Entretien avec Aurélie Wellenstein

Après avoir présenté Mers Mortes et Le désert des couleurs, voici un entretien avec l’auteure de ces deux romans remarquables.

Bonjour Aurélie, tout d’abord, merci d’accorder cette interview à eMaginarock. Ensuite, de grandes félicitations pour votre travail sur Mers Mortes et Le Désert des couleurs, deux très grands romans !

Vos deux romans sont difficilement classables dans un seul genre, même si nous sommes bien dans du fantastique. Personnellement, comment les classez-vous ?

Oui, en effet, ils sont plutôt hybrides, à l’intersection de différents genres. En général, pour les qualifier, je parle de romans d’imaginaire, dans son acceptation la plus large.

Quel est votre processus d’écriture ? Par quoi commencez-vous ?  

J’ai testé beaucoup de processus. Aujourd’hui, ce qui me semble le plus efficace pour moi est d’esquisser les grandes lignes d’un synopsis, en me laissant beaucoup d’espace pendant la phase d’écriture. Ce que je préfère, c’est quand le texte trouve son propre élan, les personnages leurs propres voix, et que l’histoire se construit dans le « flow », dans un état de transe légère. J’écris pour cette ivresse-là, pour cette énergie, que j’appelle « courir avec les loups » (en rapport avec ma lecture de Clarissa Pinkola Estés.) Après, construire un premier jet de cette façon demande énormément de retravail. En effet, la réécriture est colossale, très exigeante, parfois effrayante !

Vous avez une capacité à écrire des dialogues très réalistes, presque parlés et en même temps, vous utilisez un vocabulaire étoffé qui rend justement le texte très littéraire. Est-ce quelque chose de naturel ou que vous travaillez ? Quand vos personnages naissent, avez-vous tout de suite en tête leur façon de parler ?

Merci, c’est très gentil. En général, je « clame » les dialogues à voix haute. C’est une méthode efficace pour éprouver leur naturel et leur dynamisme.

Votre écriture est très poétique, parfois comique et dans l’ensemble incisive avec des descriptions très visuelles. J’ai eu tendance à voir naître dans ma tête des scènes animées. Quel rapport entretenez-vous avec l’image ? Est-ce que films/séries/animation vous inspirent ? Et si oui, pourriez-vous nous donner des exemples ?

C’est quelque chose de très important pour moi. Je suis attachée à la dimension « cinématographique » de mes textes. Je gère souvent mes descriptions par zoom ou travelling (description dans le mouvement du personnage). Je prends soin de décrire des couleurs, des éclairages, tout ce qui permettra au lecteur de visualiser l’action. Dans Yardam, par exemple, pour la scène où les personnages s’évadent de prison, j’ai visualisé plusieurs fois la fameuse scène du « couloir » dans Old Boy (c’est un plan séquence sur un combat, en long et lent travelling).

Il y a quelque chose de frappant dans ces deux romans, c’est votre rapport très fort au vivant et particulièrement aux animaux. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

J’aime les animaux depuis que je suis toute petite. Je suis effarée par la souffrance que nous créons sur cette Terre, en exploitant les animaux, y compris pour des divertissements abjects : la corrida, le cirque, les delphinariums etc. On nous enseigne l’idée que l’homme est un être supérieur, placé au sommet de la création, à l’image de Dieu, et pourtant l’histoire de l’homme est jalonné de guerres, génocides, viols, tortures… Il serait temps de rompre avec le modèle anthropocentré au profit d’un biocentrisme.

Mers Mortes est au final assez pessimiste même si vous glissez une lueur d’espoir à la fin. Quel est votre point de vue sur la crise écologique qui semble actuellement s’accélérer ?

Mers mortes, sous le couvert de son postulat SF (la « mort » des mers et des océans, et leur retour sous forme de fantômes vengeurs) ne fait que traiter des problèmes actuels : c’est maintenant que nous sommes en train de tuer notre environnement. Les mers et les océans ont une importance capitale dans l’équilibre de notre planète. C’est le moteur et le régulateur du climat. On parle souvent de l’Amazonie en tant que poumon vert de la Terre, mais l’océan en est le poumon bleu ! Nous massacrons les mers, les océans. C’est très sérieux. Ce n’est pas qu’une formule d’auteur de SF ! Les zones mortes marines existent déjà et elles ne font que s’étendre. Il s’agit de régions océaniques privées d’oxygène, ou « zones hypoxiques », qui provoquent l’asphyxie de la faune marine. On connait également tous l’existence du fameux « continent de plastique ». Quant à la surpêche… Près de 40 % de l’ensemble des animaux marins ont disparu au cours de ces quarante dernières années, comme la moitié du corail, et le tiers des mangroves et des herbiers marins. Cela fait longtemps que l’on dit qu’à l’horizon 2050, il n’y aura plus de poissons à pêcher. Si le sujet vous intéresse, je vous conseille de regarder le documentaire Seaspiracy, c’est sur Netflix.

Effectivement, je suis pessimiste car la situation est grave, très grave. On a l’impression de progresser, d’avancer, mais à côté de nos petits efforts, il y a des bulldozers qui pulvérisent tout au nom du profit : la consommation de masse, le capitalisme.

Cela étant dit, je ne suis pas en train de dire que les « petits gestes » sont inefficaces. Etre végan ou même végétarien est efficace. C’est en vérité l’une des actions individuelles les plus efficaces pour protéger l’environnement ! En devenant végétarien, vous abaissez de plus de 10% votre empreinte carbone. C’est très concret. Réellement, vous luttez ainsi contre la déforestation et donc pour la biodiversité, contre la pollution des écosystèmes, et la maltraitance animale.

On peut agir, chacun de nous.

Dans ces deux romans, vous passez du temps à décrire la nature, de la mer au désert comme si vous connaissiez dans les moindres détails ces milieux naturels. Avez-vous effectué des recherches ou êtes-vous seulement une grande voyageuse ? 

Je voyage très peu, afin de limiter mon empreinte carbone. Donc, oui, c’est de la recherche. Justement, je crois qu’on peut donner à voir, à imaginer et à éprouver par le biais de la fiction.

Vos personnages sont assez torturés, mais pas dans le sens habituel, c’est-à-dire qu’ils se posent beaucoup de questions sur leurs choix, leurs comportements, la meilleure façon d’agir… Est-ce aussi une façon de “secouer” vos lecteurs pour leur montrer que lire n’est pas qu’un simple divertissement ?

Je ne dirais pas ça. La dimension divertissante de la lecture me parait très importante. Mon objectif numéro 1 reste « d’embarquer » le lecteur, c’est-à-dire que les pages se tournent facilement et que le récit soit rythmé. Ennuyer le lecteur est à mes yeux un échec terrible. Ensuite, derrière, il peut y avoir des « messages » effectivement. La fantasy se prête à ce mode d’expression dans la mesure où elle place un « tampon » entre le lecteur et l’abrupte réalité ; elle fait un « pas de côté ».

Dans Le Désert des couleurs, votre message sur l’importance des mots et le pouvoir de l’imagination est très fort. Quel regard portez-vous sur le livre et la lecture en général ?

Oui, il y a un clin d’œil au pouvoir des histoires dans Le Désert des couleurs ! La lecture laisse de la place au lecteur, une place dynamique et agissante. Ce n’est pas un loisir qu’on consomme passivement. Il y a quelque chose de très stimulant dans cette liberté-là. Après, personnellement, je me suis construite avec les jeux vidéo aussi : ils permettent d’exalter l’imagination et la projection.

Je vous laisse choisir vos 3 romans préférés et nous expliquer pourquoi.

Hunger Games : curieusement, ce ne fut pas un coup de cœur immédiat. Et pourtant, il me reste en tête, très vif, des années après ma lecture. J’en aime l’énergie, le muscle, cette écriture très addictive, mais aussi le portrait tout en nuance de Katniss, la “survivante”. Hunger Games est un page-turner efficace, qui en plus, est doté d’une vraie intelligence, ce qui ne gâte rien.

Marche ou crève : difficile de choisir parmi les Stephen King, je les aime tous. Cet auteur a changé ma vie quand je l’ai découvert, à 13 ans, avec Simetierre. J’apprécie sa technique quasi-cinématographique et ses peintures de caractère, empathiques, sincères, remarquablement bien faites. Marche ou crève est un récit assez court, mais percutant, totalement halluciné où cent garçons participent à un concours où ils doivent marcher jusqu’à l’épuisement. Un seul y survivra.

Dehors les chiens, les infidèles : Le monde est plongé dans l’obscurité et miné par les guerres de religion. Cinq « Quêteurs » recherchent l’étoile du matin, une sorte de Saint-Graal censé ramener la lumière sur le monde. Servi par un début explosif, c’est surtout l’ambiance qui m’a parlé parce qu’elle me rappelle la dark fantasy du manga Berserk. Un récit vraiment immersif, avec une atmosphère très lourde, portés par des personnages ambigus et complexe.

Pour terminer, quels sont vos prochains projets, si vous pouvez dévoiler quelques infos ?

Le 29 septembre sortira ma première BD, La baleine blanche des mers mortes. C’est une aventure inédite dans l’univers des Mers mortes. Olivier Boiscommun est au dessin, avec de somptueuses aquarelles.

On avance bien sur ma seconde BD, avec Emanuele Contarini, qui s’intitule « le Meneur de louves » et qui parle du traumatisme lié à des séries d’attentats surréalistes commis dans une Venise de fantasy. Je pense qu’elle sera prête pour 2022.

Enfin, je planche sur une nouvelle série de BD, très différente de ce que j’ai fait à ce jour. J’ai très envie de fantasy flamboyante en ce moment.

Merci beaucoup pour votre temps et vos réponses. Au plaisir de lire vos prochains travaux !

 

 

 

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Format : Grand format
Editeur : 10/18
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Type d'ouvrage : Roman

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