part, mais ça me sera toujours plus rapide et facile de créer à partir de rien que d’aller à la pêche parmi l’existant.

Et justement, d’où te viennent tes idées de création de jeux ?

En général, ça me vient au détour d’une conversation, ou ça pope tout seul dans ma tête dans les moments où l’esprit est assez peu occupé par la réalité pour partir vrille. Aux toilettes, en se brossant les dents, sous la douche…
C’est peut-être très cliché, mais avoir une muse fait sens pour moi. Dans les périodes où je suis entouré de personnes que j’aime et grâce à qui je me sens bien, ces moments de créativité sont bien plus nombreux et donnent naissance à de bien meilleurs idées.

Tu n’as encore fait éditer aucune de tes créations. Pourquoi ?

En fait, il en avait été question à une époque. Avec un ami commercial, on avait commencé à monter un projet de petite maison d’édition qui publierait mes jeux de société dans un premier temps, puis ceux d’autres auteurs et du JDR si ça prenait (je cite : « tes jeux sont géniaux mais tu es nul pour en parler, je vais m’occuper de cette partie »).
Mais il a eu son premier enfant à la même période, et il n’était plus question pour lui de se lancer dans une aventure incertaine.
Depuis j’ai été crédité comme game designer sur le jeu Medelia que Pinpin Team a fait avec l’Institut du Monde Arabe, et j’ai eu une expérience dans un studio de serious games qui m’a permis de me faire des contacts dans le jeu vidéo. Mais ces expériences m’avaient fait perdre le goût de la création, et il n’était plus question pour moi de bosser à plein temps pour faire les jeux des autres en espérant devenir product owner en fin de carrière et enfin proposer les miens.
Du coup je suis parti dans une boite sans rapport avec le jeu, et j’ai recommencé à créer pour moi, en amateur.
Si à l’occasion d’un salon, d’une convention ou d’une soirée je rencontre un éditeur et qu’on s’entend bien, ce serait avec plaisir. Mais on m’invite encore aujourd’hui à venir à des soirées ou des conventions pour y présenter mes créations, et j’y joue avec mes amis.
Alors je ne ressens pas le besoin de faire des démarches auprès d’éditeurs. Toutefois je ne publie pas mes jeux de société sur mon site comme je le fais pour mes JDR, des fois que.

Plateau de Thons Rouges Accross the Sea

Pourrais-tu nous présenter le jeu sorti de ton crâne que tu préfères ?

De toutes mes créations, il y en a 2 qui se détachent mais ce sont des JDR. Galak est le jeu auquel je tiens le plus, parce qu’il s’agit d’un univers de space opera qui a commencé à se constituer quand j’étais adolescent et qui a mûri en même temps que moi. Je voulais écrire des romans dans cet univers (je veux encore), mais il m’était infiniment plus facile de créer un jeu. Par-dessus tout ça, c’est ce jeu qui m’a convaincu que j’étais capable d’écrire sérieusement. J’ai rédigé son livre de base quand j’étais au chômage, en écrivant 8 heures par jour entre 9h et 18h comme si c’était un « vrai travail ». Il s’agit de l’histoire d’une galaxie sur plusieurs millénaires, et à travers elle la construction d’une utopie démocratique. Les joueurs interprètent des personnages très différent selon les lieux et les périodes de l’Histoire du monde, les conflits politiques, religieux, idéologiques, etc. J’ai fait des scénar allant d’une enquête sur un réseau d’espionnage dans une planète dominée par la pègre à la libération d’un système au cours d’une guerre intersidérale, en passant par un huis-clos façon « le huitième passager » à bord d’une station spatiale de ravitaillement déserte.
L’autre jeu, c’est Elven Reich. Celui là, je dirais que c’est celui dont je suis le plus fier en terme de résultat. Il s’agit d’une satire du Donjon&Dragon auquel mes parents jouaient, tel qu’il serait si on le prenait au 1er degré pour créer l’univers et que celui-ci atteignait la révolution industrielle.
Tout comme DD1, le jeu est uniquement sur la forme, le livre de base ne contient donc que les règles (le fond étant contenu dans les suppléments). Elven Reich étant basé sur le roleplay, les règles prennent la forme d’une sorte de « loi de Nuremberg », et les joueurs créent leur fiche de perso faite comme des papiers d’identité sous l’occupation. Le Reich elfique a décidé de dominer le monde pour imposer « le bien et la justice », donc les personnages vont se voir limiter dans leurs alignements et classes en fonction de la race de leur personnage. En fait, j’en suis aussi fier pour ça : la simple lecture du livre de base m’est pénible et il m’est arrivé d’avoir la nausée après l’avoir maîtrisé. Avec ce jeu, je sais que j’ai les outils pour aborder des sujets très durs avec les joueurs et les confronter à ce que tout le monde préférerait éviter.
Mais comme c’est uniquement de la forme et que le fond ne dépend que du maître du jeu, j’ai pu le jouer façon pulp avec un scénar à la indiana jones qui combat les méchants elfes nazis quand j’ai eu à ma table des enfants avec qui je ne me sentais pas de traiter certains sujets.

Et quel est, parmi tous ceux auxquels tu as joué, ton jeu préféré, et pourquoi ?

Ça c’est une vaste question. Comme je suis un game designer chiant, je ne compare les jeux que par catégorie.
En jeu de stratégie/gestion, mon jeu préféré est Galactic Civilization (2 et 3) : système de développement technologique non linéraire, c’est dans l’espace, c’est pas un 4X chiant où éclater les autres est la victoire possible, c’est dans l’espace, il y a un outil de modélisation 3D pour créer tes propres vaisseaux, le système d’agencement des constructions sur les planètes est cool, c’est dans l’espace, les IA sont bien faites, et pour les trucs qu’ils n’ont pas fait en mieux c’est en gros comme le Civilisation de Sid Meyer. Et c’est dans l’espace !
En RPG, Planescape Torment, parce que c’est le plus unique et le meilleur jamais fait.
En JDR, les jeux de mes amis, mais on entre dans le domaine de la subjectivité la plus totale.
Autant il y a des JDR et des jeux vidéo vers lesquels je reviendrai toujours, autant je n’ai pas de jeux de société préféré. Il y en a beaucoup trop.

Plateau de Vacances Sibériennes

A l’heure actuelle il y a une centralisation de l’édition de jeux autour de deux grands éditeurs, chacun sur leur segment. Penses-tu que cela peut nuire à la création ?

Le monde du jeu fonctionne un peu de la même manière que ce soit pour les jeux vidéos ou les jeux de sociétés. Le secteur donne l’impression de s’être recentré sur peu d’éditeurs, mais en parallèle il y a une explosion sur internet des crowdfunding lancés par des auteurs qui permettent de publier des trucs sans avoir avec montrer patte blanche à qui que ce soit d’autres que ceux qui joueront.
En plus, il y a plein de gens qui comme moi créent des trucs et les présentent autour d’eux au fil de leurs pérégrinations. Peut-être que la créativité est moins visible depuis un regard extérieur à la « communauté », mais elle vit très bien toute seule, et je doute qu’un système de production puisse lui porter réellement atteinte. Au pire la forcer à créer aussi de nouveaux chemins de diffusion.

Que conseillerais-tu à ceux qui veulent se lancer dans la création de jeux ? Quelles sont les ficelles que tu leur donnerais pour réussir leur premier prototype ?

– Prendre suffisamment confiance en soi pour envoyer chier quiconque considère que ça ne sert à rien et qu’ils gaspillent leur temps. C’est d’autant plus difficile quand c’est quelqu’un qui tient beaucoup à toi qui te pousse à tout arrêter pour trouver un « vrai travail ».
– Trouver une activité alimentaire qui ne nuise ni à la créativité ni à la disponibilité pour créer. Ce n’est pas pour rien qu’il y a eu une césure de plusieurs années entre les premières versions de mes Maçons de l’Apocalypse et le dernier proto de mars 2018.
– Être sûr de bien faire la part des choses entre ce qui n’est pas négociable pour préserver ce que l’on veut créer, et ce qui pourrait être refondu/ajusté/supprimé.
Pour les protos, j’ai un cahier des charges simple : le jeu doit être facile et peu coûteux à produire, prendre peu de place pour que je puisse le trimballer n’importe où en transports en commun, et accompagné de truc en plus pour rajouter des éléments pendant les parties tests si elles ne sont pas concluantes.
Matériel peu coûteux et pratique : du papier, des coquilles de pistaches (un petit sachet de 100g à grignoter suffit pour récupérer plus d’une centaine de pions), des billets et des pions pillés dans des vieux jeux auxquels plus personne ne joue de toute façon.

Merci pour vos réponses et à très bientôt au détour d’un plateau de jeu !

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