Le Cœur du monde – Viggo Bjerring

Dans un futur proche.

L’éco-capitalisme a gagné du terrain et les algorithmes ont pris en charge une grande partie du travail. Mads est seul dans ce monde. Il est pigiste sur un portail en ligne où il enchaîne les petits boulots pour joindre les deux bouts. Enfin, il reçoit une mission importante : rédiger un thriller. Le livre devient un best-seller dès sa parution, mais lorsqu’il s’agit d’écrire le deuxième volet, le monde commence à s’écrouler autour de lui, littéralement. (quatrième de couverture)

Nous sommes dans un futur proche dont la lisibilité n’est pas exemplaire. Il est dit que la technologie y est en plein essor mais le lecteur n’y verra pas vraiment les signes de l’accélération technologique que nous sommes en train de vivre. Il est à plusieurs reprises question du développement, si ce n’est de l’avènement, d’un éco-capitalisme dont on ne sait pas grand-chose. Quoiqu’il en soit, ce futur-là n’est pas très différent de notre présent, et, à quelques détails près, l’intrigue  du Cœur du monde pourrait tout aussi bien se dérouler de nos jours.

Le héros de cette histoire, qui en est également le narrateur, apparaît comme un semi raté : il mange mal, se laisse aller, boit trop, dort trop, fume trop, surtout des hallucinogènes. Mais semi-raté seulement : si sa vie professionnelle n’est pas ce dont il aurait rêvé, il parvient à surnager grâce à Easyjobs.com. Des petits boulots à l’unité, de la rédaction, de la traduction, de la relecture. Il sait faire, il guette les propositions sur le site, il rend ses tâches dans les délais. Il est payé à la tâche, ce qui lui permet de ne pas couler, de payer son loyer. Enfin, presque. Un jour, il accepte ainsi la  relecture du roman d’un inconnu. Il fait le travail, corrige l’essentiel, mais ça ne le satisfait pas. Le roman est mauvais. Il l’affine, l’améliore, puis, comme sur un coup de folie, le réécrit entièrement. Ceux qui ont proposé la tâche ne semblent pas s’en étonner et le rémunèrent comme convenu. Il ne s’en émeut guère jusqu’au jour où il découvre que le roman est devenu un best-seller. Il comprend qu’il ne touchera cependant pas un euro de plus. Pas de souci : il recontacte l’auteur et lui propose d’écrire la suite.

La suite : elle ne sera pas, tout du moins en ce qui le concerne, ce qu’il imaginait. Le voilà parti sur un jeu de piste façon Dan Brown à la recherche de l’auteur, Magnus Aagård Svendsen, qui pourrait bien être lui-même une fiction. Un auteur dont le nom est étrangement proche du sien, comme s’il en était lui-même le pseudonyme. Ballotté d’un lieu à l’autre sur un mode agréablement feuilletonesque, le narrateur finira par trouver une vaste demeure qui semble osciller à la frontière de la réalité, et qui abrite dans ses sous-sol une extraordinaire machine organique, un cœur géant, le fameux Cœur du monde promis par le titre.

 

Nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur, si ce n’est que nous sommes – peut-être – dans une fiction façon Simulacron 3 (Daniel F. Galouye, 1964), adapté au cinéma sous le titre de Passé virtuel et grand ancêtre de Matrix et des mondes numériques. On pourra penser aussi aux quatre volumes du Demi-monde de Rod Rees, chroniqués sur ce site, ou aux plus récentes Instanciations de Greg Egan. Le questionnement – qui n’est pas seulement technique, mais métaphysique – repose sur la théorie de Nick Bostrom. Quand des éléments du réel ne semblent pas coller, nous pouvons être schizophrènes, mais nous pouvons aussi être des consciences artificielles dans un univers virtuel insuffisamment construit. Si nous sommes sans le savoir dans une simulation explique Bostrom, nous sommes capables d’y créer à notre tour d’autres simulations et ainsi de suite en poupées gigognes, ce qui fait qu’au total la somme de consciences simulées dépasse de très loin la somme de consciences organiques. Corollaire évident sur le plan statistique : la probabilité que nous soyons une conscience simulée est infiniment supérieure à celle que nous avons d’être un être humain réel. Une théorie vertigineuse plongeant nos personnages dans une angoisse qui n’est pas purement philosophique, car il se pourrait fort bien, si elle n’était pas simplement le fruit d’un délire, que ce monde – et par conséquent eux-mêmes – soit d’ores et déjà condamné.

Le roman se termine de manière ambiguë en laissant au lecteur la possibilité d’interpréter les aventures du narrateur à sa guise. Il s’agit en fait du premier tome d’un diptyque dont le second volume devrait réserver d’autres surprises. Une petite frustration, car ce Cœur du monde, si l’on exclut les pages de séparation entre les chapitres, atteint à peine deux cent vingt pages. La suite, Hjertets geometri (La Géométrie du cœur), pas encore traduite en français, faisant la même longueur de texte, on peut regretter que les deux tomes n’aient pas été rassemblés en un seul volume. Il sera donc nécessaire de lire La Géométrie du cœur pour se faire une opinion sur ce récit dont la première partie, entre thriller et mystère, apparaît suffisamment plaisante et rythmée pour que l’on ait envie de poursuivre l’aventure.

Titre : Le Cœur du monde
Série :
N° du tome :
Auteur(s) : Viggo Bjerring
Illustrateur(s) :
Traducteur(s) : Catherine Renaud
Format : Semi-poche
Editeur : Robert Laffont
Collection : Ailleurs et demain
Année de parution : 2025
Nombre de pages : 256
Type d'ouvrage : Roman

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Revenir en haut